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Actualités - REPORTAGE

Parlement : la séance d'interpellations tourne au débat de politique générale L'opposition s'insurge contre les pratiques du gouvernement dans le domaine de l'information (photos)

«Avez-vous été convaincus par ce qui a été dit?» Pour une fois, les rôles sont inversés et ce sont les ministres qui interrogent les journalistes. Ils voulaient savoir si, comme eux, ils sont restés sceptiques ou s’ils ont été convaincus par les motifs présentés par le chef du gouvernement et son ministre de l’Information, pour expliquer les raisons pour lesquelles l’interview du général Michel Aoun à la MTV avait été interdite et 63 manifestants aounistes avaient été arrêtés après avoir été brutalisés. Etant donné son caractère outrancier, l’affaire ne pouvait pas ne pas être soulevée durant la réunion parlementaire d’hier qui était consacrée aux interpellations des députés et qui a fini par tourner au débat de politique générale. Et c’est justement une interpellation de M. Najah Wakim au sujet de la réorganisation du paysage audiovisuel qui a permis aux parlementaires d’aborder cette affaire que Mme Nayla Moawad a désignée comme étant «une honte» pour le Liban. L’argumentation développée devant les quelques députés indignés par la façon d’agir de l’Exécutif, est assez burlesque: grosso modo, toute la faute est à la MTV qui a «elle-même» décidé de ne pas diffuser dimanche l’interview du général Aoun en direct de Paris, alors que le gouvernement en avait seulement exprimé le souhait tout en assurant qu’il n’avait aucun inconvénient à ce qu’elle soit transmise si le droit de parole était en même temps donné aux responsables que le général Aoun attaquerait.
La réunion d’hier n’a fait que mettre en évidence le malaise de l’Exécutif qui a montré en définitive qu’il ne savait pas quelle explication donner pour se tirer d’affaire à bon compte, à un moment où le dossier des libertés et du respect des droits de l’Homme est de nouveau remis sur le tapis par l’opposition parlementaire. Elle a aussi permis à M. Rafic Hariri de répondre devant les caméras de télévision et les micros des radios qui transmettaient la séance en direct de rejeter catégoriquement les propos du président Amine Gemayel qui l’avait accusé d’avoir tenté d’«acheter» son poste de Premier ministre.
Il s’agit du premier commentaire du chef du gouvernement aux propos du président Gemayel et aux incidents de dimanche. Le débat est lancé par le député Boutros Harb dans une salle comble: «Nous sommes tous soucieux de préserver les libertés. C’est seulement la façon d’agir des autorités qui est aujourd’hui l’objet du débat. Il vaut mieux trancher la question ici plutôt que dans la rue». En fait rien ne sera tranché. Le gouvernement a répondu à côté et le débat a été clôturé comme il a commencé, sur de la rhétorique. On aura beau parler à la Chambre des libertés et des droits de l’Homme, adopté des positions en flèche, pris à partie l’Exécutif en l’accusant d’être abusif et injuste, personne ne se fait d’illusions sur le résultat.
Dans un long exposé, M. Wakim s’insurge contre l’«arbitraire» et les «irrégularités» qui ont marqué, selon lui, la mise en application de la loi sur l’audiovisuel, stigmatisant notamment le partage des médias entre les gens du Pouvoir. Le député de Beyrouth s’en prend notamment au chef du gouvernement qui l’ignore superbement, regardant du côté opposé ou fixant les papiers déposés devant lui. Il conclut en réclamant la révision, sur de nouvelles bases, «techniques et justes», du plan de réorganisation du secteur de l’audiovisuel. Le président de la Chambre, M. Nabih Berry, l’approuve.
M. Hariri est prié de répondre mais ce dernier laisse la parole à M. Bassem el-Sabeh: «Si je comprends bien, il faut retirer les licences accordées, ce qui est bien étrange à la lumière des derniers développements sur la scène médiatique et du ressentiment qu’a fait naître l’interdiction d’une interview télévisée». Il poursuit en précisant que l’affaire Aoun est «aujourd’hui entre les mains de la Chambre». M. Harb sursaute, scandalisé: «Il nous fait assumer la responsabilité des incidents de dimanche?». M. Sabeh poursuit en indiquant que l’octroi des licences était «dicté par des considérations relatives à l’intérêt du pays et des médias». Des «Ah» ironiques fusent. Le ministre contre-attaque en affirmant que de nombreux députés sont actionnaires des médias aujourd’hui mis en cause, ce qui suscite des remous dans l’Hémicycle. Un à un, il rejette les arguments développés par M. Wakim qui ne peut pas s’empêcher de commenter: «Si c’est dans un but caritatif que le gouvernement avait accordé les licences d’exploitation, il aurait mieux fait d’ouvrir des orphelinats».
On tourne en rond et c’est le député Nassib Lahoud qui intervient pour préciser que les points soulevés par son collègue de Beyrouth posent deux problèmes: le premier, d’ordre politique, est de savoir si les responsables ont le droit d’être actionnaires dans un média et si tel est le cas, dans quelle proportion. Le deuxième, d’ordre moral, est de savoir si les responsables peuvent profiter des décisions qu’ils prennent eux-mêmes. Evidemment, ces questions resteront sans réponses.

