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Actualités - CHRONOLOGIE

Une campagne de mobilisation serait déjà en cours Grogne des commerçants contre les mesures économiques du gouvernement

Les mesures économiques protectionnistes et dirigistes prises mardi soir par le gouvernement ont eu l’effet d’un coup de massue au niveau de la population. Ce n’est que dans les prochains jours que l’on pourra évaluer réellement l’ampleur de l’onde de choc provoquée par l’augmentation substantielle des taxes sur les voitures touristiques et par la nouvelle politique agricole qui implique l’interdiction de l’importation d’une large gamme de produits étrangers. Mais dès hier, une grogne à peine voilée — laissant présager un vent de colère — était déjà perceptible dans les cercles des importateurs de voitures ainsi que dans les milieux de l’Association des commerçants (VOIR AUSSI PAGE 4).

Sur le plan du principe, les mesures drastiques adoptées mardi en Conseil des ministres vont à contre-courant de la tendance mondiale qui évolue vers une abolition générale des barrières douanières. Le Liban était réputé pour son libéralisme, souvent poussé à l’extrême. Aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, il paraît s’engager sur la voie du dirigisme et du protectionnisme alors que dans le même temps, il est engagé dans des négociations ardues en vue de s’intégrer dans le projet de partenariat euroméditerranéen qui prévoit, notamment, l’instauration d’une zone de libre échange à l’échelle du bassin méditerranéen.
De source loyaliste, on souligne à ce sujet que ces projets d’abolition des barrières douanières et de création de zones de libre échange en sont encore à leur phase préliminaire et ne se concrétiseront que dans plusieurs années, notamment en ce qui concerne le partenariat euroméditerranéen. Par voie de conséquence, ajoutent les milieux proches du premier ministre, il est nécessaire dans l’immédiat de donner une importante impulsion au secteur agricole de manière à accroître le produit national et à éviter la déroute des agriculteurs, d’autant que ces derniers représentent non moins de 8 pour cent de la population active. En d’autres termes, c’est précisément dans la perspective des zones de libre échange que le Liban se doit, dans une première étape, de protéger et de renforcer sa production nationale afin qu’elle soit compétitive lorsque les barrières douanières seront levées.
En outre, face au marasme actuel dans le pays, et compte tenu du fait que le boom économique qu’aurait dû engendrer le processus de paix au Proche-Orient est pour l’instant compromis, le gouvernement affirme vouloir donner un nouveau souffle aux secteurs productifs afin de relancer l’économie nationale. La réalisation d’un tel objectif est, certes, vitale. Mais encore faut-il qu’elle ne se traduise pas par le sabotage d’autres secteurs d’activité. L’interdiction de l’importation d’un vaste éventail de produits agroalimentaires ne manquera pas de placer, en effet, au bord du gouffre de nombreux commerçants et agents importateurs qui sont engagés dans d’importants contrats avec des firmes étrangères. Si de tels contrats sont remis en cause, un grand nombre de salariés et d’employés risquent forcément de se retrouver au chômage. Ce même problème se pose également, par ricochet, dans le cas du marché automobile. Si ce dernier traverse une crise grave du fait de la surtaxation, d’autres secteurs risqueraient d’en pâtir indirectement (dont notamment la publicité et les assurances), ce qui ne manquerait pas d’avoir un impact négatif sur le marché de l’emploi ou sur certaines charges assumées par les consommateurs.

