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Actualités - OPINION

Regard Arts plastiques contemporains du Brésil A contrario

Il n’est pas facile de résumer la création artistique contemporaine au Brésil en 28 artistes.
Janette Costa, commissaire de l’exposition, qui se tient dans le cadre des manifestations culturelles «Art Brésil 97», précise que «cet échantillonnage représente une parcelle de la grande production artistique brésilienne», mais qu’il s’agit cependant du «cœur pluraliste qui compose cet énorme pays, presque un continent».
Pluralisme éclectique de l’école internationale qui prévaut aujourd’hui un peu partout, traduisant sur le plan de l’art la mondialisation de l’économie et la globalisation des échanges.
Mais, à côté d’œuvres qui pourraient avoir été conçues à Barcelone, Brighton ou Beyrouth, surtout celles d’allures géométrique ou minimaliste, qui sont la majorité, il y a des œuvres plus spécifiquement brésiliennes, comme celles d’Alberte Lefèvre qui s’inspire dans ses sculptures sur bois peint des instruments et engins des Indiens autochtones. Cela donne des objets étranges et beaux, d’allure à la fois utilitaire et gratuite, moderne et ethnologique.
Marcelo Silveira, lui, dans ses sculptures sur bois (avec charbon et kaolin) se rapporte d’une manière plus subtile, moins directement visible, à la terre brésilienne. C’est en déterrant des troncs de cèdres carbonisés par son grand-père pour défricher le terrain qu’il a eu la révélation de leur beauté de bois rouge brûlé à la surface, noir de charbon. Il n’a eu qu’à les débiter en billots posés sur des pieds (et rassemblés en guise d’installation) et en formes plus sophistiquées, recouvertes de kaolin, pour faire ressortir encore davantage la mate noirceur de la surface incendiée, avec des bondes en bois rouge réparties régulièrement. Œuvres qui n’ont rien de spécifiquement brésilien ni dans la conception ni dans la forme, mais qui auraient été impossibles sans la méthode de la terre brûlée pratiquée autrefois et jusqu’aujourd’hui par l’agriculture extensive brésilienne dans les régions forestières.

«Point brésilien»

Curieusement, les œuvres qui semblent d’emblée les plus évidemment brésiliennes en raison de l’exubérance naïve de leur faune et de leur flore tropicales et de leur débordement de vie et de couleurs, sont les tapisseries d’une Française née en 1907 au Maroc et établie au Brésil en 1940, Madeleine Colaço, qui présente une exposition personnelle, parallèlement à la collective du Musée Sursock, à la galerie Alice Mogabgab.
Cette femme de tête, qui a inventé un curieux point irrégulier homologué internationalement sous l’appellation «point brésilien», le combine avec un point dit «coulé» ou «point normand» utilisé au XIe siècle par la reine Mathilde pour broder la fameuse tapisserie de Bayeux. Cela permet à Colaço de cantonner le «point brésilien» aux fonds plats et de délinéer ses oiseaux, ses animaux, ses plantes et ses maisons à l’aide du point coulé. Ce qui donne un effet graphique inusité en tapisserie.
Il faut dire que le mot tapisserie induit en erreur ici puisqu’il ne s’agit pas de tissage de basse ou de haute lisse mais de broderie sur canevas. Colaço y dessine ses sujets, choisit les couleurs et les laines et les confie à des brodeuses spécialisées, formées par elle. Elle a ainsi réanimé une région rurale qui languissait économiquement en donnant du travail aux femmes désœuvrées.
A la mouvance «brésilienne» peut aussi être rattaché Galeno, avec ses couleurs chaleureuses et ses symboles hétéroclites, et peut-être Hilal Sami Hilal dont les travaux de guipure de papier et tissu ont quelque chose de la tradition baroque sud-américaine, tout comme les robes du designer Lino Villaventura ou les bijoux d’Antonio Bernardo ou même les collages de verres et tessons de Nina Moraes.