L’intervention
de Hariri

Le débat autour des libertés se poursuivra deux heures durant. Le président Hussein Husseini ainsi que Mme Nayla Moawad soulignent la nécessité que le Conseil national de l’audiovisuel soit doté de prérogatives lui permettant de prendre en charge le secteur de l’audiovisuel. Le président Hoss conteste à son tour les explications du ministre soulignant que certaines personnes détiennent «directement ou indirectement» plus de 10% des actions dans certains médias. M. Harb demande la réouverture du dossier de l’audiovisuel et la libération des jeunes aounistes arrêtés. Son collègue Pierre Daccache dénonce les atteintes aux droits de l’Homme et estime que l’entente nationale n’a pas été réalisée. Un peu plus tard on fera parvenir à M. Hariri un papier lui indiquant que les manifestants avaient été tous libérés. Il tend le papier au ministre de l’Intérieur, M. Michel Murr, puis au chef du Législatif et c’est M. Murr qui annonce la nouvelle.
MM. Murr et Hobeika précisent ensuite, catégoriques, qu’ils ne sont actionnaires dans aucun média, répondant ainsi aux accusations de M. Wakim. C’est le chef du gouvernement qui prend la parole en dernier. Il commence par des généralités en rappelant les circonstances dans lesquelles il avait convoqué les responsables à la suite de la diffusion de programmes «en opposition avec les valeurs dans le pays». Puis il aborde l’affaire de la MTV en s’abstenant toutefois de mentionner le nom du général. «Le ministre de l’Information avait convoqué M. Gabriel Murr et avait exprimé devant lui le souhait que l’interview ne passe pas. Vous savez tous de quels programmes je parle. Il ne lui a intimé aucun ordre. Il lui a précisé qu’il ne va pas l’empêcher de diffuser le programme. C’est donc le responsable de la chaîne qui a lui-même interdit le programme. Pourquoi? Parce qu’une semaine plus tôt, des propos dangereux et incorrects avaient été tenus dans un programme similaire (en allusion à l’interview du président Gemayel) par quelqu’un qui détenait un poste de responsabilité au sein de l’Etat et auquel personne n’avait pu répondre. Il est vrai que les gens sont égaux mais ils n’ont pas tous les mêmes responsabilités. Il faut comprendre que les propos diffamatoires détruisent la confiance placée dans le pays. Les propos d’un citoyen ordinaire n’ont pas le même impact que ceux d’un chef d’Etat», déclare M. Hariri qualifiant de «mensongers» les propos du président Gemayel sur l’offre qu’il lui aurait faite par le biais de M. Sami Maroun en échange de sa nomination à la tête du gouvernement. Le premier ministre indique aussi que c’est M. Maroun qui lui avait proposé de le mettre en contact avec les Israéliens et qu’il avait catégoriquement refusé, ce qui avait entraîné la destruction du complexe de Kfarfalous qui lui appartenait.
Il revient sur l’histoire de la MTV en affirmant qu’il avait formulé le souhait devant les responsables des chaînes de télévision que les programmes politiques similaires aux interviews du général Aoun et du président Gemayel soient «organisés de manière à pouvoir donner immédiatement la parole à une personne mise en cause sur l’antenne. Nous n’avons peur de personne et nous n’avons rien à dissimuler. Voilà tout ce qui s’est passé. Et même si Télé-Liban, la Future TV ou la NBN passent des programmes portant atteinte à la moralité ou aux lois, elles seront fermées».
