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Actualités - CHRONOLOGIE

Après la décision des hôpitaux privés de percevoir directement des patients les frais d'hospitalisation Le système de santé sérieusement ébranlé

Après la décision des hôpitaux privés de percevoir
directement des patients les frais d’hospitalisation
Il aura fallu un certain laps de temps à l’opinion publique pour résorber le choc et pour prendre conscience de la portée et de la gravité de la véritable «bombe» lancée jeudi dernier par le syndicat des propriétaires des hôpitaux privés. La décision de ces établissements de percevoir les frais d’hospitalisation directement des patients, au lieu d’attendre le règlement de la facture par la CNSS ou les compagnies d’assurance, a suscité de vifs remous, d’autant qu’elle pourrait ébranler sérieusement tout le système de santé en place dans le pays depuis plusieurs années.
D’une certaine façon, c’est l’ensemble du contentieux entre l’Etat, les hôpitaux privés, la CNSS et les compagnies d’assurance qui est remis sur le tapis d’une façon dramatique. Ce dossier, particulièrement complexe et enchevêtré, ce sont les Libanais des classes moyennes et défavorisées qui risquent, dans certains cas, d’en faire les frais. En soirée, le président du syndicat des propriétaires des hôpitaux privés, le Dr Fawzi Adaïmé, devait atténuer quelque peu les appréhensions apparues sur ce plan en affirmant à «L’Orient-Le Jour» que la mesure annoncée jeudi par le syndicat ne s’appliquera pas aux patients assurés auprès de compagnies d’assurance privées «solvables et crédibles».
La décision des établissements hospitaliers devrait être mise en application à partir de mercredi prochain. Les deux premiers jours de la semaine prochaine seront par conséquent fertiles en tractations et concertations. Le ministre de la Santé Sleiman Frangié doit conférer lundi avec le président du syndicat des propriétaires des hôpitaux privés, le Dr Fawzi Adaïmé, lequel tiendra le lendemain, mardi, une série de réunions avec, successivement, le ministre d’Etat chargé des Affaires financières Fouad Siniora, les hauts responsables de la CNSS, et le nouveau président de l’Association des compagnies d’assurance, M. Tannous Féghali.
Ces réunions de travail se tiendront avec pour toile de fond la prise de position du premier ministre Rafic Hariri qui a souligné hier devant ses visiteurs que «la santé du citoyen constitue une ligne rouge». Se déclarant «irrité» par la mesure prise par les établissements hospitaliers, le chef du gouvernement a invité ces derniers à revenir sur leur décision et à la «clarifier» afin qu’elle ne soit pas «politisée». «Les hôpitaux ont attendu longtemps, ils peuvent attendre encore un court laps de temps afin que l’Etat puisse honorer ses engagements à leur égard», a ajouté le premier ministre.
Cette dernière petite phrase du président du Conseil résume toute la situation. Du moins partiellement... Car en réalité, c’est à un double contentieux auquel le pays est actuellement confronté sur le plan de la santé: entre l’Etat et les hôpitaux privés, d’une part, et entre ces derniers et certaines sociétés d’assurance «non solvables», d’autre part. En clair, les propriétaires des établissements hospitaliers se plaignent de l’attitude léthargique de l’Etat dont les différentes composantes qui traitent avec les hôpitaux (ministère des Finances, armée, FSI, organismes sécuritaires divers, CNSS) ne règlent qu’au compte-gouttes, d’une manière épisodique, et avec beaucoup de retard, les factures d’hospitalisation des militaires, des fonctionnaires ou des simples patients qui subissent des opérations aux frais du ministère de la Santé. Ce problème a été accentué encore par le récent afflux de non-Libanais «privilégiés» pris en charge par le ministère de la Santé.
Or une grande proportion de ces factures n’a pas été réglée depuis 1995. Le contentieux apparu sur ce plan est aggravé par les lenteurs administratives chroniques auxquelles vient s’ajouter la non-solvabilité de l’Etat. Les sources du ministère de la Santé indiquent à ce propos que les factures de 1995 et 1996 ont été mises au point par le ministère et transmises aux Finances. Le montant de ces factures (pour les deux années précitées) s’élève à 76 milliards de livres libanaises dont 11 milliards de LL uniquement ont été réglés aux hôpitaux. Quant à l’année 1997, on assure au ministère de la Santé que les factures des mois de janvier à mai ont été transmises au ministère des Finances qui s’abstient, toutefois, de les régler.
Le ministre de la Santé Sleiman Frangié a explicitement reproché hier soir au ministre d’Etat aux Affaires financières Fouad Siniora de bloquer les montants qui sont dus aux établissements hospitaliers. M. Frangié a relevé sur ce plan que l’accord conclu avec les hôpitaux impose (en principe) à l’Etat de régler les factures dans un délai de trois mois. Or le contentieux dure depuis 1995. Au total, c’est près de 400 milliards de livres libanaises (soit près de 350 millions de dollars) que l’Etat doit aux hôpitaux. Le projet d’emprunt de 800 millions de dollars que M. Hariri a soumis au gouvernement (et qu’il est toujours déterminé à faire approuver) prévoit un montant de 130 millions de dollars pour régler les dettes de l’Etat aux établissements hospitaliers. C’est, semble-t-il, parce qu’il a bon espoir de faire avaliser son programme d’emprunt que M. Hariri a demandé hier aux hôpitaux de patienter encore «un court laps de temps».

