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Actualités - REPORTAGE

A la veille de l'ouverture du sommet d'Hanoï Guérilla contre Boutros-Ghali Les pays d'Afrique noire combattent sa candidature au secrétariat général de la francophonie

Les pays d’Afrique noire combattent sa candidature au secrétariat général de la francophonie

HANAOÏ, de notre envoyé spécial Roger Gehchan. —
On peut parler français et ne pas s’entendre. C’est ce qui est arrivé aux délégués à la conférence ministérielle de la francophonie réunie ici mardi et mercredi pour mettre au point l’ordre du jour du septième sommet de la francophonie qui doit se tenir du 14 au 16 novembre dans la capitale du Vietnam. Un clivage important est apparu dès l’ouverture des débats d’une part, entre le groupe des 29 pays africains, soutenu quelque peu sournoisement par le Québec, le Canada et la Belgique, et, d’autre part, les autres pays participants. Au sein de l’ensemble francophone, qui compte 49 membres (mais 43 pays seulement ont confirmé leur participation au sommet jusqu’à présent), le groupe africain est majoritaire.

Le désaccord est apparu essentiellement sur deux points: le choix du secrétaire général, ses attributions et le budget de l’ensemble francophone. Les pays d’Afrique noire auraient voulu que le secrétaire général soit choisi dans leurs rangs. Aussi avaient-ils appuyé la candidature d’Emile Zinsou, ancien président du Bénin et ancien président des congrès francophones. Mais la France a mené activement campagne en faveur de l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, qui est africain, certes, mais n’appartient pas à l’Afrique noire. La Belgique, le Canada et le Québec, qui sont toujours agacés lorsque, au sein de la communauté ayant en partage le français, Paris joue un rôle prépondérant, ont apporté un appui discret au groupe des 29. En définitive, sous la pression de la France, Boutros-Ghali partait largement favori, ce qui amené le Bénin à retirer la candidature de Zinsou. Dès lors, l’Egyptien restait seul en lice et était assuré d’être élu d’office.
Mais les Africains ont aussitôt engagé la bataille sur un autre front. Ne pouvant empêcher l’élection de l’ancien secrétaire général des Nations Unies, ils ont décidé de tenter de réduire l’importance des prérogatives qui lui seront conférées et la durée de son mandat (2 ans au lieu de 4). Ils ont également soulevé des questions en rapport avec le financement du secrétariat général et la charte de la francophonie. Au cours de la conférence ministérielle, les Africains ont manœuvré de telle sorte que le problème de la durée du mandat soit posé. Comme les ministres ne sont pas habilités à trancher ce point, qui relève de la seule compétence du sommet, ils ont décidé de renvoyer la patate chaude à celui-ci qui devra donc se prononcer. Et là, la polémique pourrait rebondir, car la France, l’Egypte et tous les pays qui les appuient (dont le Liban, notamment) tiennent à ce que le secrétaire général dispose de larges prérogatives afin de conférer à l’ensemble francophone un certain poids politique et de le doter d’un porte-parole. Le Liban appuie Boutros Boutros-Ghali avant tout parce que c’est l’homme qui, lorsqu’il était secrétaire général de l’ONU, a osé défier Israël et les Etats-Unis en publiant le rapport sur Cana qui retient la responsabilité de l’Etat hébreu dans le drame. Ce défi, Boutros-Ghali l’a payé cher puisqu’il lui a coûté le renouvellement de son mandat au Palais de Verre. Pour des raisons diamétralement opposées à celles du Liban, certains Africains critiquent le forcing de Paris en faveur du candidat égyptien, faisant valoir que la France tente ainsi de prendre sa revanche sur les Etats-Unis.

