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Actualités - CHRONOLOGIE

Toufayli maintient le rassemblement de ce matin à Baalbeck Mobilisation sécuritaire dans la Békaa pour neutraliser la révolte des affamés L'objectif de l'état : étouffer la fronde dans l'oeuf sans avoir à recourir à la répression (photos)

A quelques heures du meeting populaire prévu pour ce matin à Baalbeck en vue d’enclencher la désobéissance civile prônée par le chef intégriste chiite, cheikh Sobhi Toufayli, l’Etat a subitement sorti hier soir ses griffes: réuni dans l’après-midi sous la présidence du ministre de l’Intérieur Michel Murr, le Conseil central de sécurité a rappelé que les précédentes décisions du Conseil des ministres interdisant les manifestations et les rassemblements demeurent toujours en vigueur, et que l’armée libanaise et les FSI sont chargées de veiller à la mise en application de ces décisions. En clair, le pouvoir paraissait déterminé, hier soir, à mettre tout le paquet afin d’interdire le rassemblement de Baalbeck, ou tout au moins d’en diminuer l’impact médiatique et psychologique. De fait, d’importants effectifs de l’armée ont été dépêchés dans la région de Baalbeck où de nombreux barrages ont été érigés sur les routes.
La «révolte des affamés» induite par cheikh Toufayli serait-elle donc condamnée à être étouffée dans l’œuf? La réponse à cette question est, certes, prématurée et elle ne peut être, en tout cas, que nuancée, compte tenu des données en rapport avec ce dossier en tout point complexe. Dans l’immédiat, l’Etat cherche, par le biais d’un déploiement massif de l’armée, à réduire le rassemblement à sa plus simple expression, en entravant au maximum l’arrivée de la population au lieu prévu pour le meeting, devant le sérail de Baalbeck, ce matin à 10 heures.
Le gouvernement avait eu recours à cette même manœuvre lors des rassemblements organisés à Beyrouth par la CGTL conduite par M. Elias Abou Rizk. Mais dans le cas qui se présente aujourd’hui, la situation est radicalement différente. Cheikh Toufayli s’appuie, en effet, sur une vaste assise populaire particulièrement motivée et mobilisée. Ses partisans sont imprégnés d’un solide esprit militant qui fait que les mesures de sécurité, même impressionnantes, ne sauraient les dissuader.
Dans un tel contexte, quelle serait l’attitude des forces de l’ordre si des dizaines de milliers de jeunes venaient à descendre ce matin dans les rues de Baalbeck, à l’appel de cheikh Toufayli? Selon diverses sources concordantes, le mot d’ordre semble être d’éviter toute confrontation violente entre les militaires et les manifestants. L’objectif serait ainsi de tenter de torpiller le mouvement sans aller, toutefois, jusqu’à recourir à la force ou à la répression sauvage.
A l’issue de la réunion du Conseil central de sécurité, hier après-midi, le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs rappelé dans ce cadre les décisions du Conseil des ministres du 28 juillet 1993, du 1er décembre 1994 et du 17 juillet 1995, interdisant les rassemblements et confiant à l’armée et aux FSI la tâche d’appliquer cette décision. Mais M. Murr a tenu à préciser que «les unités de l’armée et des FSI qui se déploieront dans la région (à Baalbeck) ont pour mission de préserver l’ordre et les édifices publics, et non pas de défier une quelconque partie ou de tirer sur quelqu’un».
Face à la détermination des partisans de cheikh Toufayli, et dans le but d’éviter un bain de sang, l’Etat paraît opter ainsi pour la solution médiane: éviter une confrontation directe, tout en faisant un étalage de force pour retarder et entraver au maximum le flux de manifestants vers le sérail de Baalbeck. Sur le plan officiel, et publiquement, le pouvoir aura ainsi sauvé la face en s’en tenant à sa décision d’interdire les rassemblements. Dans la pratique, il aura pris soin de ne pas tomber dans le piège du «clash» tout en réduisant l’ampleur et l’impact psychologique du meeting populaire, à défaut de pouvoir l’interdire totalement.
A cette fin, le Conseil central de sécurité a annoncé en fin d’après-midi une mesure quelque peu habile: tous les journalistes et les correspondants de presse qui désiraient couvrir l’événement ont été priés de se procurer un permis spécial auprès du ministère de l’Intérieur. «Cette mesure vise à faciliter la tâche aux journalistes afin que ces derniers ne soient pas importunés aux barrages de sécurité et qu’ils puissent couvrir l’événement», a précisé M. Murr, à l’issue de sa réunion avec les hauts responsables des différents organismes de sécurité. Renseignement pris, les demandes de permis ne pouvaient être présentées que tôt... ce matin. Autant dire que les correspondants de presse ne pourront atteindre Baalbeck qu’en début d’après-midi (dans la meilleure des hypothèses), compte tenu des lenteurs administratives et des multiples barrages qui seront érigés sur les routes. Manifestement, et dans le cadre de ses efforts visant à diminuer la portée de l’événement, le pouvoir cherche à éviter toute couverture médiatique du rassemblement.
L’apparente demi-mesure pour laquelle semble avoir opté l’Etat pourrait être facilitée par l’attitude «sage» affichée par cheikh Toufayli. Dans une déclaration faite hier, il a ainsi affirmé que cette journée du 4 juillet — qui marquera le début de la «révolte des affamés» — sera «pacifique et calme». «Il n’y aura aucun problème sur le plan de la sécurité», a-t-il affirmé. Cheikh Toufayli a été jusqu’à souligner que la journée d’aujourd’hui sera non seulement «pacifique», mais elle revêtira aussi un caractère... touristique! «Celui qui aura participé à la révolution du 4 juillet, a-t-il déclaré non sans humour, pourra par la suite visiter les ruines de Baalbeck ou passer une journée agréable à Ras el-Aïn»... «Nul ne sera importuné», a affirmé le chef intégriste.
Est-ce à dire qu’il existe une entente tacite entre le pouvoir et cheikh Toufayli pour «gérer» la journée d’aujourd’hui de manière à éviter tout dérapage sécuritaire, en sauvant la face de l’Etat tout en maintenant un rassemblement de «fait accompli»? Le chef intégriste a reconnu hier l’existence d’une telle «coordination» entre lui et les services de sécurité. Certaines informations de presse avaient déjà fait état, mercredi, de cette coordination. D’aucuns avaient même affirmé que le ministère de l’Intérieur avait autorisé le meeting populaire. Cette version des faits a toutefois été catégoriquement démentie hier par M. Murr qui a réaffirmé, dans sa déclaration, que les rassemblements demeurent toujours interdits, et qu’en tout état de cause, nul n’avait présenté une demande d’autorisation pour tenir un meeting ce matin à Baalbeck. «Même si cette demande avait été présentée, nous l’aurions refusée», a souligné le ministre de l’Intérieur.

