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Actualités - INTERVIEWS

Le ministre des déplacés évoque pour l'Orient Le Jour les critiques contre Sfeir, le mouvement estudiantin, les changements régionaux Joumblatt soupçonne les américains de soutenir l'opposition de Paris (photo)

Pessimiste comme il l’a toujours été, M. Walid Joumblatt craint une réédition de la tragédie libanaise. S’il est vrai que ses critiques acerbes à l’adresse du patriarche Nasrallah Sfeir ont provoqué un malaise chez de nombreux chrétiens, le ministre des Déplacés estime que c’est la règle du jeu lorsque le chef de l’Eglise maronite «veut se mêler de politique et patronner une nouvelle alliance tripartite à l’instar de celle de 1968».
Dans un entretien avec «L’Orient-Le Jour», M. Joumblatt pense que le pays est sur la mauvaise voie: dissensions confessionnelles, crise sociale. Il n’exclut pas un changement d’attitude des Etats-Unis «qui pourraient utiliser certaines factions libanaises pour exercer des pressions sur la Syrie». Le seul moyen d’éviter le «désastre» est, selon lui, d’entamer «un dialogue profond avec les étudiants chrétiens pour ne pas commettre les erreurs du passé».
Question: Vos récentes critiques à l’égard du patriarche Nasrallah Sfeir ont provoqué un malaise chez une partie des chrétiens. Ne pensez-vous pas que vous avez été trop sévère envers le chef de l’Eglise maronite?
Réponse: J’ai bien dit que si le patriarche Sfeir veut se mêler de politique, c’est son affaire. Mais il doit s’attendre à des répliques. C’est la règle du jeu. Et s’il patronne une nouvelle alliance tripartite à Paris, mes critiques sont justifiées. Nous connaissons les conséquences qu’a entraîné la coalition tripartite en 1968. Elle a provoqué un raz-de-marée extrémiste chrétien qui a balayé Fouad Chéhab et ses alliés et qui a été l’une des causes de la guerre. J’ai l’impression que c’est le même scénario qui s’enclenche. A la place de Pierre Gemayel, il y a Amine Gemayel, à la place de Raymond Eddé, il y a Michel Aoun et Camille Chamoun a été remplacé par Dory Chamoun.
Q: Mais le sentiment de certains chrétiens d’être exclus du processus de prise de décision nationale n’est-il pas justifié aujourd’hui?
R: Cela veut dire que les chrétiens qui font partie du pouvoir ne sont pas reconnus en tant que tel. Evidemment, tous les chrétiens au gouvernement et au Parlement ne sont pas très crédibles. Mais cela ne justifie pas le fait de remettre en cause la légitimité de tous les représentants des chrétiens. C’est vrai que notre gouvernement commet des erreurs monumentales et stupides, comme celle de l’interdiction de l’interview (du général) Michel Aoun. En même temps, je crains que quelque part se cache de nouveau une certaine tentation partitionniste.
Q: Tous ces jeunes qui ont manifesté la semaine dernière ont quand même scandé un slogan qui fait l’unanimité nationale, à savoir la défense de la liberté d’expression...
R: C’est vrai. Mais ceux qui se sont réunis à Paris n’étaient pas des jeunes, mais des vieux. Il y a tellement eu de morts pendant la guerre... Si seulement on pouvait dialoguer avec ces jeunes chrétiens à l’USJ et à la Sagesse. Il y a eu des milliers de morts parmi les Libanais et surtout parmi les chrétiens qui ont été entraînés par les vieux patrons de l’indépendance: Chamoun, Gemayel, Frangié. Ils sont morts pour rien. Pour un objectif qui n’a jamais été atteint. J’ai peur que la tragédie recommence.
Q: Comment évaluez-vous la fronde estudiantine? S’agit-il, selon vous, d’un mouvement à consonance confessionnelle?
R: Non, ce n’était pas un mouvement confessionnel. Toutefois, les principaux slogans étaient dirigés contre la Syrie. Soyons francs: les institutions chrétiennes comme l’Eglise, la Sagesse, les Jésuites et même les Américains — parce que quand l’AUB bouge c’est que les Américains y sont pour quelque chose — sont antisyriens. Cela aboutit à un clivage sur le plan national parce que tout le monde n’est pas antisyrien.
Q: Pourquoi ne voyez-vous que les slogans qui divisent? D’autres slogans ont unifié les jeunes, notamment ceux qui concernaient la défense de la liberté d’expression...
