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Actualités - REPORTAGE

La commission des finances a entendu hier leurs représentants Les organes de contrôle remettent aux députés un rapport sur la gaspillage officiel (photos)

Moins que le quart des informations fournies hier par les responsables des organes de contrôle sur le gaspillage dans les administrations publiques aurait amplement suffi, dans tout autre pays, à faire sauter le gouvernement. Mais nous sommes au Liban, un pays où l’on dépense toujours sans compter et où l’on compte surtout sur le contribuable pour remplir ces puits sans fond que sont devenues les caisses de l’Etat. Est-il pratiquement possible qu’un ministère expédie en un seul jour 276 dossiers d’adjudication de travaux? Normalement, la réponse est non, mais, chez nous, c’est compter sans le zèle de nos ministères. Tel est un exemple parmi plusieurs autres que les représentants de quatre organes de contrôle ont livré hier, Place de l’Etoile, durant la réunion à laquelle ils avaient été invités par la commission parlementaire des Finances et du Budget.
«J’étais tellement dégoûté que je n’ai plus voulu entendre. J’ai préféré sortir», nous confie M. Marwan Farès à sa sortie de l’hémicycle. Zaher Khatib en dit autant. On croyait que depuis le temps qu’il accuse le gouvernement de toutes sortes d’abus, le député de l’Iqlim el-Kharroub avait dépassé le stade où une information quelconque sur les pratiques gouvernementales pouvait encore le choquer. Mais apparemment ce n’est pas le cas. «Qu’ils disent encore que Sélim Hoss, Nassib Lahoud et Zaher Khatib sont de mauvaise foi! Ces gens (les représentants des organes de contrôle) sont venus confirmer qu’il y a des scandales partout, et pourtant ils ne font pas partie de l’opposition, pas plus qu’ils ne font de la politique», lance-t-il.
La réunion a duré un peu plus de deux heures, durant lesquelles les députés sont peu intervenus, préférant laisser parler MM. Assaad Doumit et Fouad Abdallah, du Conseil de la Fonction publique, Asadallah Charara, Kassem Makki et Sami Barakat, de l’Inspection centrale, Maurice Khawam et Atef Moukalled, du Conseil de discipline, Afif Mokaddem et Osman Tohmé, de la Cour des comptes.
Les indications qu’ils ont fournies sur les dépenses inutiles exorbitantes, le gaspillage, les transactions conclues en contradiction avec les lois et les règles en vigueur, le clientélisme sont pour le moins affolantes, comme le montre le rapport qu’ils ont présenté à la commission et dont on a pu avoir une copie (VOIR PAR AILLEURS). Ce rapport, préparé par la Cour des comptes n’évoque pas toutefois pas les activités des caisses autonomes, comme le Conseil de développement et de reconstruction, le Conseil du Sud ou la Caisse des déplacés, puisqu’elle n’a aucun droit de regard sur leurs activités.
Plus grave encore, après avoir commenté le Budget de cette année, les représentants des quatre organismes de contrôle ont laissé entendre que le projet de Budget de 1998 prévoit également une série de dépenses inutiles, selon des sources parlementaires. Aussi, ont-il demandé que soit appliqué l’arrêté 559/1 du 22/2/1966, qui autorise l’Inspection financière à formuler son avis sur les recettes et les dépenses prévues lors de l’élaboration d’une loi des Finances, une requête que la commission s’est empressée d’approuver. «Pourquoi faut-il que Fouad Siniora s’en occupe toujours seul», s’exclame Zaher Khatib.
Sans un changement radical de la méthodologie de travail jusque-là en vigueur dans les différents départements et administrations étatiques, il y a très peu de chances que le déficit budgétaire puisse être remanié l’an prochain au taux prévu par le gouvernement, à savoir 37, 5%. Les députés sont sortis de la réunion avec cette certitude. Ils savent que le gouvernement n’hésite pas à recourir aux avances du Trésor pour couvrir certaines dépenses et ils venaient d’entendre dire, entre autres, que les travaux de réfection d’une école technique publique, estimés à trois milliards de livres, ont fini par être adjugés à 9 milliards de livres. Ils venaient d’apprendre que la facture d’achat d’engrais, de plantes, et de pousses destinés aux jardins du palais présidentiel de Baabda s’est élevée à 142 millions de livres cette année contre 60 millions de livres l’année dernière. Celle des jardins de la présidence du Conseil s’est chiffrée à 1O5 millions, contre 45 millions de livres en 1996. Au ministère des Finances, un milliard de livres a été payé cette année pour des travaux ou heures supplémentaires contre 400 millions l’année dernière et dans celui du Tourisme 600 millions de livres ont été versées pour les imprimés contre 40 millions l’année dernière..... Le plus ahûrant, disent-ils, reste le nombre record de dossiers d’adjudication expédiés en un seul jour par un département ministériel: 276.