Sceptiques, beaucoup de députés l’étaient et laissaient entendre que l’Exécutif ne voulait simplement pas que le général apparaisse sur le petit écran libanais après sept ans d’absence et notamment après avoir vu l’impact de l’interview du président Gemayel sur l’opinion publique. Sur ce plan, M. Chaker Abou Sleiman s’est interrogé sur le point de savoir pourquoi le gouvernement n’a pas demandé à la MTV de passer l’interview du général et de donner en même temps la parole à M. Hariri ou à un des ministres. Selon lui, le gouvernement aurait peut-être formulé le souhait de ne pas voir l’interview diffusée, «mais il s’agit sûrement d’un souhait qui sous-entendait une menace».
M. Hariri sortira tout de suite après. Un peu plus tard, c’est M. Michel Murr qui s’expliquera au sujet de la confrontation du dimanche entre les agents de la brigade anti-émeute et les jeunes aounistes qui protestaient contre l’interdiction de l’interview. Il souligne que le gouvernement fait montre depuis quelques mois d’intransigeance dans le domaine de la sécurité, parce qu’après une série d’opérations israéliennes ratées au Liban-Sud, il avait reçu des informations selon lesquelles Tel-Aviv pourrait entreprendre des opérations terroristes à l’intérieur du pays. «Nous tenons à ce qu’il n’y ait pas de manifestations, notamment la nuit. Un étranger aurait bien pu se faufiler parmi les manifestants et tirer sur un agent de la police et provoquer ainsi un bain de sang», note-t-il faisant remarquer que les aounistes refusaient de se disperser et avaient bousculé les agents de l’ordre.
M. Jamil Chammas pose ensuite le problème d’un comité de naturalisation qui aurait escroqué plusieurs personnes et M. Murr explique que son département ne peut pas réagir et mener une enquête que s’il est saisi d’une plainte. Son collègue Zaher el-Khatib interroge le gouvernement sur l’ensemble de sa politique «anticonstitutionnelle, injuste et arbitraire». Il parle d’hégémonie, d’atteintes à la Constitution, aux lois, aux chartes internationales, aux droits de l’Homme, aux libertés publiques personnelles, politiques, syndicales et médiatiques, de promesses jamais tenues, de réforme administrative, du retour des déplacés. «C’est une interpellation ou un débat de politique générale?» commente M. Berry. Comme il est pratiquement impossible de répondre dans le détail à chacun des points soulevés, le vice-président du Conseil souligne qu’il n’a rien à ajouter à «la réponse en 6 pages fullscape» que le gouvernement avait fait parvenir au député.
M. Harb, qui accuse le gouvernement d’«impliquer la Syrie dans tout pour justifier son action», provoque l’ire du ministre de l’Information qui s’emporte et jette la balle dans le camp des députés.
Une deuxième interpellation de M. Wakim au sujet des conditions d’arrestation d’Oumayya Abboud et des cinq membres de l’Armée rouge japonaise lance pendant un certain temps le débat autour du mécanisme de travail de la justice. Le président de la Chambre intervient à temps pour empêcher que le débat entre le député et le ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah, ne dégénère.

