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Actualités - CHRONOLOGIE

Accusé d'usurpation de titre et de pouvoir Abou Rizk a passé sa première nuit en prison Il sera interrogé ce matin par le juge Mirza (photo)

«Eh oui, Elias Abou Rizk a volé le trésor de l’Etat, c’est pour cela qu’il est maintenu aux arrêts». La nouvelle est si ahurissante que les nombreux partisans du chef de la centrale syndicale non reconnue par l’Etat présents au Palais de justice, se réfugient dans l’ironie pour l’annoncer à leurs camarades. Une ironie amère, qui cache mal un profond sentiment d’injustice.
Après quatre heures d’interrogatoire mené par le procureur de Beyrouth. Abdallah Bitar, aidé de trois avocats généraux: Jamal Hélou, Ghassan Fawaz et Samir Hammoud, la décision est tombée comme un couperet. Le responsable de la prison du Palais de justice est convoqué d’urgence au bureau de M. Bitar il en ressort rapidement... agrippé à Elias Abou Rizk. L’aspirant des FSI ne passe pas les menottes à ce dernier, mais il le tient fermement, l’empêchant de communiquer avec ses partisans ou même avec son avocat, Me Naji Boustany. M. Abou Rizk sort donc la tête haute, un vague sourire aux lèvres,comme pour bien montrer que si, aux yeux du parquet, il est désormais en état d’arrestation préventive, dans sa tête, il est encore un homme libre.
Accusé d’usurpation de titre, de fonction et de pouvoir, (sur base des articles 306 et 392 du code pénal et donc passible d’une peine d’au moins 7 ans de prison) Abou Rizk a donc passé la nuit à la prison du Palais de justice, avec 5 autres personnes maintenues en garde à vue pour diverses raisons. Il sera entendu ce matin par le premier juge d’instruction de Beyrouth, M. Saïd Mirza, en présence de son avocat. et, à l’issue de cet interrogatoire, le juge émettra un mandat d’arrêt à son encontre ou le libérera sous caution, ou encore ne retiendra pas les accusations du parquet. Auquel cas, ce dernier se verra dans l’obligation d’interjeter la décision du juge...
En tout cas, la décision de M. Bitar n’a pas seulement surpris les partisans de M. Abou Rizk, même les milieux judiciaires l’ont jugée excessive, estimant que le procureur aurait pu engager des poursuites contre le chef de la centrale syndicale non reconnue par l’Etat, sans pour autant aller jusqu’à l’arrêter. A moins que l’enjeu véritable ne soit d’empêcher M. Abou Rizk de se rendre à Copenhague puis à Genève pour participer, en tant que chef de la centrale syndicale libanaise, à deux congrès internationaux sur le travail et l’action syndicale. Résultat, Abou Rizk est certes en prison et son rival reconnu par l’Etat pourra se rendre en Europe, mais les organisations internationales déjà alertées dénonceront violemment les atteintes à la liberté syndicale au Liban. Pour qui veut laver son linge sale en famille, on peut trouver mieux...
A 9 heures précises, Elias Abou Rizk, entouré de plusieurs responsables de la centrale qu’il préside, notamment MM. Yasser Nehmé et Abdel Amir Najdé, ainsi que de nombreux partisans et de son avocat, Me Naji Boustany, arrive au palais de Justice. Il est aussitôt introduit dans l’antichambre du procureur de Beyrouth, M. Abdallah Bitar. L’avocat de la partie adverse, Me Camille Fenianos est déjà là. Etant un camarade de promotion de Me Boustany, il engage aussitôt avec lui un débat légal. L’ambiance est encore à la bonne humeur, même si Abou Rizk ignore avec beaucoup de superbe les avocats de la partie adverse.

