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Actualités - INTERVIEWS

Ernesto Guevara et Orlando Borreguo à l'Orient Le Jour : le Che n'est pas mort pour rien (photos)

Récupéré par «l’Occident capitaliste», adulé par des millions de jeunes à la recherche d’un idéal, institutionnalisé par la révolution cubaine, Che Guevara n’est pas mort pour rien. Son plus jeune fils, Ernesto, et son compagnon de route, Orlando Borreguo, l’ont réaffirmé hier à «L’Orient-Le Jour». Certes, depuis leur arrivée à Beyrouth, dimanche soir, Ernesto Guevara et Orlando Borreguo multiplient les rencontres avec les jeunes et les visites aux officiels, accompagnés de l’infatigable ambassadeur de Cuba, Roberto Blanco Dominguez, mais ce n’est pas comme un entretien en privé, où l’on peut essayer d’en savoir plus sur le Che, cet homme mythique, devenu pour des millions d’êtres humains le symbole de la révolution et de la lutte pour un monde meilleur. Un symbole qui n’en finit plus de servir de référence à toutes les forces du changement dans le monde, du Mexique où l’âme de la révolte zappatiste, le sous-commandant Marcos, s’en est déclaré l’héritier, jusqu’au fin fond de l’Afrique. Et l’interview tant attendue — qui se déroule en présence de l’ambassadeur, de son épouse et, bien sûr, d’une interprète — est un instant privilégié, un de ces moments rares où on a l’impression de toucher à une vérité profonde.
Comme le rendez-vous est matinal, on s’attend à les voir tout ensommeillés, voire un peu ébouriffés. Mais non, s’ils ont quelques minutes de retard, ils n’en arrivent pas moins alertes et impeccables dans leurs costumes-cravates. Mais d’ailleurs, pourquoi, tout au long de leur séjour au Liban, portent-ils le plus souvent ce genre de tenue, plutôt étonnante chez des «révolutionnaires»?
La question les étonne un peu et c’est Orlando qui commence par y répondre. «Si nous venons en tenue de sport, on nous accuse de porter des vêtements démodés et lorsque nous sommes en costume, on nous critique. En réalité, nous sommes obligés de mettre une cravate pour respecter les coutumes et les contraintes du protocole. De toute façon, le Che disait que le socialisme ne doit pas être synonyme de mauvais goût».

Une bière Guevara

Ernesto Guevara — qui est visiblement un homme discret et peu loquace — renchérit: «En tout cas, ce ne sont pas les apparences qui comptent, mais ce qu’il y a à l’intérieur. Personnellement, je n’aime pas du tout porter la cravate, mais des fois, je suis contraint de le faire, par égard pour les autres...» D’ailleurs, à la fin de l’entretien, il reviendra sur la question et lancera avec humour: «C’est promis, plus jamais de cravate».
La tenue vestimentaire est une introduction pour aborder le problème de la récupération par l’Occident du mythe Guevara. Il y a désormais une bière à son nom, sans compter les multiples gadgets à son effigie. Et là, Ernesto s’anime: «Cette bière, lancée en Grande Bretagne, n’a rien à voir avec le Che. Personne ne nous a demandé notre avis à son sujet. De toute façon, nous sommes en train de prendre les mesures nécessaires afin que nul ne puisse utiliser le nom du Che sans notre accord. A Cuba, c’est le gouvernement et l’Union de la Jeunesse cubaine qui mettent en vente les tee shirts à l’effigie du Che ainsi que ses portraits, etc. Cette opération n’a aucun but commercial et les fonds ainsi recueillis sont utilisés dans des domaines sociaux ou pour l’organisation de congrès pour les jeunes. Je suis sûr que si le Che était avec nous, il serait d’accord avec notre façon de faire».
En regardant la situation actuelle dans le monde, notamment la quasi-disparition du bloc socialiste, ne pourrait-on pas dire que les choix du Che étaient faux?
Orlando Borreguo s’empresse de répondre, avec la passion des lutteurs, entièrement dévoués à une même cause: «Non, bien sûr que non, les choix du Che n’étaient pas faux. Preuve en est que, malgré la chute du bloc socialiste, Cuba brandit encore l’étendard de la révolution et je vous affirme qu’elle continuera à le faire. D’ailleurs, notre pays est respecté dans le monde entier, en raison justement de ses options. De plus, je suis sûr que nous pouvons reconquérir de nouveaux territoires. Au Nicaragua, le front sandiniste est très puissant et il a perdu les dernières élections de justesse. D’ailleurs, il n’aurait pas été écarté du pouvoir sans l’intervention des Américains et des mercenaires. En Afrique, le mouvement révolutionnaire regagne du terrain. Voyez le Congo où Kabyla a pris le pouvoir (Kabyla est un ancien compagnon du Che)...»

