Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Le mariage civil : un premier pas vers la déconfessionnalisation

Etant donné qu’il faut meubler l’espace et le temps en attendant que les Etats-Unis se décident à frapper l’Irak ou que Saddam Hussein cesse de les braver, on devise gravement dans les salons politiques locaux de sujets d’un intérêt certain mais dont l’urgence n’est pas vraiment évidente. Ainsi une grosse pointure parlementaire se demande en privé si «M. Elias Hraoui va pousser la détermination jusqu’à présenter effectivement au Conseil des ministres le projet de mariage civil facultatif qu’il a concocté et qui a été accueilli par un concert puissant de protestations de la part des hommes de religion, mahométans en tête.Le chef de l’Etat risque fort dès lors de se heurter à un vote négatif en Conseil des ministres…». Ce qui est « tout à fait probable, mais ne dérangerait pas trop M. Hraoui» rétorque un ministre qui pense que le président de la République «veut simplement prendre acte, faire date, passer dans l’histoire en ouvrant une voie qui sera certes longue à défricher mais qui ne manquera pas d’aboutir car l’évolution de la société le commande». Cet officiel rappelle qu’en Italie « il a fallu des décennies pour instaurer le divorce qui était tellement interdit que l’expression «divorce à l’italienne», titre du reste d’un film célèbre, signifiait qu’un conjoint n’avait d’autre choix que de tuer sa moitié pour cesser la vie commune. Cela prend toujours beaucoup de temps pour faire passer dans les textes des réalités nouvelles de la vie sociale et ainsi, autre exemple, ce n’est qu’en 1945 que les femmes ont pu exercer un droit de vote obtenu juste un an auparavant. Quand dans le pays des lumières et de la révolution-phare de 1789 un droit aussi naturel met un siècle et demi à être reconnu, il ne faut pas s’étonner que le mariage civil ne passe pas chez nous comme une lettre à la poste. Les résistances sont extrêmement fortes, mais le président Hraoui estime qu’il faut poser les premiers jalons». Et d’ajouter que «lorsque les principes auxquels il croit sont en jeu, M. Hraoui ne s’arrête pas aux objections qui peuvent surgir, et le fait que la majorité ministérielle et parlementaire soit contre ne l’a pas empêché, par exemple, de défendre jusqu’au bout l’idée des désignations dans les municipales». Ce que généralement on ignore, ou que la guerre a fait un peu oublier, c’est que la remise en cause du système libanais des statuts personnels (qui inclut le mariage) n’est pas du tout une «invention» de l’actuel locataire de Baabda. On en a souvent débattu et il est même arrivé que les avocats, mais oui, fissent une grève de huit mois pleins en faveur d’un projet de réforme unifiant ces statuts pour faciliter la promotion des grands principes constitutionnels: égalité, libertés individuelles ou générales, laïcisation… Mais les hommes de religion, évidemment opposés au changement, avaient fini par l’emporter sur les juristes qui ont dès lors «laissé tomber» un sujet qu’on avait su politiser à l’excès pour les en dessaisir. Le confessionnalisme en cause Juste retour des choses, c’est par la politique qu’aujourd’hui la question fait sa rentrée sur la scène locale, de par la volonté du chef de l’Etat. Et l’on se retrouve par une extrapolation tout à fait naturelle, en train de discuter de nouveau de l’abolition du confessionnalisme politique et par voie de conséquence du confessionnalisme tout court. On sait en effet qu’aux surenchères des uns réclamant le «gommage des privilèges confessionnels traditionnels», les autres ont toujours répondu en exigeant une «laïcisation généralisée, impliquant la récupération par l’Etat de sa souveraineté en matière de statuts personnels concédée aux autorités religieuses des communautés». Tout naturellement aussi, les réformateurs ont toujours proposé de commencer par le mariage civil, avant de passer à des volets beaucoup plus complexes comme les droits de succession. Ils faisaient valoir que pour le brassage national tant chanté il n’y a rien de mieux que les mariages mixtes intercommunautaires que le mariage civil facultatif peut sinon favoriser du moins rendre faciles. Argument repris comme on sait par le président Hraoui qui s’insurge contre le fait que des jeunes libanais de communautés distinctes — ou simplement non désireux de convoler devant un homme de religion — soient obligés de se rendre à l’étranger, à Chypre ou ailleurs, pour y contracter un mariage qu’ensuite, et ensuite seulement, ils peuvent légaliser au Liban. Certains ajoutent que dans les villages où les mariages mixtes ont de tout temps prévalu, la guerre domestique a fait nettement moins de ravages qu’ailleurs, ce qui prouverait que la cœxistence y est meilleure. Si l’abolition du confessionnalisme politique, prévue à l’article 95 de la Constitution, a été bloquée jusque là, c’est en grande partie à cause des statuts personnels dont le système risquerait à son tour d’être aboli, par contagion en quelque sorte. Et l’on retombe ainsi dans la vieille controverse: peut-on modifier les textes de lois tant que les mentalités n’ont pas été changées… Et comme cela ne se fait qu’au bout d’un interminable processus évolutif, autant dire que l’abolition du confessionnalisme est pratiquement… abolie. Sauf si l’on se décide à commencer quelque part, le mariage civil s’offrant alors comme un bon tremplin. E.K.
Etant donné qu’il faut meubler l’espace et le temps en attendant que les Etats-Unis se décident à frapper l’Irak ou que Saddam Hussein cesse de les braver, on devise gravement dans les salons politiques locaux de sujets d’un intérêt certain mais dont l’urgence n’est pas vraiment évidente. Ainsi une grosse pointure parlementaire se demande en privé si «M. Elias...