Augmentation
des taxes

Levée à 14h40, la séance reprend peu après 18h avec une interpellation de M. Ali el-Khalil au sujet des indemnités payées aux agriculteurs à la suite de l’opération militaire israélienne d’avril 1996. Le ministre de l’Agriculture, M. Chawki Fakhoury, explique qu’à la suite d’objections formulées par certains agriculteurs, le Haut comité de secours que préside M. Hariri a chargé encore une fois l’armée d’effectuer un deuxième recensement sur base duquel il doit se prononcer sur la légitimité de nouvelles indemnités. M. Berry intervient pour demander à M. Fakhoury comment il accepte que ses prérogatives soient déléguées à une instance «anticonstitutionnelle» et déplore, ainsi que le président Husseini, l’indifférence avec laquelle le problème des agriculteurs est traité. M. Fakhoury précise que son budget ne lui permet pas de débourser ce genre d’aides, pendant que son collègue des Finances défendait la «légalité» du HCS.
M. el-Khalil demande ensuite à savoir pourquoi les fonctionnaires du secteur public n’ont pas bénéficié au même titre que le secteur privé d’une augmentation de 20% de leurs salaires, jugeant injuste qu’il y ait deux valeurs pour le salaire minimum dans le pays. M. Siniora souligne notamment qu’une majoration des salaires dans le secteur public ne peut être décidée que si le gouvernement a les moyens de la financer ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, d’autant qu’une augmentation de 20%, dit-il, coûtera à l’Etat 400 milliards de livres. Il saisit en même temps l’occasion pour souligner qu’il va être «indispensable» d’augmenter les taxes et les impôts en vue de pouvoir financer la nouvelle échelle des salaires dans le secteur public. Du tac au tac, le président de la Chambre répond: «Le Parlement et le gouvernement ne sont pas partenaires. Vous, vous voulez de nouvelles recettes, nous vous en proposerons: le téléphone cellulaire. Etudiez bien ce dossier et vous verrez que vous pourrez trouver les 400 milliards de livres». M. Wakim estime pour sa part que de nouvelles ressources pourront aussi être assurées «au cas où le gouvernement songerait à enquêter au sujet des marchés conclus de gré à gré», non sans avoir au préalable fait remarquer que l’Exécutif accusait la Chambre de «mettre en danger la sécurité du pays lorsqu’elle le mettait en garde contre une catastrophe financière». Approuvé par le chef du Législatif, M. el-Khalil insiste sur le fait que la surtaxe de 5000 livres sur l’essence, imposée en 1994, était supposée financer ces 20%. Un peu plus tôt, M. Siniora avait précisé qu’elle avait servi à financer le relèvement du salaire minimum. M. Berry empêche le ministre de prendre la parole, en soulignant avec humeur que c’était M. Hariri qui était censé répondre à ces questions. «Nous sommes au Parlement et il n’est pas permis qu’on n’en fasse pas cas», fulmine-t-il.
Aussi a-t-il décidé d’attendre aujourd’hui pour que le gouvernement puisse répondre par le biais de son chef, à une autre question relative au coût réel du projet d’élargissement de l’aéroport, confié au CDR.
La séance reprendra donc ce matin et pourrait être marquée par un vote de défiance que M. Wakim pourrait proposer. Le député a affirmé hier qu’il compte toujours prendre cette initiative que ses collègues de l’opposition n’approuvent toutefois pas.

Tilda Abou Rizk
«Avez-vous été convaincus par ce qui a été dit?» Pour une fois, les rôles sont inversés et ce sont les ministres qui interrogent les journalistes. Ils voulaient savoir si, comme eux, ils sont restés sceptiques ou s’ils ont été convaincus par les motifs présentés par le chef du gouvernement et son ministre de l’Information, pour expliquer les raisons pour lesquelles...