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Actualités - REPORTAGE

Poursuite de l'interrogatoire des inculpés devant la cour dans le procès Karamé Chidiac contredit les propos de Matar... et fait rire la salle

Pour une soirée de la Saint Valentin, on aurait pu trouver mieux que la salle glaciale du tribunal où s’est poursuivi hier l’interrogatoire des inculpés dans le procès de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé. Mais, en guise de consolation, l’assistance a eu droit à la prestation particulièrement imagée d’Antoine Chidiac, ancien chauffeur et membre de l’escorte du chef de service de sécurité des FL dissoutes, Ghassan Touma. Avec beaucoup de gestes, un accent du Nord très prononcé et un langage presque naïf, l’inculpé a raconté ce qu’il a vu — du moins c’est ce qu’il dit — alors qu’il se trouvait à bord du bateau lorsque Ghassan Menassa a pressé le bouton de la télécommande actionnant l’explosif placé dans l’hélicoptère Puma No 906. Chidiac — qui se qualifie d’un «pauvre petit homme, inculte, né ratatiné» — provoque à plusieurs reprises les rires de l’assistance et même ceux des membres de la cour, par son franc parler et sa façon loufoque de s’exprimer. A tel point que Me Issam Naaman de la partie civile s’écrie à la fin de l’audience: «Il est réellement très sympathique». En racontant sa version des faits, Chidiac contredit à plusieurs reprises le brigadier Khalil Matar, suscitant des mouvements de protestation de la part de celui-ci qui, finalement, ne peut s’empêcher de déclarer: «Tout ce qu’il dit est faux». Ce sera en définitive à la cour de décider où se trouve la vérité. Mercredi, Chidiac sera interrogé par les avocats de Matar et ceux de Geagea. Pour la première fois depuis l’ouverture de ce procès, l’assistance n’est pas très nombreuse dans la salle. Si Mme Sethrida Geagea et la famille du brigadier Matar, ainsi que le fils du président Omar Karamé, sont fidèles au rendez vous, les partisans des deux camps se font rares. Comme à l’accoutumée, Geagea et Matar ont droit à un coussin fleuri, pour alléger les longues heures pendant lesquelles ils sont assis sur le banc, dans le box des accusés. Mais cette fois, c’est Antoine Chidiac qui se tient derrière le micro. Avant que son interrogatoire ne commence, Me Pakradouni demande la parole pour préciser qu’à sa connaissance, il n’y a jamais eu de banderoles ou de slogans inscrits sur les murs des régions dites Est appelant à la mort du président Rachid Karamé. Le président Honein, qui maniera à plusieurs reprises son maillet au cours de cette audience, souvent d’ailleurs pour mettre un terme aux rires dans la salle, interroge ensuite Chidiac sur sa version des faits. Petit, trapu et le vocabulaire réduit, l’homme raconte comment il s’est retrouvé à bord du bateau avec Ghassan Touma, Ghassan Menassa, Afif Khoury et le brigadier, alors commandant, Matar, le jour du crime, le 1er juin 1987. Selon lui, la nuit précédente, il était de service et il avait dormi dans le petit conteneur des gardes, installé à côté de l’immeuble où résidait Touma, à Fatka. Ce conteneur étant relié au domicile du chef du service de sécurité des FL dissoutes par un interphone, Chidiac est réveillé le lundi 1er juin entre 6h et 6h30 par Touma lui-même, qui lui annonce qu’un visiteur doit arriver, lui demandant de l’attendre. L’homme s’habille en vitesse et observe l’entrée. Il voit alors arriver le brigadier Matar, en tenue de sport (short, tee shirt et «spadrines» pour espadrilles), un sac en plastique «en forme d’attaché case» à la main. Mais pas de «manakiche», comme l’avait dit Matar. Le brigadier avait aussi des lunettes «comment dites-vous Ray bèn» (Ray Ban) et une casquette blanche. Il devait être aux alentours de 7h ou 6h45. Le temps d’alerter Touma et Chidiac se rend à l’entrée de l’immeuble où se trouvent déjà Matar et Touma. Comme il avait déjà chauffé le moteur de la BMW 700 de Touma, tous trois montent dans la voiture en direction de la base navale des FL à Jounieh. En chemin, ils rencontrent José Bakhos, responsable de l’escorte de Touma, qui, les voyant descendre vers la côte, fait demi tour et les suit. A la base, se trouvent déjà Ghassan Menassa et Afif Khoury (chef de la