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Actualités - REPORTAGE

Témoignant à Washington devant une commission sénatoriale Tamraz se présente comme un loyal défenseur des intérêts américains ... Mais reconnaît avoir acheté son accès à la Maison-Blanche

TÉMOIGNANT À WASHINGTON DEVANT UNE COMMISSION SÉNATORIALE
...MAIS RECONNAÎT AVOIR ACHETÉ SON ACCÈS À LA MAISON-BLANCHE

WASHINGTON — de Wafic RAMADAN
Condamné au Liban pour contacts avec Israël et le détournement d’une somme de 200 millions de dollars de la banque Almachrek, recherché en vertu d’un mandat international lancé par Interpol, Roger Tamraz a témoigné, hier, à Washington, devant la commission sénatoriale américaine des affaires gouvernementales, qui enquête sur les affaires de financements illicites de la campagne électorale américaine de 1996, notamment chez les démocrates.
Devant Fred Thompson, le sénateur républicain du Tenessee qui préside la commission, qui n’a pas hésité à lui affirmer que, pour plusieurs milieux officiels et d’affaires aux Etats-Unis, il demeure «un homme louche, indigne de confiance», Roger Tamraz a admis avoir acheté son accès à la Maison-Blanche, moyennant le versement d’une somme de 300.000 dollars, pour le financement de la campagne du parti démocrate de Bill Clinton.
Toutefois, M. Tamraz a présenté ce geste comme celui d’un honnête citoyen américain, qui a toujours eu à cœur les intérêts des Etats-Unis, notamment du temps qu’il se trouvait au Liban. C’est ainsi qu’il a mis en avant ses contacts avec l’ancien chef de la CIA William Casey, en 1983, ainsi que les multiples contacts avec le premier ministre israélien Menahem Begin, entre avril et août 1983, faisant valoir sa constante défense des intérêts américains au Moyen-Orient.
«A la suite de l’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Beyrouth, a déclaré Roger Tamraz au début de son audition, les Etats-Unis m’ont demandé d’aider au rapatriement des Marines, avant qu’une nouvelle catastrophe ne se produise. Philip Habib menait alors les négociations dans la région, mais ses efforts étaient relativement lents. Au cours d’une réunion avec William Casey (NDLR: alors chef de la CIA), j’ai senti qu’il cherchait à accélérer le processus. Entre avril et août 1983, j’ai donc rencontré le premier ministre israélien Menahem Begin, afin de mettre au point un processus destiné à atteindre la paix. Malheureusement, un accord ne peut être atteint et en octobre 1983, un attentat coûta la vie à 241 Marines. Ce fut à cette époque que les Etats-Unis me demandèrent d’arranger une arrivée discrète au Liban de l’homme qui devait diriger l’action américaine de représailles et de libération des otages (NDLR: William Buckley). Cet homme fut pris en otage et torturé à mort. Ses ravisseurs, les partisans des attentats-suicide, les ennemis des Etats-Unis et de la paix, devinrent mes ennemis. Ils utilisèrent contre moi toutes les armes dont ils disposaient. Je fus enlevé, lentement empoisonné, torturé et battu pendant trois semaines en 1989, alors que j’étais le candidat à la présidence de la République le plus en vue».
«De fausses rumeurs furent alors propagées, au sujet de la solvabilité de l’une de mes banques, a poursuivi M. Tamraz. Une cabale fut orchestrée contre la banque. Je fus accusé par la presse d’avoir détourné 200 millions de dollars, alors que les vérifications de compte montraient qu’aucune somme ne manquait. Tous mes avoirs, qui valaient 1 milliard de dollars, furent saisis par mes ennemis au pouvoir. Je fus traité de «juif», une insulte dans le contexte qui existait. Une caricature me représenta avec une étoile de David au front».
Et M. Tamraz de poursuivre: «En 1996, le harcèlement se poursuivit. Un tribunal me condamna par contumace à 15 ans de prison pour mes contacts avec des citoyens israéliens. Le 7 juillet 1997, le Liban décida de vendre l’une de mes banques. Quand celle-ci avait été illégalement confisquée, elle avait été évaluée à 9 millions de dollars. Elle fut vendue pour 163 millions, comme cela, sans explications, sans que l’on entende ma version des faits (...) Aujourd’hui, en vertu d’un mandat, on réclame ma présence au Liban, bien qu’une commission de justice ait établi, en 1990, qu’aucune activité criminelle ne peut être reprochée à mon activité bancaire, qu’aucune somme d’argent ne manque. J’ai coopéré avec ce mandat en Europe, car ma sécurité n’était pas assurée au Liban. Mes ennemis continuent, pourtant, à renouveler ce mandat de recherche et à exiger ma présence physique au Liban. A quelle fin, et pour quels buts constructifs, je l’ignore».

