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Actualités - OPINION

Carnet de route Remote Control

Il y a deux ans encore, si l’on avait prononcé devant moi les mots «remote control», comme cela, dans l’absolu, je n’aurais sans doute pas fait le rapport. J’avais bien une «télécommande», en France, les dix dernières années, arrivée avec mon premier poste de télévision en couleurs, et, il faut tout avouer, je croyais jusqu’à la semaine dernière que le préfixe «télé» était une abréviation du mot «télévision». Quand je me suis fait installer, avant l’été 1997, deux climatiseurs sans garantie par un artisan qui m’a appris à les manier par «remote control», je trouvais ce système très confortable, bien que j’aie, avec les machines, une relation de proximité quasi compulsive: je préfère les toucher là où elles se trouvent. Question d’âge, sûrement: les tourne-disques et autres magnétophones de mes vingt ans demandaient que l’on mette la main à la pâte, pour ainsi dire, qu’on les approche d’aussi près que possible, pour écouter Schubert et Miles Davis, et parfois même qu’on secoue l’ensemble quand le son se dérobait. Bref, on n’utilisait rien que l’on ne touchât. Douce familiarité... Mais revenons à nos moutons. Si j’avais fait «lettres classiques», peut-être aurais-je pensé à l’étymologie grecque. Mais non. Pour moi une «télécommande» était une commande de télé-vision. * * * Mais Rome est de nouveau dans Rome depuis Noël grâce au cadeau que l’on m’a fait d’une petite chaîne de haute fidélité, pour remplacer la mienne, gigantesque et manuelle, et que l’installateur m’a dit, en me montrant le tableau de bord, que je n’aurais pas à m’en servir: «Vous avez tout par «remote control» me dit-il, en me mettant entre les mains une... télécommande. J’ai tout de suite compris. Non pas comment faire fonctionner l’ensemble, mais ce qui me restait à comprendre, que tout désormais était médiat. J’avais vu, comme cela, beaucoup de jouets, mais, ma capacité de réflexion électronique étant limitée, et surtout ma vie quotidienne mécanique et protégée, rien n’avait fait tilt. * * * Mais revenons à nos moutons. Ceux-ci nous mèneront-ils à la francophonie ou à la civilisation du «remote control»? D’abord, je dois des excuses à ma propre francophonie si je la trahis, parce qu’en matière de télécommande, l’expression anglaise est bien plus savoureuse que son équivalent français, l’adjectif «remote» évoquant les parties les plus reculées de l’Afrique, le lointain toujours, le moindre souvent («Je n’ai pas la «remotest idea» de ce dont parle le Goncourt»). Et puis, il faut bien reconnaître à la langue anglo-saxonne quelques qualités propres à son génie, surtout quand ce sont des enseignants de langue française qui vous l’ont fait découvrir, l’essentiel étant de parler. * * * Quant à la civilisation du «remote control», tout a été dit, tout se parfait tous les jours sur son envahissement. L’homme de la rue la pratique comme l’intellectuel tente de la penser, et le phénomène est tellement général qu’il ne faut pas en vouloir à certains d’affirmer encore que la guerre du Golfe, côté américain, s’es déroulée par avions sans pilotes, entièrement téléguidés, bombes et cibles comprises. Il faut dire à la décharge de ces naïfs que les avions «furtifs», désignés comme tels en français, parce que la langue française est une langue poétique et innovatrice, avions qui, simplement, échappaient aux radars, pouvaient prêter à confusion en raison même de leur épithète: trop de connotations s’attachent en effet à celle-ci. Ayant toutes à voir avec le secret, voire la clandestinité, et parfois la vitesse, comment s’étonner qu’on ait pu en exclure le capitaine, avec sa balourdise d’homme? Car nous vivons, en le sachant plus ou moins, dans un univers sans odeur, lisse et technicisé à l’extrême, où rien plus ne se rate qui ne soit neuronal. Ces lignes sont écrites en plein Tiers-Monde où les «habitants de Bint Gebeil» (1), toujours sans savoir dans quel pays ils se trouvent, sont directement branchés, par la grâce du «remote control», et par métaphore, sur les espaces infinis que leur ouvre la technique. Pour le meilleur ou pour le pire, la question relève d’une métaphysique trop élevée pour les simples mortels. Furtive... Amal NACCACHE (1) «Aux habitants de Bint Gebeil, mon village, qui depuis trois générations, se demandent dans quel pays ils se trouvent», (en exergue à un ouvrage du sociologue Ahmed Beydoun).
Il y a deux ans encore, si l’on avait prononcé devant moi les mots «remote control», comme cela, dans l’absolu, je n’aurais sans doute pas fait le rapport. J’avais bien une «télécommande», en France, les dix dernières années, arrivée avec mon premier poste de télévision en couleurs, et, il faut tout avouer, je croyais jusqu’à la semaine dernière que le préfixe...