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Actualités - REPORTAGE

Addoum interroge l'accusé sept heures durant dans l'affaire Karamé Matar nie les accusations du parquet sur ses sympathies pour les Forces Libanaises (photos)

Pour la seconde audience consécutive, la confrontation s’est poursuivie entre le procureur général, M. Adnane Addoum, et le brigadier Khalil Matar, un des 5 inculpés arrêtés dans l’affaire de l’assassinat de Rachid Karamé. Sept heures durant, le procureur a bombardé le brigadier de questions, tantôt techniques et tantôt militaires et politiques, à tel point qu’à la fin, le brigadier, mais aussi toute la salle (y compris l’inculpé Camille Rami en général hilare et qui en a perdu le sourire), a demandé grâce. «Je suis là depuis le matin, je suis fatigué», a lancé, dans un souffle, M. Matar à 20 heures, dans ce qui ressemblait à un appel au secours. Et la Cour, présidée par le magistrat Mounir Honein, a répondu à son attente, suspendant l’audience, après avoir toutefois sondé les avocats de la partie civile et ceux de la défense, qui doivent encore poser leurs questions au brigadier avant que son interrogatoire ne soit définitivement clôturé. Dans cet affrontement souvent inégal, le procureur essayait de montrer que le brigadier Matar avait, depuis le début, des sympathies pour les Forces libanaises et leurs thèses. Il a ainsi cherché à prouver que, contrairement à ce qu’il affirme devant la Cour, Matar était au courant du projet d’assassinat de Rachid Karamé et qu’il y a joué un rôle bien plus important qu’il ne veut bien le reconnaître. Et comme un magicien sortant un lapin de son chapeau (suivant l’expression de l’ancien bâtonnier Issam Karam, qui a commencé par défendre Matar auprès du juge d’instruction, avant de porter son choix définitif sur le chef des FL dissoutes, Samir Geagea), il a exhibé une déclaration à la presse du colonel Paul Farès (proche des FL dissoutes qui avait mené une sorte de mutinerie contre le général Aoun, pendant la guerre dite d’élimination), datée du 15/12/97, dans laquelle ce dernier nie que les FL aient demandé, par son biais, au brigadier de bombarder, avec ses avions, l’artillerie de l’armée, pendant la guerre dite d’élimination. Matar avait pourtant fait état d’une telle demande, précisant qu’il n’avait pas osé refuser, mais que pendant la nuit, il avait envoyé ses hommes saboter les avions, d’une manière discrète et indécelable. Protestations des avocats Ses avocats, appuyés par Me Karam, toujours prêt à intervenir, ont protesté contre la tactique du procureur de provoquer constamment des coups de théâtre, prenant de court ses interlocuteurs et ils ont exigé de prendre connaissance du document. Mais M. Addoum a répondu que le Parquet avait le droit de brandir des documents à toutes les étapes du procès. Et le document sera étudié ultérieurement. En 14 heures d’interrogatoire, sept heures vendredi dernier et sept heures hier, M. Addoum a réussi à déstabiliser le brigadier, relevant la moindre de ses contradictions et montrant comment il s’est rétracté devant la Cour, au sujet des phrases impliquant directement les FL et leur chef Samir Geagea. D’ailleurs, le brigadier n’a pas nié avoir prononcé ces phrases (telles celle que lui aurait dite Ghassan Touma au téléphone, deux jours avant le crime: «Que dis-tu si nous les devancions?», faisant allusion au projet qu’aurait eu les services de renseignements de l’armée de tuer le premier ministre Karamé, ou encore celle qu’il lui aurait lancée à bord du bateau, le jour du crime, lui disant «Samir Geagea te salue et il est très heureux que tu sois avec nous») devant le juge d’instruction, se contentant d’en attribuer la responsabilité à son état dépressif à l’époque. A d’autres moments, Matar a expliqué à la Cour que le juge d’instruction, M. Georges Ghantous, a mal compris sa pensée. Et, pour corroborer ses dires, l’un de ses avocats, Me Badawi Abou Dib, avait présenté, au cours de l’audience précédente, une note dans laquelle il avait relevé de nombreuses erreurs dans la retranscription des réponses de Khalil Matar au cours de son interrogatoire devant la Cour. Me Abou Dib a voulu ainsi montrer que si des erreurs peuvent être commises devant la Cour, il peut aussi y en avoir devant le juge d’instruction. Le président de la Cour avait fixé l’ouverture de l’audience à midi pour avoir le temps d’achever l’interrogatoire du brigadier. Mais c’était compter sans le zèle du procureur qui a pratiquement eu le monopole, pendant près de 7 heures (si on soustrait les deux petites pauses accordées par le président) des questions à Matar. C’est toutefois Matar qui prend la parole en premier, déclarant qu’il a apporté ses lunettes de lecture et qu’il souhaite relire la lettre qu’il aurait adressée au commandant en chef de l’armée, le général Lahoud, et que le procureur avait exhibée à la fin de la