R: Hier (lundi), les étudiants de la droite, les ex-communistes et les étudiants du Parti socialiste progressiste ont réussi à trouver un slogan rassembleur, un dénominateur commun: les élections libres. Ça a marché. Mais cela exige un dialogue plus profond entre les différentes tendances politiques des étudiants pour ne pas tomber dans le piège des vieux de 1943 et ceux de Paris.
Q: Vous dites que vous êtes pessimiste pour l’avenir. Ne croyez-vous pas que la bataille pour les libertés, la loi sur les municipales... apportent une lueur d’espoir?
R: On ne peut pas être optimiste dans un pays aussi divisé que le Liban sur le plan confessionnel. Les institutions religieuses de part et d’autres sont puissantes et elles divisent le pays. Toutes leurs belles paroles d’entente, d’amitié et d’amour ne sont que des mensonges. Chacun est bien retranché dans son camp et attend l’autre. Chacun attend des circonstances régionales pour agir.
Q: L’opposition de Paris pense que les circonstances lui sont aujourd’hui plus favorables. Pensez-vous que ces changements régionaux et internationaux existent réellement?
R: A mon avis, cela commence à changer. Il y a bien l’axe israélo-turc qui s’est mis en place. Il y a aussi le roi Hussein (de Jordanie) qui fait son jeu. Et parmi les «trois de Paris», il y en a un qui est un grand ami du souverain hachémite. Je ne sais pas si les Séoudiens sont impliqués dans cette histoire. (L’opposition de Paris) a bien dit qu’elle avait eu des contacts avec certains pays arabes. A part la Jordanie, qui a toujours joué un rôle très ambiguë et l’Arabie Séoudite, je ne vois pas de quels pays arabes ils pourraient parler.
Q: Avez-vous l’impression qu’il y a un changement dans l’attitude des Etats-Unis à l’égard du Liban?
R: Oui. On peut noter un forcing américain antisyrien. Il n’est pas impossible que Washington utilise de nouveau la carte libanaise contre la Syrie. Et quand je dis la carte libanaise, il s’agit en fait de certaines factions au Liban. J’ai d’ailleurs exprimé mes craintes à l’ambassadeur américain (qu’il a reçu à la fin de la semaine dernière à Moukhtara). M. Richard Jones m’a demandé mon opinion sur les forces qui animent le mouvement estudiantin. Je lui ai répondu que si ce n’étaient pas les Américains, c’étaient alors les Soviétiques. Evidemment, je plaisantais pour ce qui concerne les Soviétiques. Il semble en tout cas que la rencontre entre (le général) Aoun et le patriarche Sfeir a été patronnée par certains milieux américains... Des rumeurs? Je ne sais pas. Au Liban, on ne tire pas les leçons de l’histoire. C’est pour cela que j’aimerais bien dialoguer avec les étudiants chrétiens. Je fais partie des vieux, mais j’ai encore un peu de cervelle. Il faut dialoguer avant d’arriver au désastre.
Q: Le désastre, cela veut dire la guerre?
R: Je ne crois pas. Plutôt le chaos. Tout ce qui se passe est tellement incohérent. Sur le plan social, on construit des pyramides à côté d’une grande misère. C’est très beau un aéroport à 600 millions de dollars. Mais juste à côté il y a un immense bidonville de Libanais et de Palestiniens qui vivent dans l’indigence...Il faudra construire un gigantesque mur, comme celui de Berlin, pour empêcher les pauvres de venir envahir les riches.
Q: Et les déplacés, on les oublie?
R: C’est bizarre. (M. Rafic) Hariri a annoncé que le problème des déplacés était d’ordre politique. Par hasard, on avait une réunion de notre bloc parlementaire et (M. Antoine) Andraos, qui présidait la Caisse centrale des déplacés, a déclaré qu’il y a 100 millions de dollars. Sur le plan politique, j’ai bien pris la décision, avec le gouvernement, de clore définitivement le dossier des déplacés. On a découvert hier qu’il y avait de l’argent, mais qu’il fallait prendre une décision politique. Je ne comprends plus rien. Qui doit prendre cette décision politique? Moi-même? Je l’ai déjà fait. Ou est-ce peut-être MM. Hariri ou (Nabih) Berry? Je comprends de moins en moins.

Propos recueillis par
Paul KHALIFEH
Pessimiste comme il l’a toujours été, M. Walid Joumblatt craint une réédition de la tragédie libanaise. S’il est vrai que ses critiques acerbes à l’adresse du patriarche Nasrallah Sfeir ont provoqué un malaise chez de nombreux chrétiens, le ministre des Déplacés estime que c’est la règle du jeu lorsque le chef de l’Eglise maronite «veut se mêler de politique et...