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Actualités - REPORTAGE

MEA : Les dessous de la négociation qui a abouti au nouveau contrat

Un mois après son déclenchement, l’affaire de la MEA continue à faire couler de l’encre. Le retour de Londres de l’avocat de la Banque centrale (principal actionnaire de la compagnie), Me Michel Jean Tuéni, qui avait été chargé de renégocier avec les parties concernées le contrat de bail contesté, a mis en lumière hier, de nouveaux éléments. Si les sources proches de la Banque du Liban se déclarent entièrement satisfaites du nouveau contrat de bail, l’opinion publique, elle, se pose encore de multiples questions sur l’identité des personnes responsables du premier contrat jugé défavorable à la MEA.

C’est que, pendant plus de trois semaines, et à la faveur de l’ouverture d’une information judiciaire sur la question, toutes les informations faisaient état de commissions versées dans le cadre de ce contrat et évoquaient la possibilité de l’existence d’un délit pénal dans sa conclusion. Or, le Parquet — qui avait diligenté l’enquête — n’a pas fixé une nouvelle date pour la reprise de ses investigations, alors que la Banque centrale a retiré la note d’information qu’elle lui avait adressée. La BDL ayant obtenu un contrat aux conditions acceptables, l’affaire est-elle sur le point d’être étouffée, comme le craint l’opinion publique? «L’Orient-Le Jour» a essayé de mieux comprendre où en est l’affaire aujourd’hui, surtout que les avocats de la Banque centrale, MM. Tuéni et Kazan, ont remis hier au PDG par intérim de la MEA, M. Khattar Hadathi, l’original du nouveau contrat avant de se rendre auprès du procureur Addoum pour le remercier de ses efforts.
Ceux qui ont suivi de près le dossier estiment qu’il se divise en deux volets: le premier est commercial et il a été réglé dans le cadre de la renégociation de certaines clauses du contrat litigieux et le second est judiciaire et il vise à déterminer les responsabilités dans la conclusion de ce contrat. Ce second volet est toujours en suspens et il est entre les mains du Parquet. Comment a-t-il été déclenché? Les sources proches de la Banque centrale précisent que, lorsque les informations ont commencé à circuler dans la presse au sujet d’un contrat suspect, le gouverneur de la Banque, M. Riad Salamé, ne pouvait rester les bras croisés. Il a donc convoqué deux des avocats de la Banque, MM. Michel Tuéni et Chawki Kazan, en leur demandant d’étudier le contrat litigieux.