précédente audience. Le président se propose de la lui relire. Mais Matar souhaite le faire lui-même. Ce qui pousse le président Honein à s’écrier: «Craignez-vous donc que je ne vous lise pas ce qui est écrit?» Et Matar, penaud, répond: «Non, mais je voudrais vérifier l’écriture. Il me semble qu’il y a une différence entre le texte et la signature». Le président l’autorise à consulter une copie de la lettre, mais il veut l’original. Le greffier sort pour l’apporter. Matar l’examine longuement, puis déclare: «Non, c’est la même écriture». Le président lui demande alors s’il approuve son contenu. Et Matar s’écrie: «Dieu m’en garde!». Le président relit une fois de plus la lettre et Matar, tout étonné, déclare: «Je n’ai pas d’objection sur son contenu. En somme, je l’approuve, même s’il n’est pas de mon cru, puisque je me suis contenté de la recopier, vu que j’étais trop troublé pour être capable d’écrire». Prompt à répondre C’est là un des exemples des réactions du brigadier, toujours prompt à répondre, même lorsqu’il peut réclamer un délai de réflexion, ou lorsqu’il peut facilement dire: je ne sais rien à ce sujet. Mais l’homme est tellement soucieux de montrer son innocence qu’il espère impressionner favorablement la Cour en montrant une telle bonne volonté. Il a ainsi une opinion sur tout, et même lorsqu’il n’a pas d’information, il se lance dans des interprétations, qui donnent lieu à de nouvelles questions et... l’interrogatoire tourne parfois en rond. Grâce aux questions du procureur, l’assistance apprend que Matar comptait prendre une permission de deux jours, le lundi 1er juin (jour du crime) et le mardi 2, afin d’emmener sa mère à l’hôpital, mais celle-ci ayant reporté son hospitalisation, il a renoncé à la permission et cela a coïncidé avec le coup de téléphone du chef du service de sécurité des FL, qui lui demandait de se rendre à son domicile le jour du crime. Matar réitère ensuite ce qu’il avait déclaré au cours de l’audience précédente, précisant qu’il a deviné que les FL projetaient d’assassiner le président Karamé à bord du bateau, quelques minutes avant l’explosion. Il n’a ensuite vu que l’explosion de l’hélicoptère, après que Ghassan Menassa eut pressé le bouton de la radiocommande, mais il n’a réellement appris la mort de Karamé, qu’une fois dans le chalet mis à sa disposition par le ministre Murr, à Halate-sur-Mer. Addoum l’interroge ensuite longuement sur les affirmations de l’inculpé Antoine Chidiac (garde du corps de Ghassan Touma) qui se trouvait aussi à bord du bateau et qui a déclaré au juge d’instruction avoir entendu le brigadier crier, au passage du premier hélicoptère: «Ce n’est pas celui-là» et dire au passage du second: «Oui, c’est celui-là». Matar répond, conformément à ses précédentes déclarations devant la Cour de justice, qu’il n’a pas prononcé un mot à bord du bateau, hormis la petite conversation en tête à tête, dans la cabine avec Ghassan Touma. Il rappelle que, de toute façon, Chidiac était à l’autre bout et qu’en raison du bruit des moteurs, il ne pouvait pas l’entendre. Chidiac sourit, comme s’il attendait son heure... Précisons que lors de la précédente audience, Matar avait rectifié un croquis, qu’il avait lui-même dessiné devant le juge, du bateau et de l’emplacement de chacun, échangeant les places de Chidiac et Menassa, de façon à placer le premier très loin de lui. Il précise cela de nouveau au président Honein. Addoum l’interroge ensuite sur son kidnapping en Israël, en mai 1987. Avec force détails, Matar raconte qu’il avait été chargé avec son coéquipier, le colonel Samir Maalouli, de repérer un bateau en détresse au large des côtes du Sud et qu’il avait alors été intercepté par deux avions F16 israéliens. Il a été obligé d’atterrir dans une base au sud de Haïfa et il a été interrogé pendant 4 heures par un officier israélien qui a axé ses questions sur les relations du brigadier avec l’armée syrienne et avec l’OLP et sur ses informations sur les camps d’entraînement du Hezbollah. A la fin, et selon lui, lorsqu’ils ont été convaincus que sa mission était humanitaire, les Israéliens l’auraient autorisé à rentrer en lui disant: «Dites à Dany Chamoun que nous avons sauvé le bateau. Il est maintenant au large des côtes libanaises». Pour le procureur, c’est un élément de plus qui montre les affinités entre le brigadier et les Forces libanaises, ou, en tout cas leurs thèses. Il lui demande ensuite s’il ne doit pas son nom de code aux FL «Parapluie» au fait qu’il a pratiquement servi d’ombrelle, avec son avion de combat, au retrait des FL de l’est de Saïda en 1985. Offusqué, Matar s’écrie: «Je n’avais pas entendu ce nom de code avant d’avoir lu ce dossier. Si les FL m’appelaient ainsi, je n’en savais rien. Et si j’avais survolé l’est de Saïda, c’est à la demande de mes supérieurs qui m’avaient envoyé en mission d’exploration, pour savoir ce qui se