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Actualités - OPINION

L'inoubliable sourire du médecin-orfèvre

Avec la disparition du Dr Ibrahim Mouzannar, la médecine libanaise perd l’une de ses plus belles figures. Il était maître... à sa manière. S’il ne faisait pas partie du corps professoral de la faculté, il n’en était pas moins un vrai enseignant, appliquant sans cesse les préceptes d’une certaine qualité de vie qui, hélas, tend à disparaître avec le Beyrouth de nos souvenirs.
L’ayant connu et aimé depuis plus de 30 ans, je voudrais rendre hommage à sa mémoire au 40e jour de son départ.
La personnalité de ce médecin d’autrefois offrait à la vue cinq à six «facettes», comme celles d’un diamant. Il était tout à la fois médecin, musicien, bijoutier, orfèvre, peintre et chef cuisinier.
Bijoutier dans l’âme, avec un double héritage familial — chez la mère aussi une Maamari, on est bijoutier de père en fils — c’était là sa marque dominante. Tout en lui sent la mesure et l’ordre. Il pèse l’or, il classe les pierres précieuses et semi-précieuses, par catalogues. La balance est partout présente, pour ses recettes de cuisine (1 gramme de poivre blanc...), pour ses ordonnances médicales ( 5 grammes de bicarbonate...). La mesure aussi en musique. Il jouait du piano «par oreille», les notes et le solfège étant laissés à sa sœur Wadad, pianiste surdouée. Ses tableaux de peinture et ses dessins respirent l’harmonie et la sobriété. Une seule chose, chez lui, échappait à la mesure: c’est son affection pour sa famille et pour ses vrais amis.
Ibrahim nous laisse en héritage trois livres. Le plus célèbre, «La cuisine libanaise», donne à nos plats libanais leurs lettres de noblesse. Notre cuisine est l’une des meilleures au monde. C’est un livre bréviaire pour toutes les débutantes en ménage qui tiennent à garder leurs maris. Toutes les recettes de son livre ont été essayées par lui et savourées par ses amis. «Son chawarma» et sa «mjaddara», entre autres, sont de vrais délices.
Son deuxième livre «La santé pour tous» rappelle tout ce qui est nécessaire à une vie saine. Il m’a fait l’honneur de préfacer ce livre. Sa lecture, j’en suis sûr, éviterait bien des infarctus et autres pépins de santé, à tous les surmenés et les stressés de la terre, victimes de cette civilisation survoltée.
Son troisième livre enfin, sorti il y a un an, est en quelque sorte un testament. Toute l’intelligence du cœur y est. C’est un chef-d’œuvre pétillant d’humour, à commencer par son titre «Les Aventures de Zambartita». Les dessins rappellent ceux d’Olga Limanski, par leur simplicité expressive. Le texte est riche et condensé. Je souhaite vivement que sa famille veuille bien le livrer au grand public. L’humour ne le quitte pas, même dans sa maladie. Le voici, après avoir attrappé «la jaunisse». Il venait de recevoir chez lui un ami japonais: «Je n’aurais peut-être pas dû l’embrasser»... confie-t-il à son gendre en badinant.
En homme sage et souriant, il maintenait à tout prix le cap de la sérénité même aux pires moments de la guerre.
De son dernier livre, je relève cette phrase:
«Puisse cette mode de vie nous servir de leçon à nous tous, et nous donner le courage d’affronter les difficultés de la vie, toujours avec le sourire».
L’inoubliable sourire du médecin-orfèvre.

Gédéon MOHASSEB
Avec la disparition du Dr Ibrahim Mouzannar, la médecine libanaise perd l’une de ses plus belles figures. Il était maître... à sa manière. S’il ne faisait pas partie du corps professoral de la faculté, il n’en était pas moins un vrai enseignant, appliquant sans cesse les préceptes d’une certaine qualité de vie qui, hélas, tend à disparaître avec le Beyrouth de nos...