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Actualités - REPORTAGE

Festival de Baalbeck May Arida : moments forts et souvenirs étoilés (photos)

Figure emblématique du Festival de Baalbeck, May Arida a connu les plus grands artistes du siècle. Membre du Comité du Festival depuis sa création en 1956 avant d’en devenir la présidente, elle s’est longtemps occupeé des contacts, de l’accueil et de la prise en charge des vedettes. Dans les coulisses de Baalbeck, elle a fait des rencontres inoubliables, vécu des moments forts d’émotion ou même d’angoisse et noué des amitiés. A un mois de la reprise du festival, après 22 ans d’arrêt, May Arida, de la poussière d’étoiles dans les yeux, se souvient…
Des souvenirs, la présidente du Festival en a une flopée. «Parler des moments forts du festival est très difficile». «Tous les concerts, les spectacles, les représentations étaient des moments fabuleux», dit-elle. Mais remontons quand même à la source, à l’origine de l’origine…
En 1955, Jean Marchat de la Comédie française joue «Polyeucte» de Corneille à Baalbeck, dans le temple de Bacchus. May Arida insiste pour que Zalfa Chamoun y assiste. Enthousiasmée par le spectacle dans ce site magnifique, Sitt Zalfa en parle à son mari. Camille Chamoun, qui était président de la République, décide alors d’y créer un festival artistique de niveau international. Pour le financer, il réunit 70 personnalités qu’il met à contribution et fonde un comité de 12 personnes (dont May Carlos Arida) à la tête duquel il nommera Aimée Kettaneh.
En 1956, le festival de Baalbeck prend son envol. Avec, notamment, Wilhem Kempff, «un des meilleurs interprètes du répertoire pianistique de Beethoven, rappelle May Arida. Qui raconte comment en plein récital de Kempff, dans le temple de Bacchus, on a brusquement entendu des ronflements. «L’auditoire était choqué. On essayait en vain de repérer l’indélicat. Ce n’est qu’au sortir du récital qu’on le découvre dans… un nid sous les voûtes: c’était une chouette!». Cette année-là, «La machine infernale» de Cocteau fut jouée à Baalbeck en présence de l’auteur qui était, comme on sait, une des figures «locomotives» les plus en vue de la jet-society internationale. A la fin de la représentation, le président Chamoun remit au poète français l’Ordre du Cèdre.
En 1957, passage de la Compagnie Renaud-Barrault. L’orchestre Santa Cecilia di Roma se produit sous la direction de Charles Münch «le plus grand chef d’orchestre de son temps. L’orchestre avait avec lui le célèbre pianiste Michelangeli Benedetti», raconte May Arida. «Le Dr. René Naccache et moi devions l’accueillir à l’aéroport. Quelle ne fut notre surprise en le voyant débarquer le main bandée. Il avait soi-disant un doigt cassé et ne voulait pas jouer. C’était la catastrophe! Nous avons tenté par tous les moyens de le faire revenir sur sa décision. Rien à faire. Heureusement, à la dernière minute, grâce à de la vodka et à un magnifique coucher de soleil sur la Békaa, enthousiasmé, il change d’avis. La magie du site avait, une fois de plus, opéré».
1961 fut marquée par l’opéra, avec la première mondiale du «Couronnement de Poppée» de Monteverdi, interprété par l’opéra de chambre de Milan. «Il était prévu initialement que Franco Zefirelli en réalisât la mise en scène. Par suite d’un contretemps, ce fut Sandro Ségui qui s’en chargea. L’ambiance fut électrique», se souvient Mme Arida. «Un des ténors, Romano Roma, n’acceptait de chanter qu’après avoir mangé une tranche de pastèque. Comme on n’arrivait pas à trouver ce fruit à Baalbeck, où tout était fermé ce jour-là, j’ai envoyé le chauffeur dans les villages voisins en lui demandant de revenir avec le coffre de la voiture entièrement rempli de pastèques. Ce fut ainsi qu’on résolut le problème».
En 1962, c’est au tour du grand flûtiste, Jean-Pierre Rampal (récemment venu à Beyrouth) de se produire à Baalbeck accompagné de l’Ensemble baroque. La troupe de la Comédie Française vint aussi y interpréter le «Cyrano de Bergerac» de Rostand avec Jean Piat dans le rôle titre

