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Actualités - REPORTAGE

La cour a achevé hier la lecture des pièces du dossier dans l'affaire Karamé Devant le juge d'instruction, Matar a chargé les FL, affirmant qu'il les craignait (photos)

Alors que s’ouvre en France le procès de l’historique Carlos, le Liban n’en finit plus de régler ses comptes avec le passé ... La seconde audience du procès Karamé a mis hier l’accent sur les divisions du pays à l’époque de l’assassinat mais aussi sur les relations qu’entretenait l’armée avec les forces dites du fait accompli.
«Oubliez-vous ce qu’il a nous a fait et ce qu’il a fait à l’armée? Cet homme est une calamité pour la patrie». Toute l’ambiance confessionnelle et les ingrédients de la guerre libanaise, dans son volet civil, sont résumés dans cette phrase qu’aurait lancée, selon le brigadier Khalil Matar (un des 5 inculpés présents dans le procès de l’assassinat de Rachid Karamé) le chef du service de sécurité des FL dissoutes, Ghassan Touma, pour justifier l’idée du crime. Et, hier, dans la grande salle du tribunal, on se serait cru revenu dix ans en arrière, à ce triste 1er juin 1987, lorsque l’hélicoptère transportant le premier ministre en exercice Rachid Karamé a explosé dans l’air avant d’atterrir en catastrophe à l’aéroport controversé de Halate, qui n’accueillit d’ailleurs plus jamais un avion officiel.
D’un côté, les Karamé ,avec leurs nombreux partisans, unis comme un seul homme, et de l’autre, Mmes Geagea et Kanaan, ainsi que les familles des autres inculpés (Antoine Chidiac, Aziz Saleh et Camille Rami) et les partisans des FL dissoutes. Entre les deux, les 5 membres de la Cour de justice, présidée par M. Mounir Honein, qui tentent de maintenir le procès dans son cadre légal, loin de toute considération politique. Entreprise difficile, dans cette affaire plus encore que dans les précédentes, tant les blessures sont loin d’être cicatrisées et tant le dossier paraît complexe.
C’est que pour la première fois dans les procès impliquant Samir Geagea, la défense ne semble pas devoir faire front commun. Au contraire, en répondant aux questions du juge d’instruction et de l’enquêteur des services de renseignements de l’armée, le brigadier Khalil Matar a chargé aussi bien les Forces libanaises que leur chef. Que dira-t-il devant la Cour de justice? Il faudra attendre encore pour le savoir, mais déjà, c’est un peu le procès de toute une période, celle où l’armée devait faire le gros dos devant les forces du fait accompli et souvent composer avec elles, qui s’ouvre aussi en même temps que celui de l’assassinat de Rachid Karamé.
Si M. Omar Karamé n’est pas venu hier, ses deux fils , Khaled et Fayçal, eux, étaient là, fustigeant du regard un Samir Geagea presque guilleret, dans son col roulé rouge et son pull Lacoste. Mais le chef des FL dissoutes est désormais habitué à être regardé tantôt comme une curiosité et tantôt avec une sorte de haine primitive. De son côté, il ne songe qu’à regarder son épouse, Sethrida, et les quelques visages connus de l’époque où il était chef incontesté de toute une région. Ils sont d’ailleurs de plus en plus rares, le temps passe si vite.
Dans la salle du tribunal, hier, il n’y avait pas que les habitués. Le député Zaher Khatib, assis au premier rang réservé à la partie civile, est venu par solidarité avec les Karamé, et surtout pour témoigner de la dimension nationale de la victime, qui, à ses yeux, n’était pas un premier ministre ordinaire ou confessionnel comme on a voulu le présenter, mais plutôt un leader qui croyait dans l’unité du pays et de ses fils.

Procès-verbaux
des interrogatoires

Les avocats de la partie civile et de la défense ayant décliné leurs identités respectives, le président Honein a entamé la lecture des pièces du dossier. D’une apparence bourrue, qui cache mal une gentillesse certaine, le président de la cour a demandé à chacun de ses assesseurs de lire les procès-verbaux des interrogatoires des inculpés devant le juge d’instruction et au cours de l’enquête préliminaire. Si Samir Geagea s’est abstenu de répondre aux questions de M. Ghantous, aussi bien Khalil Matar que les trois autres inculpés ont donné des dépositions très intéressantes. Le brigadier Matar a ainsi expliqué que s’il a noué des liens assez étroits avec les Forces libanaises et plus particulièrement avec Samir Geagea et Ghassan Touma, c’est parce qu’il y avait été poussé par ses supérieurs, le commandant en chef Ibrahim Tannous puis le commandant en chef Michel Aoun. Selon lui, le commandement avait conseillé aux officiers de coopérer avec les forces du fait accompli afin de se protéger et de protéger leurs hommes. Le brigadier Matar a aussi précisé que s’il recevait des sommes irrégulières de Ghassan Touma, il les utilisait pour aider ses soldats et pour l’entretien des bâtiments et surtout des hélicoptères, puisqu’il était responsable de la position de Kleyate puis de la base aérienne d’Adma.

