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Actualités - ANALYSE

Le cadeau aux émigrés : une affaire de plus en plus interne

C’est De Gaulle qui a donné, lors du putsch d’Alger, au mot «quarteron» appliqué aux généraux révoltés ses lettres de noblesse, si l’on peut dire.
Loin de cette auguste référence, la troïka de chez nous est en train d’opérer sa mue, de se transformer en attelage à quatre par cooptation du ministre de la Défense.
C’est en effet M. Mohsen Dalloul qui, tout en faisant partie de la délégation présidentielle au Brésil, a pris la relève de MM. Rafic Hariri et Nabih Berry pour s’opposer publiquement au chef de l’Etat sur la question de la restitution de la nationalité aux émigrés. Une attitude qui donne beaucoup à réfléchir sur tous les plans. Et dont on peut déduire d’abord que, désormais, pour contrer l’hôte de Baabda qui entame sa dernière année de pouvoir et se trouve pour ainsi dire en instance de départ politique un ministre suffit... Et peu importe qu’on discrédite tout l’Etat libanais en étalant au dehors les divisions de ses dirigeants, du moment que les décideurs sont contents.
Ainsi le «cadeau» que le président Elias Hraoui voulait faire aux émigrés, ou plus exactement aux Brésiliens d’origine libanaise, tourne de plus en plus au conflit purement intérieur et son contenu même paraît secondaire en regard de la lutte d’influence qu’il occasionne. Autrement dit l’essentiel n’est plus de savoir si les originaires comme on dit pourront recouvrer la nationalité libanaise mais de voir quelle volonté va l’emporter, celle du camp hraouiste tardivement réveillé à sa vocation chrétienne ou la majorité dominante couronnée par Taëf.
Comme dans un tribunal, le bras de fer s’engage d’abord autour de la relation d’un fait précis: le déroulement de la séance du Conseil des ministres du 28 août au cours de laquelle le président Hraoui, avant son départ pour le Brésil, a proposé qu’on redonne la nationalité aux expatriés qui ne l’ont plus.
Un ministre jure ses grands dieux que «la proposition du chef de l’Etat a certes été soumise au Conseil en marge de l’ordre du jour officiel, mais elle avait été discutée d’abord avec le chef du gouvernement et s’est trouvée approuvée sans problème par le Conseil...»

Manœuvres

Mais un autre ministre, tout aussi formel, affirme pour sa part que «lors de son tête-à-tête préparatoire avec le président de la République, le président Hariri après avoir pris connaissance du projet n’a manifesté aucun enthousiasme à son égard. Il a souhaité son report mais sans aller jusqu’à presser le chef de l’Etat de ne pas en saisir le Conseil. C’est que le chef du gouvernement avait quelque chose de beaucoup plus important en tête, à savoir que lui-même allait proposer au Conseil durant cette même séance son fameux plan de développement dit du milliard. Dès lors il ne voulait naturellement pas mettre contre lui M. Hraoui et son groupe. Cependant quand son propre projet a été gelé et quand il a entendu les vives réactions négatives de ministres considérés comme particulièrement proches des décideurs, il s’est rangé aux côtés des opposants».
A ce propos même, les hraouistes — preuve supplémentaire du haut degré de confiance qui règne entre loyalistes — soupçonnent en réalité «M. Hariri d’avoir lui-même alerté, après son entrevue préliminaire avec le chef de l’Etat, ces ministres hostiles à la réintégration éventuelle de milliers de citoyens chrétiens expatriés, pour leur demander de se dresser contre la proposition... Mais, ajoutent ces mêmes sources, ils ont sans doute assez mal capté le signal car lors du débat seul M. Assaad Hardane est intervenu contre le projet, M. Talal Arslane exprimant sommairement de son côté quelques réserves. La proposition a bel et bien été approuvée, répètent les hraouistes, puisque le porte-parole du gouvernement, le ministre de l’Information en a fait état dans le communiqué public clôturant la séance».
En pratique ces escarmouches d’arrière-garde n’ont aucune importance: le «non» de M. Mohsen Dalloul, vu ce qu’il représente, suffit pour bloquer le projet. Et même si, comme l’indique le président Elias Hraoui, le projet de loi est en route pour la Chambre, il n’ira sans doute pas plus loin. D’autant que le décret de transmission n’a en réalité pas été contresigné par le président du Conseil qui insiste pour un réexamen en Conseil des ministres et souligne qu’une question de cette importance doit nécessairement faire l’objet d’un consensus au sein du pouvoir. Un consensus, est-il besoin de le souligner, qui est impossible à atteindre tant qu’un ministre de l’envergure de M. Mohsen Dalloul y fait objection...
Un opposant de l’Est relève pour sa part que «Baabda doit maintenant se mordre les doigts d’avoir signé à la va-vite en 1994, sans consulter personne, un décret de naturalisation accordant la nationalité libanaise à au moins 150.000 étrangers qui à 90% sont de confession mahométane... Un regret d’autant plus vif que selon toute probabilité il n’y aura pas moyen de compenser, de réduire un peu l’écart car les décideurs ne veulent pas que les émigrés reviennent, ne serait-ce que politiquement...»

Ph. A.-A.
C’est De Gaulle qui a donné, lors du putsch d’Alger, au mot «quarteron» appliqué aux généraux révoltés ses lettres de noblesse, si l’on peut dire.Loin de cette auguste référence, la troïka de chez nous est en train d’opérer sa mue, de se transformer en attelage à quatre par cooptation du ministre de la Défense.C’est en effet M. Mohsen Dalloul qui, tout en...