Les compagnies privées

L’autre volet de ce dossier complexe: le contentieux qui oppose le syndicat des propriétaires des hôpitaux à certaines compagnies d’assurance privées. Le président du syndicat, le Dr Adaïmé, a indiqué sur ce plan à «L’Orient-Le Jour» qu’une «bonne moitié» de ces compagnies d’assurance ne sont pas solvables et trouvent ainsi de la difficulté à régler les factures de leurs clients. Le Dr Adaïmé estime à ce propos que certaines de ces sociétés pratiquent des tarifs anormalement bas, ce qui ne leur permet pas d’honorer toujours leurs engagements. Pour le Dr Adaïmé, l’une des solutions qui devraient être adoptées dans ce contexte serait l’adoption, comme en France, du système des Caisses de Mutuelle. Des catégories professionnelles seraient ainsi appelées à organiser leur propre Mutuelle de Santé à but non lucratif. Le Dr Adaïmé va jusqu’à souligner qu’une couverture hospitalière «à cent pour cent» n’est pas rationnelle et ne peut être durable. «Il y a, en outre, des abus au niveau des cas d’hospitalisation», ajoute-t-il.
Les questions soulevées ainsi par le président du syndicat des hôpitaux reviennent à remettre en cause dans une certaine mesure l’ensemble du système de santé en vigueur dans le pays. Le secteur des compagnies d’assurance privées n’est pas le seul en jeu dans ce cadre. Le Dr Adaïmé dénonce à ce sujet la gestion déplorable de l’Etat dans ce domaine et «la mauvaise volonté manifeste» de certains hauts responsables et services administratifs impliqués dans le dossier. Le Dr Adaïmé souligne qu’il place tous ses espoirs dans l’action du ministre de la Santé afin de trouver des solutions acceptables par toutes les parties. «Nous comptons beaucoup sur les efforts du ministre de la Santé qui a prouvé qu’il sait respecter ses engagements», a déclaré le Dr Adaïmé.

Le patient pris en otage

Le double contentieux qui se pose ainsi dans le domaine de la santé est, à l’évidence, ancien et particulièrement complexe. Mais pourquoi le patient à revenus moyens et limités doit-il faire les frais des failles du système et des conflits d’intérêt entre l’Etat, les hôpitaux privés, et les compagnies d’assurance? Plutôt que de mettre en jeu la santé de dizaines de milliers de Libanais, les propiétaires des hôpitaux privés n’auraient-ils pas pu trouver un autre moyen d’action et de mobilisation pour obtenir que l’Etat et certaines compagnies d’assurance honorent leurs engagements? La santé du citoyen n’est-elle pas plus importante que les considérations matérielles?
Le Dr Adaïmé souligne sur ce plan à «L’Orient-Le Jour» que les cas d’urgence seront acceptés automatiquement par les hôpitaux (sans règlement préalable de la facture), de même que les patients considérés comme nécessiteux. «Ceux qui ont à subir une intervention chirurgicale qui peut être ajournée sans aucun risque devront soit régler la facture à l’avance, pour être remboursés par la suite, soit ajourner leur opération», indique le Dr Adaïmé.
Nuançant quelque peu la décision annoncée jeudi par le syndicat, le Dr Adaïmé apporte, par ailleurs, une précision vitale: les patients assurés auprès de compagnies solvables, qui sont connues pour respecter leurs engagements et régler régulièrement les factures de leurs clients, pourront être admis dans les hôpitaux sans avoir à régler au préalable la facture. Cette mise au point pourrait peut-être servir de plate-forme aux concertations prévues au début de la semaine prochaine. Reste à espérer que les patients ne seront pas quand même les otages de sombres conflits d’intérêt, malgré les assurances verbales des propriétaires d’hôpitaux et les beaux discours des responsables officiels.
Michel TOUMA

M. T.

Après la décision des hôpitaux privés de percevoirdirectement des patients les frais d’hospitalisationIl aura fallu un certain laps de temps à l’opinion publique pour résorber le choc et pour prendre conscience de la portée et de la gravité de la véritable «bombe» lancée jeudi dernier par le syndicat des propriétaires des hôpitaux privés. La décision de ces...