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Actualités - ANALYSE

Intérioriser les orientations du synode

Pour qu’un événement cesse de nous être extérieur, pour qu’il fasse intimement partie de notre manière d’être, de sentir et d’agir, il faut qu’il soit médité et intériorisé. Le fait-on pour l’Exhortation apostolique, ce fruit mûri du synode? C’est en répondant à cette question que l’on pourra mesurer l’impact de cet événement sur la vie de l’Eglise au Liban, et juger s’il va porter ses fruits.
Et d’abord, qu’est-ce que le synode? Répondre à cette question est en soi une façon de se situer par rapport au synode.
Pour nous, le synode, c’est avant tout un moment de la «nouvelle évangélisation», c’est la conversion au Christ, c’est le renouveau des vœux du baptême, de cet engagement primordial par lequel on décide de laisser les commandements gouverner nos actes.
Toute autre définition du synode, aussi pertinente qu’elle soit, et il en existe, est périphérique par rapport à cette vérité centrale.
Que le synode soit une façon de réorienter les chrétiens vers leur milieu humain et culturel arabo-islamique, en leur demandant de réussir à édifier un «modèle» de convivialité, c’est vrai. Mais ce sera toujours secondaire par rapport à l’appel à la conversion.
Qu’a-t-on intériorisé du synode jusqu’à présent? Peu. Très peu. Du synode, la majorité des chrétiens du Liban, et malheureusement de la caste politique chrétienne, n’a retenu rien d’autre que ce qui met en rage leurs compatriotes musulmans: le pluralisme culturel, la démocratie consensuelle, le départ des troupes étrangères. Brandis comme des armes, ces termes leur servent de points de repère pour exorciser leurs peurs, et avancer à tâtons dans la jungle politique.
Or la redécouverte de l’identité chrétienne passe aussi par un profond examen de conscience. Beaucoup de chrétiens ont cédé à la tentation de la violence et doivent aujourd’hui «s’interroger sur les responsabilités qu’ils ont, eux aussi, dans les maux» qui se sont abattus sur le Liban.
Dans une intervention pleine de compassion et de clairvoyance, le cardinal Lustiger a mis en garde à l’avance les chrétiens du Liban contre la tentation de se laisser submerger par le politique. Citons-le: «En 1942, nous pensions que la libération politique, l’effacement de notre défaite militaire, était la condition nécessaire et suffisante pour que nous retrouvions notre identité et notre bonheur. L’expérience nous a montré qu’il n’en était rien».
Cette «erreur historique» a de bonnes chances de se répéter. En accordant à la politique la première place, en se laissant «submerger», les chrétiens du Liban risquent de «perdre leur âme», c’est-à-dire tout simplement d’oublier l’essentiel. Et quel essentiel!
Or, le contexte historique et politique où se trouve en ce moment le Liban se prête à cela. Il est tel que l’identité spirituelle ne parvient à s’affirmer qu’en s’opposant à une réalité sociale, culturelle et politique. Il s’agit d’un grand défi lancé au synode et, d’une certaine façon, la réception de l’Exhortation apostolique passe par une victoire des chrétiens du Liban sur leurs propres peurs, sur des appréhensions profondément enracinées dans leur mémoire, leur passé immédiat et leur présent.

