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Actualités - REPORTAGE

MEA : on plane dans le brouillard

Le mois de décembre est décidément très chargé au Palais de justice. L’an dernier, il y a eu «l’affaire des rafles» à la suite de tirs sur un minibus syrien à Tabarja et, cette année, c’est au tour de la MEA de mobiliser le Parquet et... forcément les journalistes. Commencée il y a une quinzaine de jours, l’enquête sur le contrat de location par la MEA de trois avions de type «Airbus», le 4 juillet dernier, pour une durée de 5 ans, se poursuit d’arrache-pied. Et, selon des sources judiciaires, les investigations effectuées hier par le chef de la brigade criminelle, le général Salem, sous la supervision du procureur général Adnan Addoum, ont permis de cerner un peu mieux les responsabilités. Même si, jusqu’à présent, il n’a pas encore été possible de prouver l’existence de commissions dans le cadre du contrat. Aujourd’hui, le général Salem pourrait entendre Marwan Bardawil placé en garde à vue depuis 15 jours (VOIR ENCADRÉ), et, demain, il entreprendra une nouvelle série d’auditions...
Tout ce qu’il y a, pour l’instant, c’est que le contrat et la manière dont il a été conclu semblent suspects. Les contradictions dans les dépositions des différentes personnes entendues augmentent encore les doutes des enquêteurs et leur permettent de croire à l’existence de certaines illégalités.
Le PDG de la compagnie, M. Khaled Salam, aurait ainsi affirmé au général Salem qui, en 15 jours, l’a déjà entendu près de 20 heures, qu’il avait reçu un mandat des membres du conseil d’administration pour négocier le contrat et qu’il les avait consultés avant de le signer. De leur côté, les membres du conseil d’administration de la compagnie, formé de 12 membres, dont la plupart sont étrangers à la MEA et ont été nommés — ainsi que le PDG — pour des considérations politiques — auraient déclaré qu’ils avaient effectivement mandaté M. Salam pour la négociation du contrat, mais que celui-ci ne les avait pas consultés, tout comme ils n’ont pas eu connaissance du texte, avant qu’il ne soit signé — par correspondance — comme cela se passe dans certains contrats commerciaux — par les deux parties, M. Salam d’une part et le PDG de la Singapore Airlines, M. Khoo Soo Hock, d’autre part. L’un d’eux aurait même présenté au général Salem une copie du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration en date du 4 juillet, dans laquelle M. Salam informait les membres des détails de la transaction, alors que celle-ci avait été déjà signée.