passait là-bas». Minute par minute Matar répète ensuite pour la énième fois, minute par minute, son emploi du temps, ce lundi 1er juin. Il insiste sur le fait qu’il s’est rendu au domicile de Touma vers 8 heures, alors que, devant le juge d’instruction, il avait été plus matinal. En se rendant vers 8 heures chez Touma, Matar explique sa tenue sportive (short et tee-shirt) par le fait qu’il s’apprêtait à aller faire du sport. Mais s‘il s’était rendu au domicile de Touma plus tôt, en tenue de sport, cela signifie qu’il savait qu’il allait faire un tour en bateau et donc qu’il connaissait déjà le projet des FL. Pour convaincre la Cour, Matar expose son trajet minute par minute; ce qui fait dire à Addoum: «Quelle mémoire extraordinaire!» Le procureur axe ensuite ses questions sur le poste Geneva que possédait Matar et qu’il avait amené à bord du bateau, à la demande de Touma. Matar affirme que ce poste n’était d’aucune utilité, puisqu’il ne permettait de communiquer et ne captait que les communications de ses propres pilotes (à la base de Halate). Se basant sur de précédentes déclarations du brigadier (dans lesquelles il avait qualifié son poste de «tour de contrôle mobile») et sur un rapport du capitaine Elias Abou Jaoudé, Addoum cherche à prouver que c’est grâce à ce poste que Touma et ses compagnons ont pu identifier l’hélicoptère 906, à bord duquel se trouvait le président Karamé. Les avocats de Matar réclament du temps pour étudier le rapport, mais l’inculpé lui, se déclare prêt à le discuter. Il reconnaît que son Geneva peut permettre de déceler le passage des hélicoptères, à deux conditions: que l’appareil et le poste placé à bord du bateau soient branchés sur la même fréquence et qu’il n’y ait pas d’obstacles naturels, entravant la perception. Or, s’il est vrai que les hélicoptères faisant le trajet entre le nord du pays et la capitale, survolaient la haute mer (ce qui signifie qu’il n’y avait pas d’obstacles naturels), ils n’étaient pas branchés sur la même fréquence que celle sur laquelle il avait ouvert son poste, à bord du bateau. Matar répète d’ailleurs qu’il n’a branché son Geneva qu’à la demande de Touma, qui, le voyant troublé par la nouvelle que les FL allaient assassiner Karamé, n’avait rien trouvé de mieux pour le détendre. Matar et Addoum se lancent ensuite dans une discussion technique et, visiblement, le brigadier connaît ce dossier, répondant avec précision à chaque nouvelle question du procureur. A une question du président Honein, il précise qu’à une certaine époque, les gardiens de la base de Halate venaient de la base de Kleyate au Nord et se déplaçaient à bord des hélicoptères venus de la base d’Adma (comme l’hélicoptère 906, à bord duquel se trouvait le président Karamé). C’est là un point très important, car il montre l’étroite interdépendance entre les trois bases aériennes d’Adma, de Kleyate et de Halate. Reste la question cruciale: si, comme l’affirme le brigadier, son poste Geneva n’était d’aucune utilité, pourquoi Touma a-t-il insisté pour qu’il l’apporte avec lui, ce lundi 1er juin? Matar répond: «Pour me donner l’illusion d’avoir joué un rôle important dans ce crime, afin de m’obliger à me taire». Le conflit Aoun-Kassis Mais pourquoi Touma tenait-il tellement à sa présence à bord du bateau, s’il n’avait aucun rôle dans l’opération? Matar répond encore qu’en le prenant comme témoin, Touma voulait acheter son silence. Ses proches laissent d’ailleurs entendre à ce sujet que Touma voulait l’avoir avec lui pour neutraliser le commandant en chef de l’armée à l’époque, le général Michel Aoun, auquel le brigadier avait prêté serment d’allégeance. Addoum l’interroge ensuite sur les raisons du conflit qu’il a évoqué entre le général Aoun et le chef des renseignements de l’époque, le général Simon Kassis, allié au chef de l’Etat, M. Amine Gemayel. Matar se contente de dire qu’elles sont politiques. et Addoum lui demande si les deux parties (Gemayel et Aoun) n’étaient pas d’accord pour aider les FL. Matar répond alors: «Le climat général était à l’hostilité, mais les deux parties pouvaient être d’accord sur certains points». D’autres thèmes sont aussi abordés, mais tout tourne autour du rôle du brigadier dans l’assassinat du premier ministre Karamé. Les avocats de la partie civile protestent, accusant le procureur de leur avoir volé la vedette et de ne pas leur avoir laissé de questions à poser. Il faudra attendre le mercredi 4 février pour savoir si, effectivement, ils n’ont plus rien à dire... Scarlett HADDAD
Pour la seconde audience consécutive, la confrontation s’est poursuivie entre le procureur général, M. Adnane Addoum, et le brigadier Khalil Matar, un des 5 inculpés arrêtés dans l’affaire de l’assassinat de Rachid Karamé. Sept heures durant, le procureur a bombardé le brigadier de questions, tantôt techniques et tantôt militaires et politiques, à tel point qu’à la...