Préserver le
modèle libanais

En outre, si les chrétiens du Liban assument une responsabilité historique, à l’égard de ce modèle, ils ne le font pas exclusivement. Les musulmans du Liban sont placés devant la même responsabilité, et cela, ils doivent le comprendre et le montrer.
Où en est le synode? Là où est le pays! Pour le pape, et comme l’affirme l’archevêque de Paris, le Liban a ceci d’unique que chrétiens et musulmans y vivent dans une situation d’égalité civique et de communauté culturelle. C’est ce modèle qu’il faut non seulement préserver, mais développer, épanouir.
Or ce modèle est en ce moment sérieusement menacé. L’égalité civique est battue en brèche de diverses façons, aussi bien au sein de l’administration qu’au niveau des institutions. C’est notamment le cas avec la loi électorale, qui fausse la représentativité populaire des députés, de sorte que seule une partie de députés chrétiens est réellement représentative de l’électorat.
Par ailleurs, les institutions juridiques garantes de cette égalité sont affaiblies par toutes sortes d’ingérences, le Liban étant devenu aujourd’hui la patrie du clientélisme politique triomphant, un clientélisme qui épouse souvent les contours de la confession religieuse.
Même la communauté culturelle est menacée. Et d’abord, à un certain niveau, elle est stérilisée par le discours idéologique de la caste politique. Elle est également privée de certains de ses espaces fondamentaux. Le centre de Beyrouth et la place des Martyrs, qui ont été durant des décennies un véritable métier à tisser les Libanais entre eux, ont été rasés, sans être remplacés. Certes d’autres espaces existent, comme les écoles, les lieux de travail, mais ils sont avant tout fonctionnels et sont souvent en rupture avec le milieu familial, dont la fonction est parfois inverse.
Se retrouve-t-on pour les loisirs? Une urbanisation sauvage et une utilisation de l’espace où le seul critère retenu est celui du profit cloisonnent les Libanais et les séparent les uns des autres. Pas un jardin public digne de ce nom, pas un lieu de loisir gratuit aménagé, pas un espace intermédiaire entre la famille et la fonction, même les matchs sportifs dégénèrent en rivalité religieuse. Les deux sociétés se côtoient sans interagir.
Amnistie, oui, amnésie, non. Pour tirer les leçons de la guerre, il faut nécessairement écrire l’histoire de la guerre. Or, même sur le terrain de la connaissance, la rencontre entre les Libanais se heurte à des interdits. Et ce n’est que timidement, et sur un terrain miné par les préjugés idéologiques, que l’historien s’avance. Pourtant, cet effort est indispensable si nous ne voulons pas reproduire nos erreurs. Et ce risque existe.

Réveil religieux

Dans cette nuit, pourtant, une lumière luit. Celle du Seigneur. Un véritable «réveil» religieux est en cours, une nouvelle Pentecôte souffle sur les laïcs, dans les séminaires, surtout parmi les jeunes. On assiste à une éclosion de mouvements de prière, d’inégale profondeur, mais reflétant tous l’omniprésence d’une action de l’Esprit Saint en train de réévangéliser les chrétiens. C’est certainement le plus grand signe d’espoir que l’on puisse voir en ce moment au Liban. Après avoir épuisé toutes les armes terrestres, les Libanais découvrent qu’il en est une, mésestimée, qu’ils n’ont pas essayée à plein: l’arme surnaturelle de la prière.
Au niveau des communautés chrétiennes, aussi, les signes d’espoir existent. Les synodes sont en marche, exactement comme l’a souhaité Jean-Paul II, qui a voulu lancer ce mouvement à partir du Liban. C’est ainsi que le synode de l’Eglise chaldéenne de Bagdad vient de se tenir et que le synode des Eglises catholiques de Terre Sainte est entamé. La tenue d’un concile maronite, qui était en préparation au 1991, ajourné en raison du synode, est de nouveau à l’ordre du jour.
Certes, les atouts du Liban demeurent. Le Liban reste le seul pays du Moyen-Orient à posséder une Constitution non religieuse et un régime démocratique. Mais le jeu des institutions est progressivement neutralisé, au profit des personnes, et le pays est privé d’une partie de sa souveraineté politique.
«Modèle de convivialité», «Vocation historique du Liban», tout cela n’a de sens que si cette vocation est librement acceptée, que si la liberté de choix existe. Autrement, il s’agirait d’une situation forcée. C’est pourquoi, parallèlement aux efforts de l’Eglise pour se renouveler, et à une action de rapprochement nationale entre les communautés, le succès du synode semble devoir passer par une initiative internationale énergique destinée à libérer le Liban des résidus de la guerre.

Fady NOUN
Pour qu’un événement cesse de nous être extérieur, pour qu’il fasse intimement partie de notre manière d’être, de sentir et d’agir, il faut qu’il soit médité et intériorisé. Le fait-on pour l’Exhortation apostolique, ce fruit mûri du synode? C’est en répondant à cette question que l’on pourra mesurer l’impact de cet événement sur la vie de l’Eglise au...