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Actualités - CHRONOLOGIE

MEA : le mystère des commissions n'a toujours pas été élucidé Les avocats de Bardawil affirment qu'ils présentent aujourd'hui les preuves de son innocence (photos)


Depuis qu’a éclaté l’affaire de la location des trois avions Airbus par la MEA, la compagnie nationale est plongée dans une zone de turbulences. Suivant le principe des poupées russes, chaque société semble en cacher une autre et les noms, fictifs ou réels, ainsi que les millions de dollars, disparus ou encaissés par des parties occultes, donnent du fil à retordre au chef de la brigade criminelle, le général Béchara Salem, chargé de l’enquête judiciaire préliminaire, supervisée par le procureur général près la Cour de cassation, M. Adnan Addoum.

Hier, au bout d’une longue journée d’auditions au Palais de justice, le général Salem a décidé de maintenir Marwan Fouad Bardawil en détention préventive, tout comme il a gardé en liberté le directeur de la MEA, M. Youssef Lahoud, qui doit toutefois rester à la disposition de la justice. Mardi prochain, le général Salem entendra le PDG de la MEA, M. Khaled Salam, qui doit lui remettre des documents portant, entre autres, sur des procès-verbaux du conseil d’Administration de la compagnie, au moment de la conclusion de la transaction. La justice voudrait ainsi savoir qui a signé ces procès-verbaux et qui, par conséquent, est au courant du contrat de location jugé suspect. C’est que, pour l’instant, «nous n’avons réalisé que 10% de l’enquête», a déclaré le procureur général près la Cour de cassation.
Selon M. Addoum, des commissions ont certainement été versées, mais il ne peut encore en déterminer le montant. L’enquête étant en principe secrète, les éléments qui ont filtré à la presse sont les suivants:
La MEA a loué le 4 juin dernier trois avions de type Airbus à la Singapore Airlines pour une période de 5 ans et pour un montant total de 39 millions de dollars. Ce contrat de location aurait été conclu par la MEA avec la Singapore Mauritius, société appartenant à la Singapore Airlines et créée spécialement pour traiter cette affaire. Le 31 juillet, la Singapore Airlines a vendu ces mêmes avions à la Singapore Aircraft Leasing Enterprise (SALE) dont la société Boullioun Aviation Services Inc, établie aux Etats-Unis, est le principal actionnaire.
Selon des sources judiciaires, les trois avions ont été vendus pour près de 45 millions de dollars, c’est-à-dire à peine plus que le prix de la location par la MEA. C’est ce qui, d’ailleurs, a attiré l’attention de la Banque centrale, qui a aussitôt flairé le coup fourré et a demandé l’ouverture d’une enquête judiciaire.
A la demande du procureur Addoum, le général Salem essaie de savoir la raison du montant extrêmement élevé de la location, et par conséquent de connaître l’identité des personnes qui auraient encaissé des commissions dans cette transaction suspecte.