Soutien aux démocrates

Au sujet de son soutien financier au parti démocrate, M. Tamraz a affirmé qu’il s’explique «uniquement» par sa volonté d’accéder à de hauts responsables américains.
«Je pense en effet que mes contributions m’ont donné cet accès», a-t-il déclaré.
M. Tamraz a précisé avoir voulu nouer ces contacts en raison de son intérêt général pour les affaires internationales et pas seulement pour favoriser ses projets de construction d’un oléoduc entre la Mer Caspienne et la Turquie.
«Je suis un citoyen américain qui cherchait à trouver des débouchés occidentaux pour le pétrole de la Mer Caspienne», a-t-il indiqué à la commission.
«J’aimerais savoir pourquoi, après tout ce que j’ai fait, vécu et vu, je serais considéré comme indigne d’avoir accès à la Maison-Blanche», a encore lancé M. Tamraz. J’ai risqué ma vie à plusieurs reprises pour ce pays, de façon totalement désintéressée. Si je suis indigne d’entrer à la Maison-Blanche, j’aurais dû être indigne aussi d’introduire Buckley au Liban».
Le témoignage de M. Tamraz intervient au lendemain de celui d’une ancienne responsable au Conseil national de sécurité (CNS), Sheila Helsin, qui a affirmé mercredi devant la même commission qu’elle avait subi des pressions d’un fonctionnaire pour autoriser une rencontre entre Bill Clinton et Roger Tamraz, qui promettait en échange 400.000 dollars au parti démocrate.
La responsable a affirmé avoir reçu en avril 1996 un appel téléphonique d’un haut fonctionnaire du département de l’Energie lui indiquant que M. Tamraz avait versé 200.000 dollars aux démocrates mais accorderait encore 400.000 dollars au parti s’il obtenait de voir le président Clinton.
M. Tamraz n’a jamais été reçu individuellement par le président Clinton mais a été invité à la Maison-Blanche à six occasions différentes.
Le sénateur Fred Thompson ne devait pas ménager M. Tamraz. Prenant la parole après l’homme d’affaires, il a signalé qu’un «incident bizarre» s’était produit mardi. Un homme se présentant comme étant «M. Tamraz» avait appelé au téléphone la commission sénatoriale des Affaires étrangères, pour lui faire des révélations graves au sujet d’une nomination diplomatique. D’autres personnalités étaient également impliquées. «Ces accusations étaient très graves», a dit M. Thompson, tout en prenant acte du fait que M. Tamraz a nié être l’auteur du coup de téléphone.
«Vous n’êtes pas là pour être jugé», a ajouté M. Thompson, mais nous sommes dans l’obligation de traiter avec beaucoup de circonspection les personnes sur lesquelles pèsent des accusations de cet ordre (condamnation par un tribunal libanais, en 1989, pour le détournement de 200 millions de dollars; condamnation pour le même crime, par un tribunal jordanien, en 1992; condamnation au paiement d’une somme de 56 millions de dollars par un tribunal français, au titre du règlement d’un litige financier; mandat international lancé par Interpol) (...) Il ne s’agit donc pas seulement des mérites de vos projets, mais de ceux de la personne qui présente ces projets».
«L’ambassade de Turquie, auprès de laquelle vos informations ont été vérifiées, affirme que vous déformez les choses au sujet des relations que vous entretenez avec le gouvernement américain. Contactées, les compagnies pétrolières avec lesquelles vous dites être en relations d’affaires (Penzoil, Amoco, Chevron, Exxon), ont toutes, démenti ce fait (...) Certaines affirmant même être hostiles à ce que vous entreprenez, sans doute parce que cela vous aurait donné le contrôle de l’oléoduc (...) Nous avons même un document datant du 6 septembre 1995 vous décrivant, pour le vice-président Al Gore, comme un homme louche et indigne de confiance. Il ne s’agit donc pas de faire crédit aux accusations lancées contre vous dans votre pays, mais aussi de rapports établis par des officiels américains, certes subalternes dans la majorité des cas. La question n’est pas tant de savoir si ces accusations sont fausses mais de savoir comment quelqu’un contre lequel pèsent tant d’accusations, faites à tant de niveaux, réussit encore à retenir l’attention d’offices gouvernementaux et même du président des Etats-Unis?»

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