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Actualités - ANALYSE

Le pouvoir démontre avec Brio sa souplesse d'adaptation...

«Ce soir Lucullus dîne chez Lucullus…», réponse méprisante du gastronome patricien à l’invitation d’un roturier.
Et quand le tandem Berry-Hariri ne dîne plus chez le couple Hariri- Berry, mais à la taverne du peuple, on peut de bon cœur en applaudir la souplesse d’adaptation et le sens démagogique. En effet, réunissant d’urgence jeudi leurs blocs parlementaires, les deux présidents ont «lâché» les désignations dans les municipales, pour ne pas fâcher la rue très montée contre cette disposition si contraire aux règles les plus élémentaires de la démocratie. Impavides, les députés loyalistes ont «dénoncé» ( sic!) l’article incriminé du projet de loi qui dès lors va être supprimé sans problème. Les opportunistes, comme ce juriste de commission, qui avaient changé leur fusil d’épaule et défendu les désignations après les avoir attaquées dans un premier temps — quand Berry était contre — en sont quittes pour un nouveau revirement.
Mais ces rebondissements spectaculaires, fruits, il faut bien le dire, de l’agitation libertaire de ces derniers jours, risquent de faire voler en éclats la bonne entente au sein de la troïka scellée il y a quelques petites semaines autour de l’accord dit de Baabda.
En effet, la volte-face de l’attelage Berry-Hariri s’est accomplie sans en référer au chef de l’Etat, grand initiateur du principe des désignations et même sans le prévenir. C’est comme si l’aile ouest du pouvoir voulait sanctionner l’aile est pour la réussite du mouvement estudiantin parti d’Achrafié.Un réglement de comptes par ricochet qui cherche à détourner l’attention du fait qu’en ce qui concerne l’inteview Aoun c’est M. Hraoui, résolument contre l’interdiction et qui avait averti des suites qu’elle entraînerait, qui a eu raison contre M. Hariri. La manœuvre tournante des municipales vise donc à rappeler que «l’antidémocrate» n’est pas seulement celui qu’on pense, à savoir le chef du gouvernement, mais aussi à l’occasion le chef de l’Etat, puisque c’est lui le père de cette idée.

Les bonnes vieilles
habitudes…

On rivalise donc au sein du Pouvoir pour savoir qui déraille le mieux au plan des principes républicains et cette compétition risque dès lors, répétons-le, d’ébranler sérieusement la fragile harmonie instaurée au sein de la troïka, sur ordre formel des décideurs.
Réagissant aussitôt à l’action concertée des autres proconsuls du triumvirat, M. Hraoui a convoqué M. Michel Murr, maître d’œuvre du projet de loi des municipales en tant que ministre de l’Intérieur, pour l’interroger sur les causes du revirement de M. Hariri comme sur les raisons qui ont pu le pousser à déroger aux bonnes règles de l’entente en évitant de consulter Baabda. M. Hraoui s’étonne d’autant plus que si le gouvernement souhaite modifier une option quelconque il est supposé revenir avant tout au Conseil des ministres et ne pas agir par le biais d’un bloc parlementaire.
Une source hraouiste affirme que «ce coup de Jarnac haririen est tout à fait inattendu. Jusqu’à l’accord de Baabda en effet c’était le président de la Chambre et pas du tout le président du Conseil qui était réticent par rapport aux désignations d’édiles. M. Berry avait fini par entendre raison et par admettre que ce principe des nominations, exceptionnel, répondait à des besoins de l’heure concernant l’unité nationale, l’entente, les déplacés, le Sud et la cohésion des efforts planifiés en vue du développement rural et urbain par le biais de municipalités bien coordonnées avec le pouvoir central maître de l’Administration. Pour tout dire, les haririens nous avaient consultés pour voir comment on pourrait amener M. Berry à composition, mais ils ne l’ont pas fait pour renier les accords conclus.»
«M. Murr tente maintenant de jouer les conciliateurs et de recoller les morceaux, ajoutent ces sources, mais nous ne voyons pas comment nous pouvons continuer à faire route avec des alliés aussi versatiles que les haririens ou les berriyistes. La seule issue, bien qu’il soit un peu tard après le coup d’éclat de M. Hariri qui avait tenu à marquer de sa propre présence la prise de position contre nous de son bloc parlementaire, serait qu’on convoque d’urgence le Conseil des ministres pour débattre de la question. Nous ne pouvons admettre qu’un groupe appartenant au Législatif donne le la en ce qui concerne une décision de l’Exécutif. Chaque institution doit rester dans son territoire. M. Hariri s’était plaint à de multiples reprises des immixtions de M. Berry dans le travail de l’Exécutif, par le biais de certains ministres, et voici qu’il l’encourage dans cette même voie en n’hésitant pas à faire désavouer son propre gouvernement par les députés de son groupe!»
Mais pour sa part un ministre modéré, ami de tout le monde, trouve beaucoup de circonstances atténuantes à M. Hariri. «Il a agi dans l’urgence, souligne-t-il. Retenu par le débat parlementaire, préoccupé par l’agitation estudiantine et la grogne des professions libérales, il n’a pratiquement pas eu le temps de dialoguer avec Baabda. M. Hariri, ajoute ce ministre, a senti passer le vent du boulet de l’impopularité; il s’en alarme et cherche avant toute autre chose à rétablir son image de marque publique, à se rapprocher de l’opinion, presque à tout prix. Il en vient ainsi quasiment à nier avoir interdit l’interview du général Aoun et pour un peu il se proposerait de la faire lui-même! Son revirement au sujet des municipales ne nous semble pas donc dirigé contre l’entente avec M. Hraoui. Le chef du gouvernement cherche avant tout à rattrapper les gaffes de ces derniers temps, surtout que l’ambassade U.S. en a visiblement pris ombrage, comme le démontrent les déclarations de Jones. Et comme les Américains ne sont pas favorables du tout au principe des désignations dans les municipales, M. Hariri juge préférable de s’en passer.»
On peut se demander en réalité si de tels éléments peuvent beaucoup influer et s’il ne faut pas voir dans les virevoltes haririennes la preuve flagrante de ce que les opposants taëfistes affirmaient déjà depuis le début: il n’est pas vrai que, comme les pro-gouvernementaux le laissaient encore entendre la semaine dernière, les vrais décideurs — qui ne sont pas du tout Américains —, étaient à cent pour cent pour les désignations. Car si c’était le cas, ni Hariri ni Berry n’auraient changé d’avis.


Ph.A-A.
«Ce soir Lucullus dîne chez Lucullus…», réponse méprisante du gastronome patricien à l’invitation d’un roturier.Et quand le tandem Berry-Hariri ne dîne plus chez le couple Hariri- Berry, mais à la taverne du peuple, on peut de bon cœur en applaudir la souplesse d’adaptation et le sens démagogique. En effet, réunissant d’urgence jeudi leurs blocs parlementaires, les...