Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

L'Orient-Le Jour sur le champ de bataille A Ansariyé, un défilé ininterrompu d'habitants, venus en pèlerinage

Ni la peur d’éventuelles représailles, ni la crainte de l’explosion de mines abandonnées ne parviennent à empêcher les habitants d’Ansariyé, de Loubié, de Sarafand et de Khayzaran de faire le pèlerinage jusqu’au champ de bataille où a eu lieu la confrontation entre les membres du commando israélien et les hommes de la résistance. Femmes en tchador, jeunes gens barbus, vieux paysans et enfants dépenaillés, tous veulent voir ces lieux entrés dans l’histoire du Liban et frissonner d’émotion rétrospective en évoquant les événements de l’aube d’hier.
Pour les habitants des villages de la région de Zahrani, c’est un peu comme une revanche sur la terreur nocturne qui les a maintenus éveillés dans les chambres les moins exposées de leurs maisons, de minuit et demi à 4 heures du matin, pendant toute la durée de «l’opération». Et après avoir tremblé, ils laissent maintenant éclater leur joie et leur fierté. «Il fallait leur donner une leçon. Maintenant, ils réfléchiront sérieusement avant d’entreprendre la moindre attaque contre le Liban», s’écrie Mohamed, un adolescent de 15 ans. «L’armée libanaise s’est battue avec un grand courage, renchérit Youssef. C’est elle qui, par les tirs nourris de sa DCA, a empêché les hélicoptères de venir au secours des membres du commando».
Chacun y va de son petit commentaire et les versions les plus farfelues commencent à circuler. Mais le plus étonnant est encore le petit Ali, 12 ans, qui, depuis le matin de ce vendredi, sillonne le verger appartenant à M. Adel Osseirane, où a eu lieu le débarquement. Il en connaît désormais les moindres recoins et il guide les visiteurs vers les morceaux de chair accrochés aux broussailles ou aux branches des arbres. «Venez voir, ici, ce sont les côtes», dit-il en montrant du doigt des taches de sang encerclées par les mouches. Plus loin, ce sera un bout de pied dans une botte déchirée, ou une partie de l’oreille, ramassée par un jeune homme et précieusement cachée dans un kleenex... Pour les habitants de la région, tous ces morceaux sont des trophées de guerre. Ils les regardent sans se lasser, indifférents aux microbes et aux odeurs nauséabondes. Ils sont tout simplement heureux. «Désormais, nous n’aurons plus jamais peur, s’écrie Hoda, toute rougissante sous son foulard. Nous savons qu’avec l’aide de l’armée nous sommes forts et l’ennemi n’est plus invincible».
Hussein, lui, examine longuement trois fosses de la taille d’un pneu, creusées dans le champ par les Israéliens. Il explique que c’est là qu’ils avaient enfoui les mines qu’ils ont ensuite recouvertes de terre, afin qu’elles explosent au passage des habitants. Mais, dans le courant de la journée, l’armée les a fait exploser.
Hussein ne peut d’ailleurs cacher sa révolte devant «le lâche procédé» utilisé par les Israéliens. «Qu’y a-t-il ici pour qu’ils viennent semer leurs mines? C’est un verger situé à quelques mètres des habitations. Il n’y a aucune position militaire, juste une permanence de Amal de l’autre côté du village. Ils veulent simplement tuer les civils et semer la terreur et la zizanie...».
Toutefois, après les événements de l’aube, tous les habitants se sentent l’âme de soldats ou de résistants. Ils reconstituent inlassablement la confrontation, ajoutant de nouveaux détails à chaque version.

Le gardien du verger, Taha Mahmoud Aoun, veut ainsi raconter ce qu’il a vécu. «Il était près d’une heure du matin. Ma maison, située de l’autre côté du terrain, se met à trembler. Je me précipite avec mon fils pour voir ce qui se passe. J’aperçois une BMW gris anthracite sur la route reliant Ansarié à Loubié. Elle a visiblement essuyé des tirs et j’entends une voix de femme gémir: «Sauvez-moi, s’il vous plaît». Mais les tirs sont si nourris que je me cache dans les buissons. Je vois des silhouettes sombres. Comprenant qu’il s’agit d’Israéliens, je cours me réfugier dans ma maison et je m’y terre jusqu’à la fin de l’opération...».
S’instituant porte-parole des habitants, Youssef se place devant la BMW gris anthracite complètement défoncée par les tirs et dont les fauteuils sont couverts de sang séché. Il commence son récit: «Il était un peu plus de minuit. Un premier obus explose sur la route menant vers Loubié devant la Datsun de Ali Hussein Assaad, qui rentrait d’une soirée à Ansariyé. Par miracle, ce dernier survit au choc et s’enfuit à travers champs. Quelques minutes plus tard, la BMW ayant à son bord Samira Asmar et son compagnon se pointe sur la même route. Ses phares éclairent les commandos israéliens qui commencent à se déployer dans le verger. Aussitôt, les tirs commencent à pleuvoir sur la malheureuse voiture. Samira est tuée et son compagnon est grièvement blessé. Il ne sera évacué que vers 4h30. Mais son passage a permis aux hommes de la résistance de voir de quoi il s’agit. Ils ont laissé les soldats israéliens s’empêtrer dans le verger avant de les attaquer. Pendant ce temps, l’armée libanaise a lancé ses tirs de DCA sur les hélicoptères israéliens venus à la rescousse du commando pris au piège, tout en lançant des fusées éclairantes au dessus du verger. De Babliyé, Khayzarane, Adloun et Zahrani, ce n’était plus qu’une immense ceinture de feu pour empêcher l’arrivée des secours israéliens».
Selon Youssef, les trois hélicoptères qui ont finalement réussi à évacuer les membres du commando n’ont pas pu atterrir sur le champ, se contentant d’emmener les rescapées à l’aide de cordes lancées d’une certaine hauteur. Mais tout le monde n’est pas d’accord sur cette version des faits. D’autres témoins jurent que les hélicoptères ont bel et bien atterri sur le champ voisin, plus dégagé et ils ont pu évacuer les membres du commando.
Comment cette opération a-t-elle pu se faire? C’est la grande question. Abdel Amir a une explication. Pour lui, il n’y aurait pas vraiment eu de face à face entre la résistance et les Israéliens, les tirs ayant été échangés à une certaine distance. C’est selon lui la raison pour laquelle les membres du commando ont pu être évacués.
Mais de quoi sont morts les 11 soldats israéliens ainsi que le douzième dont la dépouille est partie en morceaux? Youssef pense que les mines qu’ils venaient semer dans le champ leur ont explosé à la figure. Mais d’autres comme Ali et Mohamed croient plutôt que ce sont les tirs conjoints de la résistance et de l’armée qui ont causé le plus de victimes.