Faire un relevé
des abus

Le problème est que la Cour des comptes tente de mettre fin aux dépenses inutiles et injustifiées. Mais elle se heurte le plus souvent au gouvernement, dont les prérogatives lui permettent de briser une décision de ce tribunal. C’est ce que ces représentants, cités par des sources parlementaires, ont précisé durant la réunion, indiquant que lorsque la Cour s’oppose à un projet d’adjudication de travaux déterminés, présenté par un département ministériel soit parce que le coût en est trop élevé sans qu’il ne soit justifié soit parce qu’il n’est pas conforme aux règles, le département en question présente de nouveau son projet au Conseil des ministres qui l’approuve.
Normalement, la Cour des comptes publie un rapport annuel dans lequel elle signale ce genre d’incidents, mais entre-temps le mal est fait et la somme souhaitée est déboursée. Et c’est ainsi, qu’au lieu de contrôler les dépenses de l’Etat, elle voit aujourd’hui son rôle se limiter à faire le relevé des décisions qu’il prend contrairement aux règles, en matière de Finances.

Une réforme
administrative urgente

Tout espoir de reprendre la situation en main n’est pas perdu même si la situation est «extrêmement critique», de l’avis des députés que nous avons interrogés. Pour cela, il est impératif qu’un projet de réforme administrative soit mis en vigueur incessamment.
Les «contrôleurs» de l’Etat n’étaient pas venus hier pour se plaindre seulement, mais pour présenter des solutions aux problèmes posés. «Le fait même qu’on les invite signifie que les substituts existent», fait valoir Zaher Khatib, en allusion aux propos du chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, qui avait invité les détracteurs de son projet de nouvelles taxes à avancer des solutions de substitut à de nouvelles impositions pour réduire le déficit budgétaire. «Nous nous devons d’élaborer des textes de loi pour concrétiser les idées émises», estime son collègue Mohamed Fneich.
Les propositions formulées par les quatre organismes s’articulent autour de quatre grands titres: «L’ouverture et la transparence à l’égard de l’opinion publique», «les méthodes d’adjudication des travaux et de mises à exécution des transactions publiques», «l’élaboration du Budget» et la «réactivation des organes de contrôle» (VOIR PAR AILLEURS)
Dans la conférence de presse qu’il a tenue au terme de la réunion, le président de la commission, M. Khalil Hraoui, a souligné que le Parlement est prêt à reprendre à son compte les suggestions présentées, après avoir sommairement évoqué la teneur des discussions. Selon lui, il est pratiquement impossible de pouvoir rationaliser et contrôler les dépenses en l’absence d’une administration «fiable et efficiente» et d’organes de contrôle capables de jouer pleinement leur rôle.
M. Hraoui n’a pas hésité dans ce cadre à renvoyer la balle dans le camp du gouvernement après que son chef, rappelle-t-on, eut annoncé que le Parlement doit avoir sa part de responsabilité dans le règlement de la crise économique. M. Hariri, dans une interview télévisée, avait accusé la Chambre d’avoir gardé dans ses tiroirs une série de projets de développement et l’avait invitée à présenter des solutions de substitut à son projet d’emprunt de 800 millions de dollars, destinés à financer certains projets de développement et à payer les arriérés de l’Etat auprès des hôpitaux privés. «On ne peut plus continuer de la sorte. De nombreux facteurs que je n’aime pas citer prouvent que les ressources principales du Trésor seront assurées à la suite de l’arrêt du gaspillage. Durant la réunion, on a beaucoup parlé de fonctionnaires surnuméraires, de nominations de contractuels, de clientélisme, de recrutement de fonctionnaires en violation des règles en vigueur. Toutes ces questions peuvent être réglées à travers l’amendement de lois ou l’élaboration de nouveaux textes. Mais rien ne pourra être concrétisé ou arrangé tant que la décision politique impérative pour une réforme administrative authentique n’est pas prise. La commission a pris l’initiative de mettre le doigt sur la plaie et de présenter des solutions. Mais son action restera insuffisante si cette décision politique n’est pas prise. Il faut réformer l’administration, la dynamiser et reprendre la situation en main avant d’aller à la recherche de nouvelles rentrées pour le Trésor», a-t-il déclaré.
M. Hraoui ne pouvait pas mieux dire: depuis qu’ils ont en main les chiffres des dépenses inutiles ou injustifiées, les députés s’opposent plus que jamais au projet de nouvelles charges fiscales. Même les gardes du Parlement, qui écoutaient bouche bée la conversation des parlementaires avec les journalistes, affirment désormais à qui veut les entendre qu’ils comptent «boycotter» les nouvelles taxes.

Tilda ABOU RIZK
Moins que le quart des informations fournies hier par les responsables des organes de contrôle sur le gaspillage dans les administrations publiques aurait amplement suffi, dans tout autre pays, à faire sauter le gouvernement. Mais nous sommes au Liban, un pays où l’on dépense toujours sans compter et où l’on compte surtout sur le contribuable pour remplir ces puits sans fond...