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Actualités - OPINION

Tribune Administration : une réforme qui se fait attendre

Le récent scandale de la falsification des timbres fiscaux, les détournements de fonds au ministère des Finances, le scandale aux douanes mettent en relief l’état de décadence avancé de l’Administration publique minée à la base par une corruption généralisée. La question de la réforme administrative est plus que jamais posée. Depuis des années des tentatives d’épuration sont tentées, depuis le mandat du président Hélou. Elle ont toutes échoué.
En novembre 1994, l’ancien ministre de la Réforme administrative, M. Anouar El-Khalil, a avoué que la politique a été étroitement liée à la tentative d’épuration menée par le premier gouvernement de M. Hariri, épuration qui s’est révélée être un échec total. Il a quand même souligné que, malgré cet échec, le gouvernement (en 1994) tenait à une réforme en profondeur «quel qu’en soit le coût».
Plus récemment, la déclaration ministérielle du gouvernement actuel a bien prévu cette réforme parmi les réalisations promises d’autant qu’elle constitue en fait un facteur pouvant aider à la relance économique du pays.
Plus encore et dans le cadre des résultats de la conférence des «Amis du Liban» tenue à Washington, le ministre actuel de l’Economie et du Commerce, M. Yassine Jaber, affirme que le Liban contemporain ne peut se construire qu’avec une administration saine et moderne, le secteur public constituant l’élément moteur de l’économie.
Toutes ces promesses seront-elles tenues? Peut-on vraiment espérer aboutir à une réforme sérieuse et efficace? Ou bien aboutira-t-on en fin de compte à plus de déceptions que d’espoirs et cette réforme tant attendue restera une utopie?
1- L’état de l’Administration
Une analyse réaliste des MAUX ESSENTIELS dont souffre l’Administration au Liban montre en effet que des vices de structure constituent les causes profondes de l’anarchie qui règne au sein de l’Administration.
1-1 La désorganisation des services publics
Elle est due en premier lieu à une routine administrative pesante et enchevêtrée. Un remède certain serait la décentralisation administrative, un sujet tant de fois abordé et jugé efficace pour la simplification des démarches du citoyen dans l’accomplissement de ses formalités.
1-2 Des effectifs démesurés
Dans certains départements, l’effectif est en nombre nettement insuffisant.
Ce fait est de nature à occasionner un retard assez substantiel dans l’accomplissement des formalités. Il est d’autant plus saillant que les cadres propres dans plusieurs départements datent de plus de 35 ans et ne s’adaptent plus au rythme actuel du travail. Par contre, la nomination excessive et superflue de commis dans d’autres administrations (clientélisme de nos politiciens oblige...) ne peut que refléter le degré de désorganisation et de l’anarchie qui règnent au sein de l’Administration.
1-3 Manque de technicité du personnel
Nombre d’agents du service public ont été engagés sans aucune technicité par rapport au travail qu’ils sont supposés assumer actuellement. Là aussi, histoire de satisfaire périodiquement le désir de caser les protégés de certains personnages «influents».
1-4 Absence de toute motivation au niveau du personnel
Plusieurs facteurs sont de nature à désintéresser totalement le fonctionnaire de l’Etat dans l’accomplissement de sa mission.
a) L’avancement dans sa fonction est régulier
Le sérieux dans le travail et la compétence ne sont pas appréciés à leur juste valeur. Ainsi, le fonctionnaire ou le journalier qu’ils soient consciencieux et qualifiés, négligents et incompétents, bénéficient du même avancement dans l’échelon des salaires car cet avancement est régulier et ne dépend aucunement du rendement.
b) Le favoritisme et le clientélisme
Ces critères constituent la plaie profonde voire le cancer de notre Administration. Soustraire totalement le Conseil de la Fonction Publique et l’Organisme de l’Inspection Centrale de l’influence et de l’ingérence des politiciens serait une heureuse initiative et un début prometteur dans le sens d’une vraie réforme mais le vote d’une telle loi par nos députés, serait-il pensable?
Un vœu pieux dans ce sens peut toujours être formulé...
C) Des salaires moins que bas, voire dérisoires
A ce niveau, nous touchons au problème essentiel de l’Administration, à savoir les salaires dérisoires, disons-le sans ménagement des salaires symboliques.
En effet, une étude exhaustive du coût moyen de la vie, étude effectuée en mars 1995, a évalué les besoins mensuels d’une famille de cinq personnes à un million de L.L, soit environ 650 U.S.D.
Plus récemment, des enquêtes conjointes de la Banque mondiale et d’experts locaux montrent que ces mêmes besoins ont atteint un niveau qui se situe entre 800 et 950 U.S.D. selon la région (milieu rural ou citadin).
Avec ces données en évidence, nous rappelons que le salaire d’un fonctionnaire, au service de l’Etat depuis plus de vingt ans, varie entre 200 U.S.D. et 500 U.S.D selon son grade, soit bien en deçà de ses besoins mensuels!
En tenant compte de ces données, on est en droit de se poser deux questions:
La première: Comment ce fonctionnaire s’arrange t-il pour faire vivre sa famille et quels sont les moyens qui lui permettent de subvenir aux besoins de sa famille?
La seconde: Quelle est la motivation réelle ou quel est vraiment le niveau professionnel d’un jeune universitaire, qui accepterait par exemple de se faire embaucher au service de l’Etat avec un salaire trois ou quatre fois inférieur au salaire du secteur privé?
Deux questions qui en disent long et qui se passent de commentaires.
1-5 Quelles sont les conséquences de ces conditions dans lesquelles se débat l’Administration au Liban?
Ces conséquences sont plus que déplorables au niveau des citoyens qui sont plus que jamais dégoûtés, désintéressés sauf évidemment pour ce qui constitue leur quotidien, leur adaptation forcée à faire face à la corruption qui sévit dans les services publics. En somme, une forme de corruption inhérente au système en place depuis des décennies, au point qu’on s’y habitue. Et c’est là où réside le vrai mal, un mal endémique.
2 - Une réforme administrative est-elle possible dans les circonstances actuelles?
Comme nous venons de le constater, les remèdes à la réalisation d’une réforme administrative saine et valable revêtent trois aspects différents:
- L’aspect administratif pur qui consiste à:
a) solutionner la désorganisation des services publics
b) pallier le manque de technicité dans les divers départements
c) adopter le principe de l’avancement dans la fonction pour qu’il soit tributaire du sérieux et du rendement que fournit le fonctionnaire et non plus se restreindre à un avancement régulier.
d) assurer un contrôle efficace et actif de la part de l’Inspection Centrale qui ne doit plus se cantonner dans son rôle passif actuel.
Ces mesures, d’ordre administratif, peuvent bien être entreprises. Ils auront une nette incidence positive au niveau du citoyen.
- L’aspect politique consiste à soustraire totalement le Conseil de la Fonction Publique et l’Organisme de l’Inspection Centrale à l’emprise des politiciens de façon à éliminer radicalement les interventions, les pressions, la favoritisme et le clientélisme si chers (et si vitaux) aux gens du pouvoir.
Malgré le fait que le président Hariri ait (timidement) envisagé la possibilité de proposer une loi suivant laquelle le Conseil de la Fonction Publique et l’Inspection Centrale seraient soustrés à toute ingérence politique de façon à les rendre totalement autonomes, il est difficile, voire impossible, d’envisager comment le système hybride du pouvoir actuel peut se restreindre de lui-même et cesser de s’immiscer dans la nomination des commis de l’Etat, de perdre le «clientélisme» et le «favoritisme» qui leur est si cher.
L’aspect financier consiste à reconsidérer les salaires des fonctionnaires de façon à rattraper les niveaux du secteur privé. Dans les circonstances actuelles, ont peut se demander si de telles mesures sont réalisables.
Ainsi, nous commencerons par rappeler le refus du ministre des Finances d’appliquer la nouvelle échelle des grades et des salaires votée par le Parlement, sans avoir au préalable instituer de nouvelles taxes équivalentes à la hausse prévue des salaires. Elle coûtera au Trésor non moins de 600 milliards de livres libanaises par an.
Nous rappellerons aussi comment ce même ministre a passé outre à la décision du Conseil d’Etat d’octroyer des indemnités aux employés de la régie.
Comment alors penser à hausser les salaires des agents de l’Etat quand la progression de la dette publique (volets intérieur et extérieur) est galopante.
Sans l’institution de nouvelles taxes, toute l’économie de l’Etat serait ébranlée de même que la stabilisation de la livre libanaise, réalisée depuis l’avènement du premier gouvernement Hariri.
Dans les chiffres, la dette publique intérieure est passée de 7,5 milliards de dollars au début de 1996 à 10,5 milliards à la fin de 1996, sans pour autant que l’Etat ait octroyé des hausses de salaires dans certains départements.