Caprices de stars

Autre prestation de prestige, en 1963, «Le Sacre du Printemps» dans la chorégraphie de Maurice Béjart, qui a reçu un accueil triomphal du public. «Au premier rang duquel se trouvaient leurs altesses royales, le prince Albert et la princesse Paola, aujourd’hui, roi et reine de Belgique».
Supporter les caprices des stars n’était pas toujours facile. Il fallait faire preuve d’ingéniosité, de calme, de diplomatie et garder toujours à portée de main… une bouteille de vodka. En 1964, Margot Fonteyn et Rudolph Noureev, couple phare du «Royal Ballet» ont dansé «Raymonda», «Hamlet» et «Sleeping Beauty». «Durant les spectacles», raconte la présidente, «Dame Margot Fonteyn me demandait de rester en coulisse pour partager la bouteille de vodka que Noureev autrement sifflait tout seul, entre deux apparitions sur scène».
La même année, le célèbre pianiste Byron Janice joue avec le Pittsburgh Symphonic Orchestra dirigé par Steinberg. «Durant la journée, on l’emmène faire un tour en voilier. Il s’enduit de crème protectrice, met un chapeau et se réfugie sous un parasol. Et, malgré toutes ces précautions, il attrape une insolation du tonnerre. Il n’en a joué qu’avec plus de fièvre, et il a été très applaudi!».
En 1966, Maurice Béjart revient.
En 1968, c’est le Berliner dirigé par le grand Von Karajan, «qui a démenti lors de son passage au Liban, sa réputation d’homme ombrageux».
En 1969, Rostropovitch et Richter se sont retrouvés à Baalbeck. «La télévision française qui était là comme chaque année a pu les filmer jouant ensemble lors d’une répétition, alors que chacun d’eux donnait un concert à part… Sviatoslav Richter ne prenait jamais l’avion. Il venait donc en bateau et avait exigé un piano à queue dans sa suite. Pour différentes raisons on avait installé le piano dans la salle à manger du navire, ce qui avait mis le pianiste de mauvaise humeur. Il arrive donc courroucé. Pour le calmer, nous nous sommes empressés de demander à l’hôtel où il devait séjourner, de lui installer un piano dans sa suite avec une bouteille de champagne dans un décor aux chandelles. Il était charmé, époustouflé même. Plus tard, lors du concert, pour que les vrombissements des moteurs et le bruit des klaxons ne perturbent pas son jeu, nous avons demandé aux FSI de détourner le trafic», ajoute Mme Arida. «Nous faisions tout notre possible pour satisfaire les artistes et leur donner les moyens de réaliser leurs meilleures performances».

Minutes historiques

Toujours en 1969, à 20h25, juste avant le début du spectacle du «Dance Theater or Alvin Nikolais» l’ambassadeur américain monte sur scène pour annoncer au public que dans cinq minutes les astronautes U.S. atterriront sur la lune. «Les 2.500 spectateurs alors présents ont tous levé les yeux vers le ciel. Ils ont compté jusqu’à cinq et ont applaudi à tout rompre». Dans ces vestiges d’un passé grandiose, le futur faisait encore plus fort battre les cœurs…
Il y eut aussi de très grands moments d’émotion lors des passages de la plus grande star du monde arabe: Oum Kalsoum. «L’attrait qu’elle exerçait sur les foules était peu commun. Elle a chanté à Baalbeck en 1966, 68, et 70. La télévision française, toujours présente, ne s’est pas contentée de quelques «shots» d’elle sur scène, et a tenu à filmer le public en délire, les gens qui hurlaient, ceux qui semblaient complètement envoûtés.. Même phénomène à peu près avec Ella Fitzgerald en 1971 et 1972. Sur les marches du temple de Jupiter, quelque 4.000 jeunes se sont levés enthousiasmés dès ses premières notes».
«Il ne faut pas oublier non plus les passages de Miles Davis et derechef de Jean-Pierre Rampal en 1973, de Joan Baez en 1974, d’Aragon également, «le fou d’Elsa» en personne, «que je restais des nuits entières à écouter déclamer», se souvient May Arida. Baalbeck a vu également s’épanouir, dans les années soixante, les talents de nos stars locales: Sabah, Philémon Wehbé, Feyrouz et les frères Rahbani, Antoine Kerbage, le metteur en scène Mounir Abou Debs…

Renaissance

Les 24, 25, 26 et 30 juillet les colonnes de Baalbeck revivront les fastes des nuits étoilées du festival. «Certes, c’est un redémarrage en douceur puisque, faute de temps pour la préparation, il n’y aura, cette année, que deux spectacles. Mais, faire renaître une manifestation artistique d’une telle envergure après 22 ans d’arrêt cela reste une tâche énorme», souligne-t-on au bureau du Festival à Beyrouth, où règne une agitation fébrile. Au programme de cet été à Baalbeck, la troupe Caracalla et Mstislav Rostropovitch. Qui sera accompagné de l’orchestre philharmonique de Radio-France. «Il ne se produira qu’un seul soir», indique Mme Arida. Qui signale par ailleurs que «c’est par amitié et parce qu’il a gardé de très bons souvenirs de Baalbeck qu’il a accepté de bousculer son emploi du temps, déjà fixé jusqu’à l’an 2000. Rostropovitch est un être exceptionnel, qui a des qualités humaines rares», ajoute-t-elle. Elle se souvient d’un tour d’hélicoptère peu banal en compagnie du maître. «C’était en 1969, nous l’avions accueilli à l’aéroport, Salwa Saïd et moi. Arrivé d’Athènes à 16h30, il devait être à Baalbeck à 17h30 pour les répétitions! Pour ne pas être en retard, nous avons pris un hélicoptère! Nous avons survolé Aley et la vallée de la Békaa et, pour lui montrer du paysage, nous avons effectué un détour au-dessus des cèdres. Slava (Mstislav) était ravi. A tel point que sur le chemin du retour, il me prend la main et me dit: s’il vous plaît, emmenez-moi encore là-haut!»…
Le grand Rostropovitch pour le festival de Baalbeck: une reprise de… première.

Zéna ZALZAL
Figure emblématique du Festival de Baalbeck, May Arida a connu les plus grands artistes du siècle. Membre du Comité du Festival depuis sa création en 1956 avant d’en devenir la présidente, elle s’est longtemps occupeé des contacts, de l’accueil et de la prise en charge des vedettes. Dans les coulisses de Baalbeck, elle a fait des rencontres inoubliables, vécu des moments forts...