force navale des FL) qui les attendent. Après une brève conversation entre Touma et Menassa, ils montent à bord d’un bateau peint en partie de bleu foncé. Au début, Menassa (qui a une serviette en main) ne veut pas emmener Chidiac, mais Touma lui demande de venir. Il a avec lui sa mitraillette Kalachnikov. Quant à José Bakhos, il reste à terre, car au cours d’une randonnée précédente, il avait eu le mal de mer. Toujours selon Chidiac, pendant le trajet, il voit Touma et Matar se parler de temps en temps, mais en raison du bruit du moteur et du vent, il ne peut saisir leurs paroles. Chidiac précise qu’il n’y avait pas de cabine abritée à bord de ce hors-bord, mais une sorte de pare-brise protégeant des embruns l’emplacement du pilote. Et, toujours selon lui, tous les présents sont restés debout à la même place, tout au long de la randonnée. Le bateau s’arrête au large de Madfoun et les moteurs sont éteints. (Selon Matar, ils ont continué à tourner). Et le brigadier sort de son sac un poste radio et le branche. Touma, Menassa et Matar se mettent à écouter. Chidiac lui-même entend des propos embrouillés et n’y comprend rien. Soudain, il entend Matar dire: «Ce n’est pas ça». Un hélicoptère passe alors au-dessus du bateau. Pour appuyer ses dires, Chidiac regarde le plafond, et toute la salle l’imite, suivant son mouvement. L’inculpé reprend son récit et ajoute que 10 mn après le passage du premier hélicoptère, il entend Matar dire: «C’est ça». Selon lui, Menassa se trouble et il presse un bouton dans le poste radio qu’il avait placé devant lui sur une planche de bois protégée par le pare-brise. Selon Chidiac, ce poste se trouvait dans la serviette que tenait Menassa en montant à bord. Il a une longueur de 30 cm, une largeur de 20 et une épaisseur de 5 cm. Aussitôt, un bruit d’explosion se fait entendre. Afif Khoury sursaute, se couvre les oreilles et se recroqueville et Menassa dit alors: «L’avion, l’avion». A ce moment-là, il regarde le ciel et voit un hélicoptère, se dirigeant vers la côte, entouré de fumée. Afif Khoury rallume les moteurs et le bateau retourne vers la base. Il est resté arrêté au large environ 30 mn. Toujours selon Chidiac, pendant le trajet du retour, nul ne dit mot. «Les personnes présentes ne riaient pas, mais ne pleuraient pas non plus». Une fois à la base, Touma, Matar et lui-même remontent en voiture et se rendent au domicile du chef de service de sécurité des FL. Matar reprend sa propre voiture qui était restée garée là bas et s’en va, alors que Touma et Chidiac se rendent au bâtiment du service de sécurité à la Quarantaine. Auparavant, le concierge de l’immeuble, Khalil Chahine, raconte à Chidiac qu’il a entendu à la radio que l’hélicoptère transportant Rachid Karamé a explosé. Arrivé devant le bâtiment du service de sécurité des FL, Chidiac s’apprête à garer la voiture et à s’en aller, mais José Bakhos lui dit d’attendre un peu. Touma revient et se rend au Conseil militaire, toujours à la Quarantaine, mais un peu plus loin que le bâtiment de la sécurité. Selon Chidiac, il se dirige vers le bureau de Me Karim Pakradouni, alors vice commandant en chef des FL. Ce point-là fera l’objet de plusieurs questions de la partie civile. Et Me Pakradouni jugera bon de donner quelques précisions géographiques sur la configuration des lieux. A la fin de la réunion qui a duré près d’une demi-heure, Chidiac ramène Touma à son bureau et rentre chez lui. Il raconte ensuite que cette randonnée en mer a été précédée de deux autres et d’une mission d’inspection terrestre. Presque deux mois avant l’attentat, il s’est rendu avec Ghassan Touma, son frère Gaby et José Bakhos à Jeddayel escortés par Tony Obeid qui se trouvait à bord d’une Range Rover avec un homme blond à ses côtés. Les deux voitures se sont garées à un endroit où il n’y avait plus de route et les 5 personnes ont continué le chemin à pied, alors qu’il est resté près de la voiture. Un rôle d’office boy... La seconde mission a eu lieu près de 10 jours après la première. Avec Touma et Bakhos, il se rend à la base navale de Jounieh où ils montent à bord d’un bateau blanc avec Afif Khoury et Ghassan Menassa. Il s’agit du fameux Hawk. Il le sait car il entend Afif le dire à Touma. Mais