Le déclenchement
de l’enquête

Les deux hommes de loi ont aussitôt remarqué que certaines clauses du contrat de bail entre la MEA et la Singapore Airlines sont particulièrement défavorables à la compagnie libanaise. Selon des sources judiciaires, ils auraient constaté une grande incompétence de la part de la partie libanaise. Mais ne pouvant déterminer si cette incompétence est intéressée ou non, ils ont décidé, avec l’accord de M. Salamé, d’envoyer une note d’information au Parquet, lui demandant d’ouvrir une enquête judiciaire.
En parallèle, ils ont voulu exprimer leur mécontentement à la Singapore Airlines, à la Singapore Mauritius et à la SALE, les trois sociétés impliquées dans le contrat de bail. Selon une des clauses du contrat, en cas de conflit, c’est la cour d’arbitrage de Londres qui doit trancher, c’est pourquoi les avocats de la MEA ont demandé une réunion des parties concernées. La première réunion s’est tenue au début du mois de décembre et un représentant de la société américaine, la Boullioun (qui détient un tiers des actions de la SALE qui a racheté les avions loués à la MEA) y a assisté pour protester contre son implication dans cette affaire. Mais les réunions de renégociation proprement dites du contrat se sont déroulées les 17, 18, 19 et 20 décembre, en présence de M. Tuéni et de son équipe (dont l’ingénieur M. Walid Bouheiri qui avait fait le voyage à Singapour pour inspecter les avions) pour la MEA et des représentants de la Singapore Airlines, de la Mauritius et de la SALE.
Selon des sources proches de la Banque centrale, les avocats avaient relevé 5 points déséquilibrés dans le contrat initial: le premier porte sur le contrat d’entretien des avions loués, conclu séparément entre la MEA et la Singapore Airlines et qui prévoit une facturation de 1313,26 dollars par heure de vol et par avion, avec un minimum de 200 heures de vol par avion, payables que l’avion ait volé ou non. Le second porte sur le montant du bail qui s’élève à 193.000 dollars par mois et par avion. Le troisième concerne la durée du bail (qui est de 5 ans), le quatrième porte sur l’inexistence dans le contrat d’une option d’achat pour la MEA sur les avions loués et le dernier ne donne pas à la MEA un droit de regard sur une éventuelle vente des avions à une tierce compagnie. Ce qui s’est d’ailleurs passé lorsque la Singapore Airlines a vendu les avions loués par la MEA à la SALE.
«Plus l’enquête du Parquet progressait et plus les négociations de Londres avançaient», ont précisé les sources proches de la Banque centrale, qui ont ajouté que chaque matin, les représentants de la Singapore Airlines et de la SALE brandissaient à leurs interlocuteurs libanais des coupures des articles parus dans la presse libanaise. Les mêmes sources pensent ainsi que l’enquête du Parquet a largement pesé sur le cours des négociations, sans compter bien sûr l’habileté des hommes de loi libanais, qui étaient en contact permanent avec le gouverneur de la Banque centrale.
Au bout d’épuisantes réunions, qui ont parfois duré des nuits entières, Me Tuéni est parvenu à obtenir d’importantes concessions: d’abord, le contrat d’entretien des avions loués a été résilié. La MEA a préféré le maintenir jusqu’en mai 1998, car d’ici-là, elle espère pouvoir se charger elle-même de l’entretien, puisqu’elle compte fonder avec la SOGERMA française, une société spécialisée dans ce genre d’activité. De plus, d’août 97 à mai 98, la Singapore Airlines ne facturera à la MEA que les frais d’entretien des heures réelles de vol, et non plus comme cela était prévu dans le contrat initial, suivant une somme forfaitaire, que l’avion ait volé ou non.
Concernant le montant du contrat de bail, il est désormais de 193.000 dollars au lieu de 220 000 par mois et par avion, ce qui entraîne, une économie de 5,5 millions de dollars sur 5 ans. Le nouveau montant sera payé à partir de janvier, il n’a pas d’effet rétroactif à août 97. La durée du bail est restée inchangée, mais désormais, la MEA a une option d’achat à la fin des six premiers mois de la location. Si la MEA décide de lever cette option, les montants de la location déjà payés seront déduits du prix d’achat.
De plus, pour chaque avion acheté, la MEA recevra des pièces de rechange d’une valeur de 500 000 dollars. La MEA obtient aussi des options d’achat sur les avions loués à la 3e, à la 4e et à la 5e année du bail. Et, à chaque fois, les montants des locations déjà payés seront déduits. Si, à la fin de la 5e année, la MEA n’a toujours pas acheté les avions, et si la SALE leur trouve un acquéreur, la MEA aura un droit de préemption et pourra les acheter en priorité. Enfin, la MEA a encore obtenu un droit de regard sur la vente des avions. Ainsi, ils ne peuvent pas être vendus à une tierce partie sans son approbation. Rappelons que, devant le chef de la brigade criminelle, le PDG de la compagnie, M. Khaled Salam, avait déclaré qu’il n’avait pas été informé préalablement de la vente des avions que la MEA avait loués à la SALE.
Enfin, et en guise de bonne volonté, la Singapore a accepté de redécorer les avions loués et de les mettre aux couleurs de la MEA, à ses propres frais.
Finalement, les sources proches de la Banque centrale estiment que les nouvelles clauses sont tout à fait satisfaisantes car il est plus difficile de renégocier un contrat que d’en négocier un nouveau. Surtout que les interlocuteurs de la MEA sont d’importantes compagnies internationales.

