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Actualités - REPORTAGE

Le film "La môme singe" Zazie au pays de Mao (photo)

La presse n’en ayant en ce moment que pour Hong Kong et la Chine qui récupère son île au trésor, on peut penser que le distributeur de «La môme singe» a mis à profit la circonstance pour enfin sortir ce film de Xiao-Yen Wang qui figura dans la sélection officielle du Festival de Cannes en 1995 et reçut le grand prix de celui d’Aubervilliers l’an dernier. Les voies du marketing sont tortueuses à défaut d’être véritablement insondables.
Rien à voir, pourtant, entre la Chine d’aujourd’hui et celle de 1970, à mi-parcours de la Révolution Culturelle, décrite par la réalisatrice dans ce premier long métrage qui est un chef-d’œuvre d’intelligence, de tact et de drôlerie. Revenue dans son pays après des études aux Etats-Unis, elle l’a tourné avec un recul de plus de vingt ans, et sans doute faut-il reconnaître sa propre enfance dans l’histoire de Shi-Wei, une fillette de neuf ans — dans le cas de millions d’autres enfants dans la Chine d’alors — dont les parents ont été envoyés dans des camps de redressement, à la campagne, afin d’y recevoir l’enseignement des paysans.

Système D

La vie ne serait-elle plus pour Shi-Wei qu’une longue récré? Il s’en faudrait de beaucoup! Car même si la môme, un peu garçon manqué, évoquant une Zazie frondeuse et délurée au pays de Mao, se laisse glisser sur les rampes d’escalier, saute du haut d’une armoire avec une ombrelle en guise de parachute, joue à colin-maillard sur la balustrade d’un balcon du cinquième étage, et en cela ressemble à toutes les petites filles de son âge, la voilà, malgré tout, livrée à elle-même dans une grande ville et obligée de s’en tirer, à la maison, grâce aux mille expédients d’un système D de son invention.
Il y a aussi l’école où, sous la férule d’une institutrice zélée, le bourrage de crâne des chères têtes brunes est impitoyablement planifié. On déchiffre en ânonnant le Petit Livre Rouge, on déclame des textes patriotiques, on suit les cours du groupe de propagande — qui sont l’équivalent de notre instruction civique —, on raconte des apologues qui se terminent par une belle morale et, en fait de comptines, on souhaite avec force rimes longue vie au président Mao — «le soleil rouge de nos cœurs» — avant de fustiger fascistes et oppresseurs. Que tombe en outre un édit officiel faisant obligation à chaque école d’aider la nation en collectant du métal à recycler, et voilà les écoliers de corvée dans les dépôts de ferraille.

Intellos et prolos

La Révolution Culturelle n’est décidément pas de tout repos pour Shi-Wei. Et puis, avoir des parents intellos, voilà qui ne lui rend pas non plus service quand elle traverse la cité ouvrière où elle se fait conspuer par les enfants de prolos! Ses parents reviennent brièvement à la maison chargés de denrées proscrites: de quoi écorner l’autarcie où s’est enfermée la Chine à défaut de la briser. Le père a rapporté du chocolat qui distille dans la bouche une saveur de fruit défendu, et la mère un gramophone et un disque de Carmen empruntés clandestinement. Shi-Wei s’en grisera, mais il n’est pas recommandé de fredonner dans la rue «L’amour est enfant de bohème»: elle se fait tancer par une dame bien-pensante du quartier qui, sans connaître Bizet, a néanmoins l’oreille assez fine pour subodorer une musique venue d’ailleurs.

De par son scénario, «La môme singe» n’est pas un film sur la Révolution Culturelle, mais la simple histoire d’une petite fille, la Révolution n’apparaissant que de son point de vue. Ce scénario n’en a pas moins été refusé et, dans un pays où les cinéastes sont aujourd’hui comblés d’aides financières par l’Etat, Xiao-Yen Wang a dû, à l’exemple de sa jeune héroïne, recourir au système D et réaliser son film avec un budget dérisoire. Ce qu’on ne devine à aucun moment. Tourné caméra sur l’épaule pour obtenir un effet de documentaire, «La môme singe» paraît encore plus criant de vérité qu’un documentaire. Et la prodigieuse interprétation des enfants n’est pas pour rien dans ce paradoxe. Car ces mômes d’une dizaine d’années sont tous des acteurs professionnels, découverts par la cinéaste à l’école d’art dramatique de Pékin.
La presse n’en ayant en ce moment que pour Hong Kong et la Chine qui récupère son île au trésor, on peut penser que le distributeur de «La môme singe» a mis à profit la circonstance pour enfin sortir ce film de Xiao-Yen Wang qui figura dans la sélection officielle du Festival de Cannes en 1995 et reçut le grand prix de celui d’Aubervilliers l’an dernier. Les voies du...