au large, le moteur fait des ratés et Bakhos a le mal de mer et vomit. La randonnée tourne court. La troisième mission a lieu 2 ou 3 semaines après celle-ci, c’est-à-dire environ 15 jours avant l’attentat. Ghassan Touma, Ghassan Menassa, Afif Khoury et lui montent à bord d’un bateau dont une partie est peinte en bleu. Le bateau s’arrête au large entre Tabarja et Safra. Il reste là-bas près d’une demi heure, au cours de laquelle un avion militaire que d’après sa description, l’enquêteur identifie comme étant un «Hawker Hunter» survole le bateau. «Il n’est ni trop haut, ni en rase-mottes», précise Chidiac qui raconte avoir entendu à ce moment-là Menassa dire: «Ça marche. Il s’est allumé». Chidiac précise qu’il n’a pas vu le poste radio, mais il en a déduit qu’il y en avait un. L’avion effectue deux survols, le premier au-dessus de la mer et le second plus proche de la côte, décrivant un cercle entre Jounieh et Jbeil. Prié de préciser quel était exactement son rôle auprès de Ghassan Touma, Chidiac raconte qu’il lui faisait ses courses, lui nouait ses lacets, lui ouvrait la porte etc., ajoutant que Touma ayant la main gauche handicapée, il devait tout le temps, pendant ses heures de service être prêt à l’aider. Il déclare ensuite: «Je me sens obligé de raconter tous ces détails, car je vois que les chabab ici (il fait allusion aux avocats) discutent le moindre élément». A une question de la cour, Chidiac répond qu’il avait vu Matar deux ou trois fois avant cette randonnée. Il ajoute que ce dernier a dîné avec Ghassan Touma au restaurant Salamé après le 1er juin. Comme les avocats discutent entre eux une de ses réponses, Chidiac proteste et s’écrie: «Je veux placer un mot. Ce n’est pas possible comme cela». Avec beaucoup de simplicité, il raconte au fil des questions qu’il sait à peine lire et écrire et qu’il jouait pratiquement le rôle d’office boy auprès de Touma. «Je parle à peine l’arabe, ajoute-t-il, comment pourrais-je connaître des mots étrangers?». Il nie ainsi avoir utilisé devant le juge le mot «OK». Et lorsque la cour use de mots un peu sophistiqués, il proteste vivement, croyant qu’il s’agit de pièges . Le magistrat Ralph Riachi doit alors lui expliquer lentement leur signification. Décrivant au président Honein son lieu de détention à Yarzé, il lui dit: «Ya Khayé, je ne sais si vous connaissez les lieux...» et le président tente de dissimuler un sourire. Toute cette drôlerie n’empêche pas l’avocat de l’inculpé Camille Rami, Me Emile Younès, de piquer un somme, alors qu’Antoine Chidiac multiplie les sourires à l’adresse du procureur Addoum, dans une tentative de l’amadouer. Ce dernier est-il vraiment touché par la candeur de cet homme? Toujours est-il qu’il n’est pas aussi sévère qu’à l’accoutumée. Il lui demande ainsi s’il a vu dans les régions dites de l’Est, à l’époque, des slogans inscrits sur les murs disant: «Connais ton ennemi. Rachid Karamé le Syrien est ton ennemi». Et Chidiac répond: «Les murs étaient couverts de slogans. Il y avait le Syrien est ton ennemi etc.. Mais je n’y ai pas vraiment fait attention». Addoum relève ensuite les contradictions dans ses dépositions devant les enquêteurs militaires et devant le juge d’instruction et Antoine Chidiac répond: «Il y a des choses que j’avais oubliées. Mais je suis arrêté depuis un an et sept mois et dans ma cellule, je repense constamment à ces faits et je redécouvre des éléments...». Prié de préciser la date de son arrestation, il dit: «Le 13 du mois qui suit juin...». Son avocate, Me Saydé Habib, lui pose ensuite quelques questions pour préciser certains points, mais l’homme n’a plus grand-chose à dire. Mercredi, il sera soumis aux questions des avocats de Khalil Matar et ceux de Samir Geagea, qui chercheront probablement à démonter sa version des faits. Mais le mot de la fin reviendra bien sûr à la cour. Scarlett HADDAD
Pour une soirée de la Saint Valentin, on aurait pu trouver mieux que la salle glaciale du tribunal où s’est poursuivi hier l’interrogatoire des inculpés dans le procès de l’assassinat du premier ministre Rachid Karamé. Mais, en guise de consolation, l’assistance a eu droit à la prestation particulièrement imagée d’Antoine Chidiac, ancien chauffeur et membre de...