Deux éléments
majeurs

Selon ceux qui ont suivi l’affaire depuis son déclenchement, deux éléments majeurs ont permis l’aboutissement des réunions de Londres: le fait que la MEA ait montré qu’elle était prête à aller jusqu’au bout — et les progrès de l’enquête du Parquet en étaient la meilleure preuve — et le fait que la preuve de l’existence de commissions ait été pratiquement faite. Ce qui aurait poussé la Singapore Airlines à accélérer les négociations. D’ailleurs, les négociations de Londres ont commencé après l’ouverture de l’enquête judiciaire et lorsque le procureur général près la cour de Cassation, M. Adnane Addoum, a déclaré que la balle était désormais dans le camp de la Banque centrale, demandant à celle-ci de porter plainte, les négociations de Londres se sont précipitées et finalement ont eu une fin heureuse.
Les mêmes sources pensent donc que le rôle du Parquet a été déterminant. Et aujourd’hui, les parties concernées se sont engagées à arrêter les procédures engagées et à ne plus se lancer de critiques à travers les médias. C’est d’ailleurs pourquoi la Banque centrale a retiré la note d’information qu’elle avait envoyée au Parquet. Toutefois, le procureur Addoum a affirmé qu’il compte poursuivre l’enquête. Si celle-ci finissait par conclure à un délit pénal, cela ne constituerait-il pas une violation du nouveau contrat? Les sources proches de la Banque centrale précisent, à ce sujet, avoir informé leurs partenaires que la note d’information a été retirée, mais que la Justice, au Liban, étant indépendante, l’enquête judiciaire se poursuivra. Et, selon les mêmes sources, aussi bien la Singapore Airlines que la SALE n’auraient rien trouvé à y redire. Toutefois, dans ces nouvelles circonstances, jusqu’où peut désormais aller l’enquête judiciaire? Des sources proches du Parquet avaient fait état d’une éventuelle fraude morale dans le contenu de certains procès verbaux du Conseil d’administration, notamment celui qui avait été tenu le 4 avril et dans lequel les membres donnaient un mandat au PDG pour qu’il négocie le contrat. Le même procès verbal aurait été modifié le 5 mai et une phrase y aurait été ajoutée demandant au PDG d’obtenir l’approbation du principal actionnaire de la compagnie (la Banque centrale). Les documents désormais en possession du Parquet montrent pourtant que cette modifictaion aurait été soumise à l’approbation du Conseil d’administration le 9 juin. Si cela se vérifie, il n’y aura pas de délit pénal et le Parquet ne pourra pas engager des poursuites. L’enquête sera alors clôturée pour manque de preuves ou pour absence de délit pénal. Tous ceux qui suivent l’affaire pensent que ce sera probablement la formule qui sera choisie. Il reste que, pendant près d’un mois, la réputation de la MEA ainsi que celles de certaines personnes ont été mises sur la sellette. Si la compagnie commence à se redresser et ne pense plus qu’à la composition du nouveau Conseil d’administration — que la Banque centrale souhaiterait restreint et formé de technocrates — qui rétablira la crédibilité de ceux dont le nom a été mêlé à l’affaire? L’opinion publique — qui a suivi pendant un mois l’affaire dite de la MEA — a le droit de connaître la vérité.

Scarlett HADDAD
Un mois après son déclenchement, l’affaire de la MEA continue à faire couler de l’encre. Le retour de Londres de l’avocat de la Banque centrale (principal actionnaire de la compagnie), Me Michel Jean Tuéni, qui avait été chargé de renégocier avec les parties concernées le contrat de bail contesté, a mis en lumière hier, de nouveaux éléments. Si les sources proches...