A la recherche des
acteurs essentiels

C’est là qu’intervient Marwan Bardawil, placé en garde à vue depuis lundi. Selon des sources judiciaires, Marwan et son père Fouad sont propriétaires de la «Société Bardawil pour l’aviation offshore», une compagnie libanaise spécialisée dans la vente et l’achat d’avions. Mais ils sont aussi les agents de la Boullioun pour le Moyen-Orient. Et les avocats de la Banque centrale, MM. Chawki Kazan et Michel Tuéni, auraient remis à la justice des documents prouvant que les Bardawil auraient reçu au cours de cette année des sommes d’argent régulières de la Boullioun. Selon certaines sources, ces documents leur auraient été communiqués par leurs partenaires aux Etats-Unis, l’étude Peddington. C’est sur base de ces documents que la justice a pensé à une implication des Bardawil (père et fils) dans le contrat de location suspect. Le général Salem a ainsi décidé de placer Marwan Bardawil en garde à vue et il espère pouvoir entendre aussi son père, Fouad installé à Dubaï. La justice souhaite parvenir ainsi à connaître l’identité des partenaires des Bardawil (au cas où la responsabilité de ces derniers serait prouvée), au sein de la MEA, qui auraient touché le reste de la commission, dans le contrat de location des avions.
Le chef de la brigade criminelle a ainsi entendu hier longuement M. Bardawil, et les journalistes qui faisaient les cents pas à proximité du bureau du général ont pu entendre de violents éclats de voix. En début d’après-midi, M. Bardawil a été ramené par les forces de l’ordre dans sa cellule aux arrêts, mais en prenant l’ascenseur, il a crié aux journalistes: «Si vous voulez des informations, contactez mes avocats».
Mes Badawi Abou Dib, Joseph Khoury-Hélou et Tony Abou Dib (les avocats de Marwan Bardawil) ont justement révélé à «L’Orient-Le Jour» qu’ils présenteront ce matin au parquet des documents prouvant l’innocence de leur client, qui, selon eux, n’a, ainsi que son père, strictement rien à voir avec le contrat de location entre la MEA et la Singapore Airlines, ni avec la SALE qui a racheté les avions.
Me Khoury-Hélou a été encore plus précis, ajoutant que, contactée par les avocats, la Boullioun a envoyé des relevés des montants qu’elle a versés aux Bardawil qui se sont de l’ordre de 2500 dollars par mois. Selon les avocats, il s’agit de simples honoraires et le montant des sommes est dérisoire par rapport à l’ampleur du contrat.
D’ailleurs, le procureur général, M. Addoum, a reconnu lui-même hier que Marwan Bardawil — même si son implication est établie —, n’est qu’un élément secondaire dans l’affaire. «Mais, grâce à lui, on pourrait remonter aux acteurs essentiels», a-t-il ajouté.
Toujours selon M. Addoum, le rôle du directeur de la compagnie nationale, M. Youssef Lahoud, qui a été entendu hier par le général Salem, n’est pas non plus très clair. M. Lahoud aurait totalement nié avoir été informé de la transaction au moment de sa conclusion, et le général Salem a finalement décidé de le laisser en liberté, tout en lui demandant de rester à la disposition de la justice.
Quant au fils de Khaled Salam, M. Sélim Salam, qui a été aussi entendu hier par le chef de la brigade criminelle, parce qu’il serait l’un des actionnaires de la Singapore Mauritius, appartenant à la Singapore Airlines et chargée de négocier le contrat de location, il a été aussi gardé en liberté et il ne semblerait pas mêlé à la transaction.
Reste le PDG de la compagnie, M. Khaled Salam, nommé il y a deux ans. M. Salam a été convoqué hier au palais de justice, et il était censé présenter des documents portant sur le contrat de location, notamment les procès-verbaux du conseil d’administration relatifs à ce contrat. Or, selon M. Addoum, les documents qu’il a présentés hier ne sont pas suffisants et le procureur a déclaré: «Sil ne les présente pas mardi (date de son audition par le chef de la brigade criminelle), nous nous les procurerons de force».
En fait, la justice voudrait savoir qui, au sein de la compagnie, était au courant de la transaction, et par conséquent, a pu couvrir les énormes commissions versées en cours de route.
Mais au-delà de ce contrat certainement louche, puisque le montant de la location des trois avions est presque égal à celui de leur vente à la Singapore Aircraft Leasing Enterprise, beaucoup de questions se posent sur l’avenir de la compagnie nationale. Les détracteurs de la MEA se demandent pourquoi cette compagnie loue constamment des avions au lieu de les acheter, laissant ensuite entendre que la raison est évidente: les contrats de location permettent le versement de plus grandes commissions que les actes de vente. Ils se demandent aussi comment la MEA a récemment loué deux avions Airbus, de fabrication plus récente que les trois appareils suspects, à la compagnie Airbus elle-même, à un prix nettement inférieur à ceux loués à la Singapore Airlines.
De leur côté, les défenseurs de la compagnie pensent que s’il existe certainement des abus, le fait de donner une telle ampleur à ce contrat, aussi juteux soit-il, n’est pas tout à fait innocent. Selon eux, le but est de pousser l’actuel conseil d’administration de la compagnie à la démission et de favoriser ainsi la privatisation de la MEA. De telles rumeurs avaient d’ailleurs circulé il y a deux ans... Si l’enquête judiciaire se poursuit, le sort de la compagnie se jouera probablement le 6 décembre, date de la prochaine assemblée générale de la MEA. Et comme la Banque centrale en est le principal actionnaire, c’est elle qui aura le dernier mot. Officiellement du moins.
Scarlett HADDAD
S.H.
Depuis qu’a éclaté l’affaire de la location des trois avions Airbus par la MEA, la compagnie nationale est plongée dans une zone de turbulences. Suivant le principe des poupées russes, chaque société semble en cacher une autre et les noms, fictifs ou réels, ainsi que les millions de dollars, disparus ou encaissés par des parties occultes, donnent du fil à retordre au chef...