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Actualités - ANALYSE

La graine de l'espoir

Le Liban demeurera toujours le pays des paradoxes. La visite historique que le pape Jean-Paul II effectuera à Beyrouth les 10 et 11 mai aurait dû, dès le départ, susciter l’enthousiasme de la collectivité chrétienne dans le pays. Elle fut accueillie, pourtant, avec une certaine réserve. Elle risquait, en effet, aux yeux des détracteurs, d’être récupérée par le pouvoir en place, de servir de caution morale à ce dernier (ainsi qu’à son parrain syrien), d’être interprétée comme une reconnaissance de facto de la tutelle imposée au Liban.
Certains indices particulièrement significatifs sont venus mettre en évidence, dans cet ordre d’idées, les limites que le contexte présent dicte, effectivement, à la visite du Saint-Père. Celle-ci a ainsi été précédée des traditionnelles concertations avec Damas, où Mgr Jean-Louis Tauran s’est rendu en avril dernier. Il serait, en outre, question d’arrondir les angles en occultant certains points sensibles soulevés en décembre 1995 par l’Appel final du Synode. Une entrevue avec l’opposition chrétienne a été, d’autre part, exclue d’office. Elle aurait pourtant servi de contrepoids aux entretiens officiels avec le camp pro-syrien.
Plus symboliques — mais non moins déplorables — sont les contraintes imposées au niveau du contact avec la masse. Aucun échange direct n’a été prévu (par le programme officiel) lors de la rencontre avec les jeunes à la Basilique de Harissa (l’un des temps forts de la visite). Pis encore, la teneur des calicots et des banderoles que le souverain pontife pourra lire lors de ses déplacements est soumise par les autorités locales à une véritable censure. L’un des hauts responsables de la présidence de la République a souligné sans détours, lors d’une intervention télévisée, que la population doit soumettre les calicots et les banderoles au mohafez concerné «qui saura juger si les slogans envisagés sont opportuns!»
Mais il ne s’agit là que d’aspects négatifs somme toute ponctuels et conjoncturels. Ils sont sans commune mesure avec la véritable portée et l’impact que la visite du Saint-Père pourrait — et devrait — avoir à moyen ou à long terme sur la situation et la présence des chrétiens dans le pays. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le pape Jean-Paul II accepte lucidement de dépasser les contraintes du moment pour miser sur le long terme. L’exemple de la Pologne est sur ce plan assez révélateur.
En décembre 1981, le régime communiste pro-soviétique au pouvoir à Varsovie réagissait à la montée fulgurante de «Solidarnosc» en menant un coup de force commandité, à l’évidence, par Moscou. Le pape Jean-Paul II prêche alors la modération et s’emploie à user de son influence auprès de ses concitoyens catholiques pour calmer le jeu. En 1983, lorsqu’il se rend pour la deuxième fois en Pologne, il rencontre officiellement le général Jaruzelski et se contente d’un entretien très discret avec Lech Walesa.
Cette attitude prudente avait alors été interprétée par certains comme un désaveu du mouvement «Solidarnosc». Or, nul ne saurait mettre en doute l’engagement de Jean-Paul II aux côtés de la contestation catholique contre le régime communiste pro-soviétique qui était en place dans son pays natal. Ce n’est qu’après l’arrivée de Mikhail Gorbatchev au pouvoir à Moscou, en 1985, que le souverain pontife estimera que le moment est venu de porter le coup de grâce à l’establishment polonais inféodé à l’URSS.
A l’instar de la Pologne, la position affichée publiquement par le Saint-Siège ces dernières années dans certains pays d’Amérique latine et même d’Afrique montre clairement que l’Eglise n’agit de tout son poids pour provoquer un bouleversement ou des changements profonds que lorsqu’elle juge que le terrain est prêt.
Certes, le cas particulier du Liban n’est nullement comparable à celui de la Pologne ou d’autres pays d’Amérique latine du fait de l’extrême complexité et de l’enchevêtrement de la conjoncture présente au Proche-Orient. C’est précisément en raison d’une telle conjoncture qu’il ne faudrait pas s’attendre à ce que la visite du pape débouche sur un «miracle» au niveau de la situation actuelle dans le pays, comme le souligne le leader du PNL, M. Dory Chamoun.
Ce n’est donc pas sous l’angle des effets immédiats qu’il faudrait concevoir la venue du Saint-Père au Liban. L’importance de cette visite réside plutôt dans ses retombées lointaines et profondes. C’est dans une perspective à long terme qu’il est nécessaire de percevoir l’initiative du souverain pontife en faveur du Liban. La visite du pape constituera, en effet, sans nul doute, un catalyseur, un stimulus, au renouveau religieux qui se manifeste de plus en plus dans les milieux chrétiens, notamment parmi les jeunes. La bouffée d’oxygène salutaire qui sera donnée ainsi à ce renouveau religieux constituera à elle seule, et indépendamment de toute autre considération, un acquis de premier plan. N’est-ce pas, en définitive, la présence et la liberté des chrétiens, en tant que communautés, qui sont en jeu dans cette partie du monde?
Mais comme le rappelle l’ancien ministre Fouad Boutros, pour que les chrétiens puissent faire en sorte que leur présence en Orient, et notamment au Liban, soit un véritable témoignage, il faudrait que leur rôle et que leurs droits politiques soient préservés et définitivement reconnus. Il reste que la résurrection politique des chrétiens du Liban est à l’évidence tributaire d’un contexte régional plus aléatoire que jamais.
Le renouveau religieux pourrait constituer dans ce cadre la trame de fond, la force motrice de cette résurrection politique. Il représenterait, en quelque sorte, une condition nécessaire mais nullement suffisante. Car après le départ du souverain pontife, il reviendra aux Libanais — et plus particulièrement aux chrétiens — de savoir comment agir afin de faire fructifier réellement l’impact de la visite du pape. Ils devront, surtout, se préparer afin d’être en mesure de se soustraire à toute tutelle lorsque le «Jour J» sera venu.

Michel TOUMA
Le Liban demeurera toujours le pays des paradoxes. La visite historique que le pape Jean-Paul II effectuera à Beyrouth les 10 et 11 mai aurait dû, dès le départ, susciter l’enthousiasme de la collectivité chrétienne dans le pays. Elle fut accueillie, pourtant, avec une certaine réserve. Elle risquait, en effet, aux yeux des détracteurs, d’être récupérée par le pouvoir...