Vivant dans les esprits

— Avec l’aide des Etats-Unis?
«Je ne suis pas d’accord avec vous, proteste Borreguo. Le mouvement de Kabyla est progressiste. Regardez aussi la victoire de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Il a d’ailleurs lui-même déclaré qu’il avait vaincu en partie grâce à l’appui de la révolution cubaine...»
«Le Che n’est pas mort pour rien, ajoute Ernesto. Notre visite au Liban est la preuve qu’il est encore vivant dans de nombreux esprits, aux quatre coins du monde. Il y a aussi des mouvements révolutionnaires en Angola et en Namibie. Sa pensée continue de vivre».
«Et elle continuera à le faire, j’en suis sûr, souligne Borreguo. L’accueil chaleureux que nous a réservé le peuple libanais accroît encore mon optimisme».
Comment expliquent-ils le fait qu’au Liban, ils ont rencontré de nombreux officiels, qui sont les piliers d’un système capitaliste? «Nous avons reçu une invitation pour nous rendre au Liban, envoyée par le comité de soutien aux détenus libanais dans les prisons israéliennes. Le président de la République et le chef de l’Assemblée ont voulu nous recevoir et cela ne peut que nous honorer. D’autant qu’il existe de très bonnes relations entre le Liban et Cuba, tout comme entre Cuba et de nombreux pays capitalistes. Nous n’avons pas de relations avec les Etats-Unis et Israël seulement...»
Mais ils ne sont pas des émissaires officiels de leur pays. «Qu’importent ces détails. Ce sont des questions protocolaires. Ce qui compte c’est que le gouvernement capitaliste du Liban lutte pour la libération de son pays , dont une partie est occupée par Israël. Chacun a sa stratégie, mais tous ont des objectifs communs. En tout cas, nous n’avons pas de problèmes à ce sujet. Cuba s’apprête à accueillir le pape, de même que certains membres de notre parti communiste sont croyants. De toute façon, Cuba ne veut pas exporter sa révolution».
Mais la théorie des «foyers révolutionnaires» du Che ne vise-t-elle pas à rééditer l’expérience cubaine dans le reste du monde?
«Si nous nous sommes rendus dans d’autres pays, c’est à la demande des mouvements révolutionnaires locaux. Il ne s’agissait jamais d’une intervention dans les affaires internes. En Angola (où le corps expéditionnaire cubain comptait 30.000 hommes dans les années 80), c’est le gouvernement qui a sollicité notre aide. D’ailleurs , nous n’avons jamais eu l’intention de dominer ou de diriger ce pays».

Les divergences
avec Castro

Comment expliquent-ils les divergences entre Fidel Castro et le Che, qui ont d’ailleurs poussé ce dernier à quitter ses fonctions officielles pour se rendre en Bolivie?
«Ces prétendues divergences sont une pure invention de l’ennemi, assène Borreguo. C’est une grosse insulte pour nous, Cubains d’entendre ce genre de propos. Le Che et Fidel Castro s’aiment et s’apprécient depuis qu’ils se sont rencontrés la première fois, au Mexique. D’ailleurs, le Che a adressé une merveilleuse lettre d’adieux à Castro alors qu’il se trouvait en Bolivie et je l’ai publiée dans la presse cubaine, il y a près d’une semaine. Il lui écrivait ainsi régulièrement, notamment lorsqu’il se trouvait au Congo. Les deux hommes avaient une relation extraordinaire. Avec le temps, le monde finira par le comprendre».
Une dernière question, en dépit des signaux de l’ambassadeur, qui tient à ce que les deux hommes respectent l’emploi du temps. Ernesto est certes le fils d’un mythe, mais ne lui arrive-t-il pas de se dire qu’il aurait préféré avoir un père comme les autres, lui qui est devenu très tôt un orphelin?
Ernesto Guevara — qui semble plutôt calme généralement — s’anime: «C’est une grande chance pour moi d’avoir le Che pour père. Je suis fier d’avoir été mis au monde par un homme admiré par tant d’hommes dans le monde, notamment par tous ceux qui veulent changer ce qui est faux et rétablir la justice. S’il n’avait pas été mon père, je l’aurais sans doute choisi comme père spirituel, lui, ou alors Karl Marx, ou Lénine... Ou encore Borreguo», lance-t-il dans un éclat de rire, le premier et le dernier de cet entretien un peu rapide, un peu difficile à cause de la langue, mais si riche d’idées, d’émotion et de non-dits. C’est qu’il est si difficile de parler d’une légende, même avec ses proches. Surtout sans doute avec ses proches.

Scarlett HADDAD
Récupéré par «l’Occident capitaliste», adulé par des millions de jeunes à la recherche d’un idéal, institutionnalisé par la révolution cubaine, Che Guevara n’est pas mort pour rien. Son plus jeune fils, Ernesto, et son compagnon de route, Orlando Borreguo, l’ont réaffirmé hier à «L’Orient-Le Jour». Certes, depuis leur arrivée à Beyrouth, dimanche soir,...