Tendance géométrisante

Comme Hilal Sami Hilal, plusieurs artistes sélectionnés sont d’origine libanaise ou arabe: Edouardo Sued, dont le «hard edge» rappelle celui de Saliba Douaihi en plus rigide, Emmanuel Nassar, lui aussi abstrait géométrique quoique plus agressif, Davi Cury au travail minimaliste extrêmement subtil dédié à de grands peintres, dont Hokusai. André Lasmar, bijoutier aux formes sévères, est peut-être aussi d’origine libanaise.
Les œuvres de ces artistes relèvent toutes de la tendance géométrisante tout comme celles d’Aprigie qui façonne des symboles élémentaires avec du sable et du ciment sur bois, d’Ascânio MMM qui traduit dans le bois les mouvements d’expansion et de contraction, d’Eduardo Frota, qui transforme en sculptures de bois poli des figures engendrées à partir de carrés magiques ou de polygones, de Galvao qui joue avec des reliefs cubiques, cylindriques et irréguliers en bois peint, de Gonçalo Ivo qui s’inspire de motifs de tissus africains, de Luis Hermano qui enroule des plaques de cuivre gaufré, de Liuz Mauro qui divise son tableau en 36 carrés d’argent et de cuivre, de Mauricio Ary dont les techniques mixtes sont des sortes de vestiges archéologiques abstraits, de José Paulo, architecte-céramiste aux volumes cylindriques hérissés d’excroissances pyramidales, de Pepe Torras, dont les bijoux sont stricts et sans fioritures, et même de Mauricio Bentes, dont les sculptures en fer peint sont d’une rigueur minimaliste soulagée par des feuilles mortes étalées à leurs pieds, de Flavio Marinho Rêgo, avec ses architectures aux lignes droites, et de José Guedes, dont les photos digitalisées sur résine vinylique représentent des amas de ferraille, donc des formes abstraites.

Délocalisations

Seuls Aguilar, dont les acryliques impressionnants semblent s’inspirer de la «Divine Comédie» de Dante, Teresa Cesar, qui peint «L’accouchement d’une pastèque» avec des suggestions érotiques, et le sculpteur Christina Motta, avec ses personnages en bronze qui ont l’air de bonzes bouddhistes, échappent à la tendance géométrisante et abstractisante qui semble prévaloir dans les arts plastiques et l’architecture dans le Brésil d’aujourd’hui.
Cette tendance correspond-elle à quelque trait spécifique du tempérament ou du psychisme brésilien pour être tellement répandue?
Est-ce une sorte de défense contre l’exubérance proliférante de la nature tropicale ressentie comme chaotique et menaçante? Est-ce un besoin de rationalité, d’ordre et de clarté sécurisants, face à une société désordonnée, irrationnelle, traversée de pulsions instinctives, avec d’énormes disparités de fortune et de chances au départ?
On peut poser beaucoup d’autres questions. A moins que ce soit simplement l’effet d’une mode (la plupart des artistes sont relativement jeunes) ou celui d’un choix dû aux préférences personnelles de la commissaire de l’exposition, les arts brésiliens semblent être presque totalement «délocalisés». Il se peut que ce soit précisément dans cette délocalisation, dans cette fuite mentale devant le bouillonnement vital de leur vaste pays, dans ce signe d’ouverture au monde et dans l’adoption d’un langage universel immédiatement compréhensible partout, par delà les particularismes et les idiosyncrasies, qu’ils révèlent a contrario leur brasilianité aliénée. En sorte que plus ils sont brésiliens, moins ils paraissent l’être (Musée Sursock, Galerie Alice Mogabgab).

Joseph TARRAB
Il n’est pas facile de résumer la création artistique contemporaine au Brésil en 28 artistes.Janette Costa, commissaire de l’exposition, qui se tient dans le cadre des manifestations culturelles «Art Brésil 97», précise que «cet échantillonnage représente une parcelle de la grande production artistique brésilienne», mais qu’il s’agit cependant du «cœur pluraliste...