Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Le philharmonique de Radio-France et Rostropovitch à Baalbeck Chatoyances orchestrales et lyrisme d'un archet (photo)

Malgré les années écoulées, malgré le traumatisme d’une guerre abominable malgré les rides du temps, malgré nos angoisses secrètes et ravalées, les souvenirs d’Aragon, de Noureev, de Karajan flottent encore dans cet espace voué au dieux immortels...
Comme un enchantement, comme un parfum lancinant, comme une mémoire qui n’oublie rien, le passé ressuscite avec son éclat, ses espoirs, toute sa force...
Péremptoire comme un irrévocable appel à la vie, incandescent comme une météorite traversant le ciel, ce coup d’archet de Rostropovitch dans le temple de Bacchus, telle une baguette magique, nous ramène à la lumière du son.
Musicien accompli, vedette au-dessus de tout éloge, dont la longue carrière ratentit de succès, prince du violoncelle, Mstislav Rostropovitch est accompagné de l’orchestre Philharmonique de Radio-France placé sous la houlette de Marek Janowski.
Est-ce coïncidence ou de propos délibéré, comme un hommage à peine voilé à mes souffrances passées et à notre volonté de renaître, que d’entamer ce concert avec l’ouverture d’Egmont de Beethoven? On s’interroge, en retenant son souffle pour écouter. Une œuvre inachevée qui exalte avec véhémence l’amour de la liberté, célèbre le courage et la générosité, condamne sans recours tout despotisme, toute cruauté… Inspirée du drame de Goethe, cette musique de scène narre la lutte du comte d’Egmont contre l’envahisseur espagnol, et sa mise à mort par le duc d’Albe en 1568. Sujet plein de fureur et de sang, dont les échos chargés de puissance, d’émotion et d’un lyrisme torrentiel déferlent ici sur les ruines de Baalbeck où sommeillent, en toute secrète quiétude les «Baals» d’un intrépide paganisme... Ouverture célèbre, grandiose, à la dimension de ces pierres immémoriales ruisselant d’une poussière sur laquelle le temps a si peu de prise... Une ouverture où éclatent avec vigueur cas thèmes «beethovéniens» tissés de passion, de doute, de certitude, de colère, d’idéal, d’élan, de rêverie. Expression émouvante de tout drame de vivre...
Débutant en fa mineur dans une atmosphère pesante qui évoque le supplice du héros, décrivant la douleur de Clara, compagne fidèle, suggérant la grogne du peuple, cette musique est aussi impressionante de puissance qu’une statue de Michel Ange taillée dans le marbre. L’allegro qui suit offre un motif bien marqué et se termine par un allegro con brio en fa majeur qui exprime, dans l’allégresse, la grandeur du sacrifice d’Egmont.
Puis d’un nouveau monde sonore et le concerto pour violoncelle et orchestre d’Anton Dvorak où Rostropovitch mêne la ronde des notes qui papillonnent autour des chapiteaux, des colonnes et réveillent les pierres assoupies...
Nostalgique, échevelée avec des tirades où sanglote un violoncelle au lyrisme frémissant, cette œuvre aux confins des aveux déchirants récite un art bien national, libéré de la tutelle allemande ou italienne. A écouter ces plaintes mugissant comme les vents du nord, ces vociférations rageuses comme les feux de l’enfer rendus par un orchestre déchaîné, on ne s’étonne guère de l’admiration que Brahms éprouvait pour l’auteur des «Chants moraves». Narration empreinte d’un romantisme ténébreux, mais gardant constamment des modulations, un développement, conduits naturellement où tout demeure simple, direct, perceptible avec un vibrant appel à la sensibilité et des plages d’une fiévreuse poésie.

Berlioz le Fantastique…

Après l’entracte, romantisme absolu avec la «Symphonie Fantastique» de Berlioz, œuvre charnière dans l’histoire de la musique où la symphonie se transforme brusquement en «poème instrumental». Ecrite en trois mois, dans un état d’extrême agitation, controversée, admirée, objet de violentes passions, authentique bataille d’Hernani musicale, cette symphonie reflète, comme un diamant brut éblouissant, le bouillonnement d’esprit de Berlioz. Elle livre tout un pan d’une singulière personnalité qui n’a rien à envier à un turbulent héros balzacien en butte à des réalités brutales.
L’argument de la «Symphonie Fantastique», «épisode de la vie d’un artiste», se rapporte à «l’infernale passion» de Berlioz pour Harriet Smithson. Un jeune artiste, d’une sensibilité maladive, s’empoisonne avec de l’opium, dans un accès de désespoir amoureux. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un sommeil accompagné d’étranges visions qui se traduisent en images musicales. La femme aimée, elle-même, est devenue pour lui une mélodie et comme une idée fixe qu’il retrouve et entend partout. Envoûtante, envoûtée, incantatoire, obsessionnelle, démesurée, torturée, cette œuvre aux racines plongeant, dans la douleur, la tourmente, la nuit et la mort a le parfum vénéneux du mal du siècle dernier…
Planent sur ces pages orageuses, électrisées, les ombres de Goethe, Beethoven, Shakespeare et Schumann. Bouillonnante, tragique, sombre, cette «Symphonie Fantastique», partition étrange, construite de manière désordonnée, demeure sans conteste une bouleversante illustration des aspirations romantiques où se mêlent en une saisissante tornade de notes un irrépressible élan au bonheur et la fascination de la mort. Dominée par une force explosive, ponctuée par les cuivres et les trombones, servie par un timbre éclatant, cette œuvre traduit en audacieux termes sonores une vision suffocante, et angoissée où le bonheur est une quête impossible, une utopie vaine… Narration impétueuse, subtile et révoltée pour une évocation au lyrisme flamboyant. La tempête d’applaudissements saluant les dernières notes évanouies avec le chant des grillons et le pépiement des oiseaux survolant ces ruines illuminées, était un vibrant et juste hommage à l’orchestre Philharmonique de Radio-France et à son chef Marek Janowski.
Par delà la modestie d’une bourgade jaillie d’un autre âge que Baalbeck reste en dehors de l’enceinte des ruines (et qui fait figure d’enfant pauvre à côté d’un événement où le public rivalise d’élégance et de raffinement) la magie de la musique aurait été certainement plus entière si le passage sur scène de Rostropovitch n’avait été aussi court. Et surtout si la performance avait eu lieu en une aire moins ouverte, où les sons se dispersent perdant l’ampleur de leur portée…

Edgar DAVIDIANS
Malgré les années écoulées, malgré le traumatisme d’une guerre abominable malgré les rides du temps, malgré nos angoisses secrètes et ravalées, les souvenirs d’Aragon, de Noureev, de Karajan flottent encore dans cet espace voué au dieux immortels...Comme un enchantement, comme un parfum lancinant, comme une mémoire qui n’oublie rien, le passé ressuscite avec son...