Le «crime des autres»

Concernant l’assassinat de Rachid Karamé, Matar a déclaré que Touma lui avait parlé de ce projet, l’attribuant à une autre partie, les renseignements de l’armée libanaise, dirigés alors par le colonel Simon Kassis, avec lequel il était en conflit. C’est qu’à l’époque, les renseignements étaient en conflit avec le commandant de l’armée, le général Aoun, et Matar était avec ce dernier. Il a ensuite raconté sa version des faits qui se sont produits le lundi 1er juin 1987. Ghassan Touma lui avait demandé de se rendre chez lui, à Fatka, tôt le matin. ce qu’il avait fait, arrivant en short et espadrilles mais portant un poste émetteur qu’il a appelé une sorte de tour de contrôle mobile. Touma lui remet des lunettes de soleil et un béret «pour qu’il ne soit pas reconnu» et l’emmène à la base maritime de Jounieh. Tous deux, accompagnés de Ghassan Menassa qui tenait une petite valise et d’Antoine Chidiac, grimpent à bord d’un canot de type «cigarette» et se dirigent au large de Halate. Dans sa déposition, Matar a déclaré qu’il croyait venir assister au crime que devaient accomplir «les autres». Mais une fois le moteur éteint, Touma s’est mis à guetter le ciel. Un premier hélicoptère a commencé à poindre à l’horizon et le poste émetteur du brigadier qui capte les communications des pilotes à bord de leurs engins volants a laissé entendre un «proceeding to Adma». Selon Matar, Touma se serait écrié: «Ce n’est pas celui-là», alors qu’Antoine Chidiac lui a attribué la remarque. De même, lorsque le «bon» hélicoptère (le Puma 906 à bord duquel se trouvait M. Karamé) est apparu, Matar a affirmé que Touma s’est écrié: «C’est lui», avant que Menassa ne presse le bouton de la radio commande qui a fait exploser l’hélicoptère. Par contre, Chidiac a affirmé au juge que c’est Matar qui a lancé: «C’est lui». Cette phrase est très importante car elle constitue en quelque sorte le feu vert donné au crime. Le juge d’instruction avait d’ailleurs procédé à des confrontations entre les deux hommes, mais chacun était resté sur sa version.
Matar a aussi raconté qu’en demandant des explications à Touma, celui-ci lui aurait répondu: «Oubliez-vous ce qu’il a fait à l’armée? Cet homme est une calamité pour la patrie». Selon Matar, il ignorait le but exact de cette «promenade en bateau». Il ne l’a su qu’en mer, lorsque Touma lui a expliqué ce qui allait se passer, en ajoutant: «Samir (Geagea) vous salue et il est très heureux que vous soyez avec nous». Ce qui, selon lui, est une preuve indiscutable du fait qu’il était au courant de l’opération. Interrogé par le juge d’instruction, Matar a aussi précisé que Touma a voulu qu’il vienne avec eux parce qu’à l’époque, les FL ne pensaient pas que la roue pourrait tourner et elles voulaient lui montrer leur force pour l’effrayer. Matar essaie ainsi de dire que «la tour de contrôle mobile» qu’il avait amenée avec lui n’était pas un élément déterminant du crime et même n’a été d’aucun apport. Naturellement, tous ces éléments seront longuement évoqués par la cour qui essaiera de faire la lumière sur les points obscurs.

Les questions de
fond pour 1998

De son côté, Aziz Saleh a déclaré au juge d’instruction qu’étant un garde du corps de Ghassan Touma, ce dernier lui avait demandé d’accompagner Joseph Succar pour que celui-ci prenne des photos de la base aérienne d’Adma. Ils auraient fait le trajet à plusieurs reprises, mais il a affirmé que son rôle avait été tout à fait secondaire.
Quant à Camille Rami, sergent de l’armée libanaise et travaillant sous les ordres du commandant Keitel Hayeck (actuellement détenu en Syrie), sa mission s’est limitée à une tentative avortée de jeter un explosif sur la tombe de Rachid Karamé à Tripoli pour donner de nouvelles pistes à l’enquête.
Les principales pièces du dossier (qui comporte quelque 8000 pages) ont été ainsi lues à tour de rôle par MM. Honein, Harmouche, Zein, Moallam et Riachi (qui a sans doute brisé les records de la rapidité en matière de lecture, prouvant ainsi sa parfaite connaissance du dossier). Et vers 18h30, le président a lu la liste des témoins de l’accusation, parmi lesquels il y a d’anciens responsables des FL, tels que Nader Succar et Tony Aboujaoudé (alias Zorro), mais aussi Robert Abi Saab et Fadi Ghosn et surtout Karim Pakradouni, qui attend toujours la décision du bâtonnier Klimos pour savoir s’il pourra défendre Geagea ou non.
Le président Honein a fixé la prochaine audience à vendredi, précisant qu’elle sera consacrée aux exceptions de forme que soulèvera Me Edmond Naïm au sujet notamment de l’incompétence de la cour à traiter ce dossier, de la demande d’annulation de certains interrogatoires préliminaires et de l’application de la loi de la guerre à l’époque de l’assassinat qui doit être, selon lui, considéré comme un crime politique. Les avocats de la partie civile, ainsi que le parquet, représenté hier par M. Amine Bou Nassar et Mme Rabiha Ammache, auront le droit de répondre à la plaidoirie de Me Naïm.
Ainsi, le procès n’abordera les questions de fond qu’à partir de la nouvelle année. D’ici là, chaque partie fourbit ses armes et ses arguments, alors que les citoyens qui suivent l’affaire sont replongés dans un passé qu’ils préféreraient oublier. Au Liban, ces derniers temps, l’Histoire semble faire marche arrière.
Scarlett HADDAD
Alors que s’ouvre en France le procès de l’historique Carlos, le Liban n’en finit plus de régler ses comptes avec le passé ... La seconde audience du procès Karamé a mis hier l’accent sur les divisions du pays à l’époque de l’assassinat mais aussi sur les relations qu’entretenait l’armée avec les forces dites du fait accompli.«Oubliez-vous ce qu’il a nous a...