Un faux problème

Quoi qu’il en soit, l’ampleur du rassemblement populaire prévu à 10 heures devant le sérail de Baalbeck revêt, certes, une certaine importance (symbolique). Mais limiter l’enjeu actuel à la tenue ou non de ce meeting constitue un faux problème. De fait, le rassemblement ne représente, en principe, que le point de départ d’un mouvement de désobéissance civile qui devrait amener la population de la Békaa à ne plus verser les factures d’électricité et de téléphone, à ne plus payer les taxes, et à construire des habitations sans obtenir les permis de construction requis.
C’est en définitive sous l’angle de l’ampleur concrète de cette désobéissance civile et de son impact réel sur les finances de l’Etat que l’on pourra porter un jugement sur la réussite ou l’échec de la «révolte des affamés». Un tel bilan dépendra en outre d’un facteur de poids: les éventuelles ramifications régionales du mouvement de cheikh Toufayli. S’il se confirme que cette fronde cache une quelconque manœuvre externe, l’apparente fermeté manifestée hier soir par le pouvoir pourrait n’avoir que des effets limités.
Il reste qu’au-delà de ces différentes considérations politiques ou politiciennes, un problème de taille reste encore à résoudre: juguler la crise socio-économique aiguë qui étouffe la population et répondre d’une manière rationnelle aux attentes des habitants des différentes régions périphériques du pays.

M.T.

Michel TOUMA
A quelques heures du meeting populaire prévu pour ce matin à Baalbeck en vue d’enclencher la désobéissance civile prônée par le chef intégriste chiite, cheikh Sobhi Toufayli, l’Etat a subitement sorti hier soir ses griffes: réuni dans l’après-midi sous la présidence du ministre de l’Intérieur Michel Murr, le Conseil central de sécurité a rappelé que les...