Chantage

Outre la question des prérogatives, les Etats africains et les délégations qui les appuient en sous-main se livrent maintenant à un chantage. Ils menacent de ne pas contribuer au budget de l’ensemble francophone. Leur apport financier est en fait négligeable, les gros bailleurs de fonds étant la France, le Canada et la Belgique. Or ces deux derniers pays ont apporté leur soutien au groupe africain et, fait à noter, les Canadiens sont représentés par trois délégations: celle du Canada proprement dit,et celles du Québec et du Canada-Nouveau-Brunswick. Les Belges, eux, sont représentés par deux délégations, celle de Belgique et celle de la communauté française de Belgique.
Outre la question des prérogatives du secrétaire général, de la durée de son mandat et des contributions budgétaires, le groupe africain demande que l’administrateur général de l’Agence de la francophonie relève directement du Conseil permanent de la francophonie et non pas du secrétaire général, ce qui réduirait là aussi l’importance des prérogatives de ce dernier. La conférence ministérielle n’a pas tranché ce point non plus, le renvoyant au sommet.
On voit donc que les débats qui vont s’ouvrir vendredi pourraient être assez animés et que des obstacles non négligeables pourraient se dresser devant les chefs d’Etat et de gouvernement, parmi lesquels on trouvera Jacques Chirac, arrivé mercredi à Hanoï, et Rafic Hariri attendu jeudi à 13 heures. Il n’empêche que le risque d’un véritable échec de sommet reste minime car l’enjeu de cette septième réunion francophone au plus haut échelon est très important.
L’élection d’un secrétaire général (et particulièrement d’un homme aussi expérimenté que Boutros-Ghali) vise à doter l’ensemble francophone, qui, pour le moment, est quelque peu une vaste nébuleuse, d’une structure et d’institutions, à lui conférer une stature politique, une présence sur la scène internationale, exclusivement dominée actuellement par la masse pesante, inflexible et froide des Etats-Unis. Et le groupe africain des 29, malgré la guérilla qu’il mène contre la prépondérance de la France au sein de l’ensemble francophone, a tout intérêt à faciliter l’avènement d’une telle entité à travers laquelle il pourra faire entendre sa voix. Mais deux questions se posent ici. La première porte sur le point de savoir si, étant donné la place qu’occupent les Etats-Unis, il y a encore de l’espace sur la scène internationale pour une autre entité, même aux ambitions modestes comme l’ensemble francophone. La seconde interrogation a trait à la cohésion, à la crédibilité de l’Association francophone, qui est en définitive un ensemble hétéroclite et au sein duquel la disparité économique est considérable.
Ainsi, la Suisse, pays membre, a un P.I.B. par tête de 46.000 dollars, contre 150 dollars pour le Burundi. C’est, du reste, pour cette raison peut-être que le Vietnam, pays-hôte du sommet, a placé la conférence sous le signe de l’économie en choisissant comme thème principal le «renforcement de la coopération et de la solidarité francophone pour la paix et le développement économique et social». C’est aussi probablement dans un souci de «dépolitiser» quelque peu la rencontre que le Vietnam, très sensible à tout ce qui pourrait paraître comme une hégémonie française, a choisi ce thème. Il reste que c’est la première fois qu’un sommet francophone se tient en Asie et le choix du Vietnam révèle la volonté de ce pays de poursuivre ses efforts en vue de sortir de son isolement. Un pays qui, en tout cas, avait réussi à infliger à l’Amérique une défaite humiliante et dont la population, malgré son extrême misère, témoigne d’un tact, d’une politesse, d’une élégance morale qui est le signe d’une vieille et authentique civilisation et d’une culture impérissable.

Les droits du peuple palestinien

La conférence ministérielle, au sein de laquelle le Liban est représenté par Michel Eddé et Khatchig Babikian, qui a clôturé ses travaux en renvoyant les sujets litigieux au sommet, a réussi, en revanche, à se mettre d’accord sur deux points favorables l’un au Liban, l’autre aux Palestiniens. Sur proposition de l’Egypte, appuyée par le Liban, le septième paragraphe du «projet de plan d’action» (qui constituera la «Déclaration finale du sommet de Hanoï) a été modifié de manière à reconnaître les droits du peuple palestinien. La Bulgarie et la Roumanie, dont on connaît les liens avec Israël, ont commencé par s’opposer à l’amendement proposé par l’Egypte et appuyé par le Liban. Après un long débat, l’amendement a été adopté à l’unanimité, la Roumanie et la Bulgarie se contentant d’exprimer leurs réserves. L’amendement apporté est le suivant: «Cette dernière (une paix juste et durable) doit être basée sur les principes de l’échange de la terre contre la paix, du droit de tous les pays de la région à vivre dans des frontières sûres et reconnues, du rejet du terrorisme sous toutes ses formes, du respect des accords conclus, du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à la construction de son Etat, ainsi que la levée des restrictions imposées à son peuple et l’importance primordiale de respecter les conventions de Genève pour la protection des personnes civiles dans les territoires occupés et la sauvegarde de ses ressources naturelles, aussi bien que le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays de la région, notamment le Liban par tous les moyens appropriés, notamment le Liban, en application de la résolution 425 du Conseil de sécurité».
R.G.
Les pays d’Afrique noire combattent sa candidature au secrétariat général de la francophonieHANAOÏ, de notre envoyé spécial Roger Gehchan. —On peut parler français et ne pas s’entendre. C’est ce qui est arrivé aux délégués à la conférence ministérielle de la francophonie réunie ici mardi et mercredi pour mettre au point l’ordre du jour du septième sommet de la...