Conclusion

Dans les circonstances actuelles, tant le volet financier de cette réforme administrative que son volet politique restent difficilement réalisables.
En effet le ministre Siniora vient de confirmer une fois de plus que le financement de 600 milliards de L.L. par an qui permettra à la nouvelle échelle des salaires de voir le jour, doit être assuré par la création de nouvelles taxes et de nouveaux impôts dont les citoyens vont payer le prix... Nouvelles taxes sur le téléphone cellulaire, hausse du prix de l’essence, ou toute autre taxe que l’Etat cherchera à instituer. En somme, c’est le citoyen qui assumera les charges de cette hypothétique réforme.
Quant au volet politique, on voit mal comment nos politiciens et nos ministres accepteront de se soustraire à la possibilité de s’immiscer dans les nominations des fonctionnaires du secteur public. Comment pourront-ils ne plus pouvoir «caser» leur clientèle et leurs protégés?
Le vrai malheur consisterait à instituer ces taxes, à hausser les salaires, mais sans toutefois aboutir à l’amélioration effective des services de l’Etat...
Dans tous les cas le ministre de la Réforme Administrative, M. Béchara Merhej, a bien avoué que cette réforme, bien que nécessaire et vitale pour le pays et pour sont économie, reste une tâche ardue et compliquée.
Jusqu’à présent, le gouvernement n’a trouvé dans le cadre de cette réforme, qu’à penser à des mutations parmi les directeurs généraux de la première catégorie..., mesure qui serait applicable tous les trois ans. Maigre consolation car cette mesure reste inefficace puisqu’elle ne change en rien les peines quotidiennes du citoyen face à une administration minée et en ruine...
Et une fois de plus, on est en droit de se demander si la réforme administrative restera pour longtemps un projet chimérique.
Le récent scandale de la falsification des timbres fiscaux, les détournements de fonds au ministère des Finances, le scandale aux douanes mettent en relief l’état de décadence avancé de l’Administration publique minée à la base par une corruption généralisée. La question de la réforme administrative est plus que jamais posée. Depuis des années des tentatives...