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Actualités - ANALYSE

Jezzine sera-t-elle sacrifiée sur l'autel des calculs régionaux ?

Le retrait inopiné de la milice de l’Armée du Liban-SUD (ALS) de plusieurs villages et hameaux de Jezzine pose une nouvelle fois le problème de cette ville prisonnière d’équations et de calculs régionaux qui dépassent ses habitants. Prudents et méfiants, les officiels craignent que ce retrait unilatéral ne cache un piège israélien. Dans les milieux politiques de Jezzine, on estime que «l’histoire du piège» vise à masquer l’incapacité de l’Etat à prendre des décisions. Le gouvernement qui n’a visiblement pas de stratégie concernant cette région est effectivement très lent à réagir. D’un autre côté, on ne peut pas prêter à Israël des intentions louables et chaque changement qui intervient sur le terrain doit être examiné dans les moindres détails pour en comprendre les raisons, la signification et les retombées. Jezzine a de commun avec le reste de la bande frontalière le fait d’échapper au contrôle du pouvoir central. Mais son cas est spécial parce qu’elle n’est pas directement concernée par la résolution 425 de l’ONU qui stipule un retrait israélien inconditionnel des territoires occupés en mars 1978. Or Jezzine a été rattachée à la zone occupée à la suite de l’invasion de 1982, avant d’être placée en 1985 sous le contrôle de la milice pro-israélienne.
Le cas de Jezzine s’est posé une première fois en 1991 à l’occasion du déploiement de l’armée libanaise à l’est de Saïda après de violents affrontements avec les organisations palestiniennes. Celles-ci avaient été contraintes de retirer leurs combattants d’un périmètre allant de Saïda à Maghdouché en passant par Krayé et Mieh-Mieh et de les confiner à l’intérieur des camps. De nombreux observateurs avaient prédit à cette époque que Jezzine serait rendue à l’Etat en contrepartie de la défaite militaire infligée aux Palestiniens. Mais rien de cela n’est arrivé. Jezzine est ensuite tombée dans l’oubli bien que la souffrance des gens n’ait cessé d’augmenter. Ce n’est qu’au printemps dernier que les responsables se sont enfin souvenus de l’existence de cette région, après une série d’attentats à l’explosif qui ont fait plusieurs victimes civiles. Ces opérations ont semé la panique parmi les habitants les habitants qui n’osaient pas s’aventurer dans leurs champs ou sur les routes. Soumis à de fortes pressions, le gouvernement a décidé d’examiner cette question à l’initiative de MM. Farès Boueiz et Nadim Salem, ainsi que des députés de Jezzine. Dans leurs interventions en Conseil des ministres, les deux ministres ont estimé que les vexations infligées aux personnes empruntant la voie de passage de Bater, l’isolement de la ville, et la sévérité avec laquelle les déserteurs de l’ALS sont traités, ne font que jeter Jezzine et sa population dans les bras de l’occupant et de ses collaborateurs.

Commission militaire
pour les déserteurs

Des mesures importantes — il est encore trop tôt pour les appeler stratégiques — ont été prises par le gouvernement. Il a ainsi été décidé d’ouvrir la route de Kfarfalous qui permettra de rattacher Jezzine à son environnement géographique naturel, c’est-à-dire l’est de Saïda. La réouverture de ce passage facilite énormément les déplacements des habitants entre Jezzine et le reste du Liban. Il a aussi été décidé de former une commission militaire chargée d’examiner, cas par cas, les dossiers des déserteurs qui, lorsqu’ils se rendent aux autorités, croupissent parfois plusieurs mois dans les prisons avant d’être jugés. En 1996, une soixantaine de miliciens de l’ALS ont choisi de ne plus collaborer avec l’ennemi. Cette commission doit en principe épargner à ces jeunes gens, souvent enrôlés de force, bien des souffrances et des humiliations. Enfin, les procédures de fouilles et de contrôle d’identité devaient être allégées sur le barrage de Bater, en augmentant le nombre de soldats libanais postés dans le secteur.

Bientôt d’autres retraits?