Abdel Amir qui habite sur la côte (le village d’Ansariyé s’étend en hauteur jusqu’à la colline qui surplombe un littoral de toute beauté) donne quelques précisions supplémentaires. «Vers minuit, les bateaux de guerre israéliens se sont postés au large des côtes libanaises et un pneumatique a débarqué le commando sur la côte. Les hommes, leurs palmes accrochées sur le dos, ont aussitôt grimpé, à travers champs vers la colline. Ils ont dû faire une marche de 2 kilomètres environ. Mais entre-temps, une femme ayant entendu du bruit et ayant pris peur, réveille son mari, Moussa Tahan, et le supplie d’aller se réfugier dans des lieux plus sûrs. Chacun prenant dans ses bras un enfant (ils en ont deux), ils ouvrent la porte, se dirigeant vers leur Toyota. Aussitôt un obus éclate et enflamme la voiture. Terrorisés, ils se replient en vitesse et passeront le reste de la nuit à plat ventre dans leur vestibule. Les membres du commando poursuivent leur ascension vers la colline, mais ils sont démasqués par les phares de la BMW et par les fusées éclairantes lancées par l’armée.»
A Loubié, un homme a du mal à retrouver son calme. Ali Hussein Assaad est encore sous le choc de son extraordinaire aventure.
«Je rentrais chez moi à Loubié, dit-il d’un ton saccadé, après avoir passé la soirée avec un ami. Il était minuit 35. Un obus explose devant moi et ma voiture s’est brusquement retrouvée de l’autre côté de la route, alors que moi-même j’atterrissais sur la banquette arrière. Heureusement, je n’ai pas perdu conscience. Sans bien comprendre ce qui m’arrivait, j’ai essayé de m’enfuir. Les portes et les fenêtres du siège avant sont bloquées. Finalement, je réussis à ouvrir la fenêtre arrière. Un arbre immense (ainsi que des fils barbelés) bloque la sortie. Je parviens à me faufiler entre les branches et le fil et je me mets à ramper à travers champs. j’ai déjà fait 20 mètres, lorsqu’on commence à tirer sur moi. Sans comprendre ce qui se passe, je me tiens coi puis je reprends ma progression et j’atteins le domicile du Palestinien Abou Imad. Il m’accueille et m’abrite jusqu’à la fin des combats et à 5 heures, son frère me ramène chez moi. J’étais, je suis encore en état de choc.»
Au moment-même, Ali Assaad n’a pas compris ce qui se passait, uniquement soucieux de sa propre survie. Mais lorsqu’il apprend les détails de l’opération, il est très fier d’avoir participé, même de loin «à la débandade israélienne».
Pour les siens, il fait presque figure de héros. D’ailleurs, en cette journée historique, tous les habitants de la région se sentent comme touchés par une grâce divine. C’est la première fois qu’une tentative de débarquement israélien au Liban, se termine par une telle victoire pour les Libanais. Oubliés, les conflits entre Amal et le Hezbollah, qui font vivre la région dans une tension perceptible et qui, déjà, se contredisent dans l’estimation de l’objectif véritable du débarquement du commando. (Amal affirme en être la cible et le Hezbollah estime que les Israéliens voulaient semer des mines). Les habitants ne veulent penser qu’à la déconfiture des Israéliens et au rôle décisif de l’armée libanaise dans cette opération.
Le jeune Ali exprime d’ailleurs parfaitement le sentiment général: «Quand je serai grand, je deviendrai soldat et je défendrai ma patrie...»

S.H.
Ni la peur d’éventuelles représailles, ni la crainte de l’explosion de mines abandonnées ne parviennent à empêcher les habitants d’Ansariyé, de Loubié, de Sarafand et de Khayzaran de faire le pèlerinage jusqu’au champ de bataille où a eu lieu la confrontation entre les membres du commando israélien et les hommes de la résistance. Femmes en tchador, jeunes gens...