Fronde à l’Association
des commerçants

Dans les milieux de l’Association des commerçants, on cachait mal hier soir, dans ce contexte, un double sentiment de colère et de fronde qui a été largement exprimé à l’occasion d’une cérémonie organisée en fin de journée par l’Association en l’honneur de quatre de ses membres. Les mesures prises par l’Exécutif ont été notamment qualifiées «d’atteintes graves à l’un des fondements du Liban», à savoir le système d’économie libérale. Les orateurs qui ont pris la parole au cours de cette cérémonie, dont notamment les responsables de l’Association des commerçants, ont affirmé leur détermination à faire échec à la nouvelle politique dirigiste du gouvernement. Une campagne de mobilisation n’est donc pas à exclure dans ce cadre.
Une telle fronde, si elle se traduit dans les faits, n’est pas sans rappeler le vaste mouvement de protestation qu’avait mené l’Association des commerçants en 1970, au début du mandat Frangié, afin de contrer le fameux décret 1943 que le ministre des Finances de l’époque Elias Saba avait publié afin de surtaxer une large gamme de produits d’importation dits de luxe. Le prétexte invoqué était également de soutenir la production locale. Le gouvernement avait dû alors faire marche arrière.
C’est en principe aujourd’hui que la position de l’Association des commerçants devrait être clarifiée au sujet de cette affaire. Une assemblée générale extraordinaire est en effet prévue à 16 heures au siège de l’association. L’attitude qui sera définie à cette occasion est d’autant plus importante qu’elle pourrait conditionner la politique du gouvernement dans d’autres domaines que l’agro-alimentaire. Comme ce fut le cas lors du décret 1943 de 1970, l’Exécutif ne risquerait-il pas d’être tenté, dans un avenir plus ou moins proche, d’interdire ou de surtaxer d’autres produits d’importation de grande consommation, sous prétexte d’encourager la production industrielle locale?
La grogne perceptible au niveau de l’Association des commerçants s’est également manifestée hier, d’une manière à peine voilée, dans les milieux des importateurs de voitures de tourisme. Ces derniers affirment, en effet, que les nouvelles mesures prises par le cabinet Hariri porteront un coup fatal au marché des voitures moyennes et de haut de gamme. Le Liban risquerait alors de se retrouver dans la situation de nombreux pays tiers-mondistes, à savoir avec un parc automobile formé essentiellement de voitures usagées ou de bas de gamme.
Pour faire admettre ses décisions de mardi, le gouvernement souligne que les voitures de moins de 10.000 dollars ne seront pas touchées par l’augmentation des taxes. Mais combien de modèles de voitures existe-t-il à un tel prix? Ce point précis devrait être soulevé au cours d’une réunion que les responsables de l’Association des importateurs d’automobiles tiendront aujourd’hui avec le ministre Fouad Siniora. Les importateurs tenteront, notamment, d’obtenir que ce plafond de 10.000 dollars soit modifié à la hausse de manière à inclure un plus large éventail de modèles de voitures dans la catégorie non touchée par la nouvelle taxation.

Qualité et prix

Au niveau des consommateurs, c’est-à-dire pour l’ensemble des Libanais de classe moyenne ou laborieuse, ce qui importe le plus dans les récentes mesures économiques, ce sont surtout les retombées au niveau de la qualité et des prix des produits qui seront disponibles sur le marché.
Il est, certes, fondamental de développer les secteurs productifs du pays, mais à condition que cela ne se traduise pas, dans la balance globale, par une paupérisation accrue des Libanais. Car force est de constater que les décisions adoptées par le gouvernement risquent fortement de provoquer une flambée des prix. Débarrassés de la concurrence étrangère, et bénéficiant d’un monopole de facto, les producteurs locaux ne risquent-ils pas d’imposer des prix échappant à la loi du marché? Dans l’état actuel de l’administration publique, l’Etat est-il en mesure d’exercer un quelconque contrôle sur ce plan?
Ce problème de contrôle se pose également au niveau de la qualité de la production locale. Autre question vitale: l’interdiction des importations inclura-t-elle aussi les produits agricoles syriens? En toute logique, tel devrait être le cas. Mais l’Etat libanais a-t-il vraiment les moyens d’appliquer sa politique protectionniste aux produits syriens? Est-il en mesure de contrôler efficacement ses frontières terrestres de manière à empêcher, entre autres, la contrebande? Dans les milieux gouvernementaux, on reconnaît explicitement qu’il y a là, effectivement, un véritable problème, un véritable défi à relever. A la lumière du contexte présent, on peut se permettre de douter des résultats possibles dans ce domaine. Mais dans l’immédiat, l’important reste que les consommateurs et les Libanais à revenus moyens ou limités ne fassent pas, seuls, les frais d’une nouvelle politique économique qui demeure, pour l’instant, peu convaincante.

M.T.
Les mesures économiques protectionnistes et dirigistes prises mardi soir par le gouvernement ont eu l’effet d’un coup de massue au niveau de la population. Ce n’est que dans les prochains jours que l’on pourra évaluer réellement l’ampleur de l’onde de choc provoquée par l’augmentation substantielle des taxes sur les voitures touristiques et par la nouvelle politique...