Interrogatoire animé

A 9h40, M. Bitar convoque M. Abou Rizk et insiste pour qu’il entre seul dans son bureau. Le long interrogatoire commence interrompu par quelques allées et venues des avocats généraux qui viennent y participer et par le greffier, Abdel Hafiz Itani, dont le bic est tombé en panne et qui en demande un autre d’urgence. Pendant qu’il en cherche un nouveau, le ton monte dans le bureau du procureur. Visiblement peu intimidé par la présence de quatre membres du parquet en train de l’interroger, M. Abou Rizk crie: «je suis le président de la centrale syndicale, le seul légal». Des sources judiciaires préciseront plus tard qu’il a répété cette phrase à plusieurs reprises pendant le long dialogue de sourds qui a eu lieu entre lui et le procureur de Beyrouth. Les mêmes sources ajouteront que M. Bitar lui demandera plusieurs fois de renoncer à ce titre et en contrepartie, il le laissera en liberté, mais apparemment, Abou Rizk n’a rien voulu entendre, affirmant être le seul chef de la centrale syndicale, jusqu’au verdict — dans trois mois — du tribunal (civil) de première instance au sujet de la plainte pour annulation des élections de son rival qu’il a présentée avec ses alliés.
Selon les mêmes sources, le procureur lui aurait alors rappelé que le tribunal précité (présidé par le juge Nehmé Lahoud) a déjà rejeté sa plainte, tout en se donnant trois mois pour prononcer son verdict sur le fond. Par conséquent, il ne serait plus le chef de la centrale syndicale et il ne peut s’adresser aux instances internationales en tant que tel.
A ce stade-là de l’interrogatoire, M. Bitar aurait montré à Abou Rizk des copies des «fax» qu’il aurait envoyés aux instances internationales, dans lesquels il expose les pressions officielles exercées contre lui, allant même jusqu’à accuser l’Etat de vouloir attenter à ses jours. M. Abou Rizk aurait reconnu les papiers qu’on lui a montrés, confirmant les informations qui y figurent, mais le procureur n’aurait pas jugé bon de l’interroger sur les faits en eux-mêmes, se contentant de l’accuser de vouloir ternir l’image du Liban à l’étranger...
Au cours de l’interrogatoire, Abou Rizk aurait demandé l’autorisation de téléphoner pour annuler le voyage qu’il devait effectuer le jour-même et, ironie du sort, c’est grâce au portable de Me Fenianos que la communication sera établie.
Devant le procureur, M. Abou Rizk aurait maintenu son refus d’accepter les 5 fédérations syndicales autorisées peu avant les élections par le ministère du Travail afin d’assurer l’élection du candidat Zoghbi et il aurait aussi soulevé une question préjudicielle, réclamant le report de la plainte présentée contre lui par Zoghbi en attendant le verdict du tribunal de première instance.

Conversation légale

Pendant ce temps, dans la salle d’attente, la conversation légale entre les deux hommes de loi se poursuit, sans animosité, mais aussi sans complaisance. Pour Me Boustany, la CGTL n’est ni un pouvoir ni un établissement public — tous deux strictement définis par la loi — pour que M. Abou Rizk soit accusé de les avoir usurpés conformément aux dispositions des articles 306 et 392 du code pénal.
Me Boustany ajoute aussi que le règlement interne de la CGTL dûment approuvé par le ministère du Travail est très clair: Il n’y est nulle part dit qu’un représentant du ministère doit assister aux élections du bureau exécutif et c’est ce même bureau qui établit les listes électorales. Bref, il estime que le dossier présenté par son client est assez solide. Sans compter le fait que le procès-verbal des élections de M. Zoghbi comporte plusieurs lacunes (le nom du doyen d’âge ainsi que sa signature n’y figurent pas et il y est dit que le représentant du ministère du Travail, M. Kalakech a présidé la séance, ce qui serait illégal..) qui justifieraient à elles seules leur annulation.
Me Fenianos n’est visiblement pas de cet avis. Selon lui, même si le ministère du Travail a approuvé le règlement interne de la CGTL, en matière d’élection, c’est la loi qui s’applique car elle prévaut sur les règlements internes et même sur les arrêts ministériels... Le débat aurait pu rester dans le cadre purement légal, mais, selon les proches de M. Abou Rizk, la centrale de M. Zoghbi a préféré intenter un procès pénal à M. Abou Rizk pour d’une part le neutraliser afin de pouvoir préparer les prochaines élections de la centrale syndicale et d’autre part court-circuiter sa campagne auprès des instances internationales. Il est plus de 13 heures et la conversations s’essoufle. L’avocat de M. Abou Rizk continue d’afficher un sourire serein, mais la tension commence à monter. Le téléphone ne cesse de sonner chez M. Najdé, les partisans de M. Abou Rizk voulant connaître les derniers développements. soudain, la porte s’entrouvre et quelques présents aperçoivent M. Abou Rizk s’apprêtent à lui réserver un accueil triomphal, mais qu’elle n’est leur surprise lorsqu’ils se voient écartés par le responsable de la prison du palais de justice, convoqué d’urgence. Deux minutes plus tard, l’aspirant ressort tenant fermement M. Abou Rizk par le bras. Celui-ci est désormais en état d’arrestation préventive. si les autorités lui font grâce des menottes, elles l’empêchent quand même de communiquer avec ses partisans et son avocat.

