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Actualités - OPINION

Carnet de route Maronitude et vieilles dentelles


On ne peut pas vivre une vigilance de tous les instants, surtout envers cette matière labile entre toutes que constitue l’évolution de sa propre personnalité. Mais, tout de même, depuis six ans que le Liban est en paix et que les accords de Taëf ont décidé de sa nouvelle morphologie, j’aurais eu le temps d’actualiser ma vision des choses et de l’aligner sur la nouvelle réalité politique du Liban. Eh bien non. Je commence à peine à renoncer à une attitude provenant de ma propre histoire. En un mot, je me surprends encore à considérer l’islam libanais comme victime d’une domination, voire d’un assujettissement au pouvoir chrétien.
A force d’avoir vécu avec la culpabilité d’un recensement non renouvelé depuis 1932, avec des lambeaux de baassisme qui, laïc, aurait dû résoudre le problème confessionnel, un bagage historique occidental où toute mesure d’égalité était interprétée en terme de progrès, et avec un homme, à domicile, qui se refusait à travestir la vérité dans ses rapports avec sa famille, que ce soit sur Israël, le pacte de Bagdad et l’arrogance de ses coreligionnaires, avec tout cela et la démocratie aux tripes, dans son sens churchillien («Le pire des systèmes politiques à l’exception de tous les autres»), le plus profond de mes réflexes reste issu de mon engagement moral archaïque auprès des musulmans. Un engagement non seulement périmé, voire aujourd’hui peut-être suicidaire, et, en tout cas, tout à fait stupide étant donné que j’ai enfin accédé officiellement au statut de «minoritaire» et que je devrais être soulagée de ne plus porter sur mon dos le moindre remords, le plus petit regret, la moindre des injustices envers le cheikh Fadlallah, Bahia Hariri ou Camelia el-Atrache (qui était pensionnaire et chantait si bien la messe).
Il faut donc que je me secoue, que je me minoritarise, me maronitise, me mariamise même, qui sait, que je me répète Victor Hugo «opprimé d’hier, oppresseur de demain». Je créerai un néologisme, la «maronitude», Je suis sûre qu’il sera repris, et pas seulement par des adeptes de Senghor (1). Quand je me croirai sur écoutes, je dirai, moi aussi «les musiciens» pour parler des mahométans, comme le faisaient, en pleine guerre, de braves chrétiennes jouant par téléphone au contre-espionnage sans le savoir. Combien de temps me prendra cette conversion? Devenue communautaire, de quelle «assabiya» serais-je pourvue? Angoisse!
Je ris sans me moquer. Je crois que ce qui me manque le plus dans ma vie libanaise, c’est le rire, la drôlerie véritable. C’est l’obligation de tout le temps dire «la samaha Allah», «bala me’na» «Allah yestor», etc. Pourtant que d’humour au cœur de la guerre, à Ras-Beyrouth, par exemple, en 1975-1977: «Soubhan el hay el ba’ï» se transformait aussitôt, dans la verve populaire en «Soubhan el ba’ï bel hay».

Amal NACCACHE

(1) Senghor avait créé le concept de négritude pour définir l’être noir. Un grand romancier ghanéen lui répliqua: «Est-ce qu’un tigre éprouve le besoin de se réclamer de sa tigritude?»
On ne peut pas vivre une vigilance de tous les instants, surtout envers cette matière labile entre toutes que constitue l’évolution de sa propre personnalité. Mais, tout de même, depuis six ans que le Liban est en paix et que les accords de Taëf ont décidé de sa nouvelle morphologie, j’aurais eu le temps d’actualiser ma vision des choses et de l’aligner sur la nouvelle...