L’ALS qui rejetait sur l’Etat la responsabilité de la situation déplorable à Jezzine a été prise au dépourvu par ces mesures. Pendant plusieurs jours, les unités de l’armée qui déminaient la route de Kfarfalous ont été bombardées. Et pour tenter de faire monter la tension, des soldats de l’ALS ont même opéré une sortie «osée» dans la région de Marj-Amatour dans le Chouf, un secteur calme qui n’a jamais été utilisé par la résistance comme base de départ pour ses opérations. Soumis à de fortes pressions de la part des habitants, le chef de la milice pro-israélienne, Antoine Lahd, a promis de faire preuve de flexibilité concernant la route de Kfarfalous. Selon M. Edmond Rizk, ancien député et ministre, la portion de cette route sous contrôle de l’ALS a été asphaltée et les habitants n’attendent plus qu’un signal de l’armée libanaise pour l’emprunter. Mais le ministre Farès Boueiz assure que le passage demeure bloqué du côté de la milice.
Quoi qu’il en soit, le retrait mardi de l’Armée du Liban-Sud de l’importante position de Saïdoun, qui contrôlait les villages de Rimat, Chkadif, Haytoura, Snaya, Maknouniyé et Kattine, a rajouté un nouvel élément à cette équation déjà assez compliquée. Aujourd’hui, moins de 10% de la population de ce groupe de hameaux est toujours sur place, soit 1000 personnes. On peut accéder au secteur évacué, aussi bien par Jezzine que par l’Iqlim el-Touffah. M. Rizk déclare que le vide provoqué par le retrait doit rapidement être comblé par l’Etat. «Il y a à Jezzine un bataillon de l’armée, une centaine d’agents des FSI et un siège pour la Sûreté générale. Tous les moyens sont donc disponibles pour un déploiement des forces légales», précise-t-il. Selon lui, l’ALS pourrait prochainement procéder à d’autres évacuations notamment de la position stratégique de Kfarhouna ou de Jezzine même. Il rappelle à ce sujet que la milice s’était déjà repliée de Kfarfalous vers Roum il y a quelques mois. «Les autorités légales doivent prouver qu’elles sont en mesure de remplir ce vide, dit-il. Mais le problème c’est que l’Etat est absent aussi bien de Jezzine que de Baabda. Si le gouvernement ne déploie pas l’armée dans le secteur évacué, je vais l’accuser d’être complice du complot visant à pousser les habitants de Jezzine à l’exode».
Mais les choses ne sont pas aussi simples. La région évacuée mardi reste sous le contrôle direct de l’ALS qui est postée sur les collines environnantes. Militairement, les hameaux abandonnés n’avaient aucune valeur, et en se retirant, la milice du Sud espère que la pression exercée sur elle par les habitants de Jezzine se relâchera un peu, lorsque ceux-ci réaliseront que l’Etat n’est pas en mesure de remplir le vide et d’assurer leur protection. Et la situation sera encore plus grave si, par malheur, un incident avait lieu dans les villages évacués.
La lenteur de la réaction de l’Etat est due à deux facteurs: une méfiance maladive et le refus catégorique de négocier un quelconque déploiement de l’armée avec l’ALS. La première raison est vraisemblablement héritée de la Syrie qui voit, souvent à juste titre, des pièges dans toutes les propositions israéliennes. La deuxième découle d’une position de principe qui consiste à ne pas accorder la moindre légitimité à une milice utilisée par l’ennemi comme bouclier humain. Mais il y a sûrement un moyen pour mettre un terme à la souffrance des habitants de Jezzine avant le règlement «juste et global» du conflit du Moyen-Orient. Et ceux qui imaginent des combinaisons ministérielles compliquées et des lois électorales emberlificotées peuvent se payer le luxe de réfléchir un peu sur le problème de Jezzine.
Paul KHALIFEH
Le retrait inopiné de la milice de l’Armée du Liban-SUD (ALS) de plusieurs villages et hameaux de Jezzine pose une nouvelle fois le problème de cette ville prisonnière d’équations et de calculs régionaux qui dépassent ses habitants. Prudents et méfiants, les officiels craignent que ce retrait unilatéral ne cache un piège israélien. Dans les milieux politiques de...