Contradictions

Interrogé par le général Salem, M. Khaled Salam aurait précisé qu’il avait agi en coordination avec le directeur général de la compagnie, M. Youssef Lahoud. Or, au cours d’une confrontation devant le chef de la brigade criminelle, celui-ci aurait totalement nié cette affirmation. D’ailleurs, dans la première réunion du conseil d’administration, fraîchement nommé, le 18 septembre 1995 (dont une copie du procès-verbal se trouve entre les mains du général), M. Khaled Salam avait décidé de modifier le règlement interne de la compagnie, limitant les prérogatives du directeur général à la signature des contrats des affaires courantes et quotidiennes et donnant au PDG le pouvoir de signer les contrats importants et même de moindre importance.
Concernant le contrat de bail avec la Singapore Airlines, M. Salam aurait déclaré au chef de la brigade criminelle qu’il n’a pas été informé de la vente des avions loués à la MEA à la compagnie américaine SALE, avant sa conclusion. Alors que certains membres du conseil d’administration, entendus au cours de l’enquête, soutiendraient le contraire.
Enfin, en novembre et à la suite des critiques que lui auraient adressées les membres du conseil d’administration, M. Salam aurait proposé de former une commission, chargée d’améliorer les clauses du contrat. Mais, certains membres du conseil lui auraient justement reproché de s’y être pris un peu tard... D’ailleurs, au cours du conseil d’administration du 19 novembre qui avait, entre autres, étudié le contrat, après l’ouverture de l’enquête judiciaire, M. Georges Yacoub avait enregistré dans le procès-verbal son opposition à la transaction, «car elle ne contient pas une clause anticorruption». Le général Salem, qui a déjà entendu en plus du PDG et du directeur général de la compagnie MM. Mahfouz Skayné et Hussein Kanaan (membres du conseil d’administration), entendra demain, jeudi, M. Yacoub, justement pour connaître sa position véritable au sujet du contrat de bail. Rappelons que M. Kanaan s’y était ouvertement opposé et, selon certaines sources, c’est lui qui aurait alerté la Banque centrale, alors que la position de M. Skayné aurait été plus mitigée.
Hier, le général Salem a aussi entendu deux ingénieurs, MM. Iskandar Nahas et Nazareth Karakachian, qui, selon M. Salam, auraient été chargés d’inspecter les 3 avions avant la conclusion du contrat. Entendus séparément par le général Salem, les deux ingénieurs auraient précisé qu’ils n’avaient pas inspecté eux-mêmes les avions, mais que c’est le technicien Walid Bouhayra qui se serait rendu à Singapour et il aurait inspecté les avions au sol. L’inspection poussée a été effectuée à Beyrouth, une fois les avions livrés, après la signature du contrat. Le général Salem compte d’ailleurs entendre M. Bouhayra pour obtenir plus de précisions à ce sujet. De plus, le général Salem entendra aussi deux autres techniciens, MM. Antoine Thoumy et Antoine Mahfouz, afin de vérifier les dires des deux autres. Ils avaient été convoqués hier mais, faute de temps, ils n’ont pu être introduits chez le chef de la brigade criminelle.
Naturellement, le général Salem entendra aussi, comme chaque fois, MM. Salam et Lahoud, ainsi que le fils du PDG, M. Sélim Salam. Le rôle de ce dernier n’a pas été encore clarifié: il aurait affirmé au général Salem qu’il travaillait à la banque américaine American Express à New York. Celle-ci l’aurait envoyé à Singapour en novembre 96 pour étudier les possibilités de financer l’achat d’avions par la compagnie américaine Silk Aviation. Il aurait aussi affirmé que cela n’a rien à voir avec la transaction avec la MEA dont les négociations n’ont commencé qu’en février 97. Le général Salem lui aurait alors demandé de prouver ses dires et le jeune Salam a présenté hier une lettre de la banque américaine précisant qu’il avait été effectivement envoyé en mission à Singapour en novembre 1996. Le général a toutefois estimé que c’était insuffisant et il veut voir l’ordre de mission rédigé avant le départ de Sélim Salam pour Singapour. C’est pourquoi il l’a de nouveau convoqué pour demain jeudi.
Voilà donc où en était l’enquête sur le contrat de bail, hier. Reste l’affaire des 3 avions de type «Boeing» vendus par la MEA à la compagnie américaine AIA. Selon des sources judiciaires, c’est M. Mahfouz Skayné qui, au cours de son audition par le général Salem, aurait évoqué cette histoire. Enquête faite, il serait apparu que les 3 avions en question n’étaient plus en très bon état et leur entretien aurait coûté près de 60 millions de dollars. C’est pourquoi le conseil d’administration, avec l’approbation de l’Assemblée générale de la compagnie et celle de la Banque centrale, aurait décidé de les vendre. En principe, ils doivent être livrés au plus tard le 15 février 1998. Un des avions est d’ailleurs déjà aux mains de l’acheteur, mais les deux autres ont été loués jusqu’à la fin de l’année actuelle. Toutefois, ayant eu vent des problèmes actuels de la MEA, la AIA aurait exigé une livraison rapide des deux avions restants. Pourtant, la MEA ne peut le faire puisque les avions sont loués jusqu’à la fin de l’année. L’affaire n’aurait donc rien d’illégal, mais elle montre à quel point la crédibilité internationale de la MEA commence à être ébranlée. Cela devrait d’ailleurs prêter à réflexion... D’autant que, selon des sources proches de la compagnie, celle-ci ne posséderait que 9 avions: deux Airbus de type 310-300 (pour les longues distances), deux autres 320-321 (pour les trajets moyens), les trois Airbus loués à la Singapore Airlines (dont deux ont été livrés alors que le troisième ne le sera qu’en février 98) et deux Airbus 310-300 achetés à la compagnie des Airbus. Ces deux avions se trouvaient au Koweit. Pendant la guerre du Golfe, l’Irak s’en était emparé et les avait en principe mis à l’abri en Iran. Mais aujourd’hui, ils sont en réparation en Irak... La compagnie possède aussi quelques Boeing 707 qui ne sont plus utilisés que pour les courts trajets. Ainsi, si la transaction avec la Singapore Airlines est annulée, la MEA aura des problèmes pour assurer des vols sur toutes ses lignes...Un élément de plus qui risque de porter atteinte au prestige et à l’efficacité de la compagnie. Au-delà d’une transaction peut-être suspecte, la question essentielle demeure: pourquoi s’acharne-t-on sur la MEA?

Scarlett HADDAD
Le mois de décembre est décidément très chargé au Palais de justice. L’an dernier, il y a eu «l’affaire des rafles» à la suite de tirs sur un minibus syrien à Tabarja et, cette année, c’est au tour de la MEA de mobiliser le Parquet et... forcément les journalistes. Commencée il y a une quinzaine de jours, l’enquête sur le contrat de location par la MEA de trois...