Expectative

La tête haute, Abou Rizk est happé par l’ascenseur qui le mène au sous-sol du palais et on ne lui laisse pas le temps de prévenir les siens ou d’amener quelques affaires personnelles. Officiellement, il n’a pas le droit de rencontrer qui que ce soit, mais dans un signe de bonne volonté, le procureur général de la cour de Cassation, M. Adnane Addoum autorise Me Naji Boustany à s’entretenir avec lui une dizaine de minutes au parloir des arrêts. Mais il précise qu’il ne doit pas être question de la procédure judiciaire en cours. Une heure plus tard, le brigadier Michel Abou Rizk arrive au palais de justice et souhaite rencontrer son frère, le célèbre interpellé. Il essaie toutefois de le faire discrètement pour ne pas provoquer des interprétations fantaisistes.
Chez les partisans du chef de la centrale syndicale arrêté, on essaie de surmonter le choc. Bill Jordan de l’Organisation Internationale du Travail et Michael Hansen de la Confédération Internationale des Syndicats Libres, ainsi que le secrétaire général de la Fédération internationale des travailleurs arabes, M. Jammam et d’autres organisations syndicales arabes ont été alertés. Mais les responsables de cette centrale combattue par le pouvoir préfèrent attendre la décision du juge d’instruction aujourd’hui avant de définir un plan d’action, qui, selon M. Yasser Nehmé restera dans le cadre de ce qui est autorisé par la loi.
Que peuvent encore faire les partisans de Abou Rizk? Apparemment beaucoup puisque toute l’opinion publique semble choquée par l’arrestation du syndicaliste. Jamais, même à ses plus fidèles défenseurs, l’Etat n’a paru aussi faible, contraint d’incarcérer un homme qui n’a ni milice, ni armes, ni projet de renversement du pouvoir, ni tendance à susciter des dissensions confessionnelles.
Le dernier acte du feuilleton commencé le 13 avril dernier avec les élections syndicales faussées de Saïda et qui s’est poursuivi le 24 avril avec la mascarade électorale au sein de la centrale syndicale et l’invasion des locaux par les agents des FSI recherchant le procès — verbal de l’élection de M. Abou Rizk — que celui-ci avait réussi à mettre en lieu sûr grâce à la coopération de certaines personnes — s’est donc joué hier. Mais l’affaire est loin d’être close et dans l’histoire de l’action syndicale, mettre un homme en prison est le meilleur service qu’on puisse lui rendre. Surtout dans un pays, comme le Liban, en quête d’un peu d’héroïsme et de beaux principes...

Scarlett HADDAD
«Eh oui, Elias Abou Rizk a volé le trésor de l’Etat, c’est pour cela qu’il est maintenu aux arrêts». La nouvelle est si ahurissante que les nombreux partisans du chef de la centrale syndicale non reconnue par l’Etat présents au Palais de justice, se réfugient dans l’ironie pour l’annoncer à leurs camarades. Une ironie amère, qui cache mal un profond sentiment...