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Actualités - INTERVIEWS

Directeur de la Stampa, Carlo Rossella se souvient (photo)

Directeur du grand quotidien de Turin «La Stampa», Carlo Rossella est de passage à Beyrouth. Ce journaliste italien a vécu et «couvert» la guerre du Liban, de 1973 à 1983. Il découvre aujourd’hui, dit-il, un pays différent, très changé.

Décontracté, l’allure sportive mais élégante dans une saharienne havane, cheveux sel et poivre, Carlo Rossella parle avec enthousiasme — gestes à l’appui — du Liban d’il y a 20 ans. «Je me trouvais dans ce même hôtel de Beyrouth, lors de l’invasion israélienne», indique-t-il. «Je travaillais alors pour «Panorama» qui est le plus important hebdomadaire politique italien. J’étais envoyé spécial et correspondant diplomatique pour le Moyen-Orient. Je l’ai d’ailleurs été pendant 20 ans puis je suis devenu co-rédacteur-en-chef. Le siège de Tall Zaatar, le massacre de Sabra Chatila, les bombardements aveugles. J’ai vécu tous ces événements. J’ai quitté Beyrouth le 20 septembre 1983, et n’y suis plus revenu. J’ai couvert la guerre d’Irak, la chute de l’Union soviétique, et d’autres événements en Europe, mais je rêvais de pouvoir revenir au Liban. Cependant, j’étais terrorisé à l’idée d’être enlevé, ce qui pour moi est pire que la mort. Aujourd’hui», dit-il, «je suis là pour revoir ce pays que j’ai aimé, les places, les endroits où j’ai passé une partie de ma vie. Je suis aussi là pour réfléchir. Je pense en effet que Beyrouth est un bon endroit pour réfléchir à ce qui s’est passé dans le monde durant ces derniers 20 ans».
De son ancien séjour au pays des Cèdres, interrompu par de nombreux voyages, Carlo Rossella retient surtout «la rencontre avec de grands journalistes comme Edouard Saab, le rédacteur en chef de L’Orient-Le Jour tué en mai 1976... Les moments de solidarité humaine et d’échanges avec les Libanais, chrétiens et musulmans; les Palestiniens... La vie était différente. Il y avait à cette époque un grand nombre de politiciens et d’analystes. Les gens étaient passionnés, chacun défendait ses positions. Beyrouth était divisé en deux parties, la ligne de démarcation...». Une phrase lui revient à l’esprit: «la guerre finira lorsque les Suisses reviendront à Beyrouth», disait-on alors.
Pour lui, les trois thermomètres de la situation du pays sont «l’AIB, d’abord, qui accueille à nouveau de nombreux avions; les taxis ensuite, dont le tarif a été fixé (chose qui l’a étonné, les prix variant autrefois à la tête du client) et enfin, les balayeurs, que l’on trouve par centaines, nettoyant même des trottoirs sous une pluie de poussière de sable...».

Préserver l’âme de
Beyrouth

«Aujourd’hui, les hôtels ne sont plus bondés de journalistes, ce qui est rassurant, car cela veut dire que la situation est calme», poursuit-il. «Cependant, je pense que les journaux, les agences de presse étrangères devraient rouvrir leurs bureaux à Beyrouth. Je pense que Beyrouth redeviendra un point d’observation du Moyen-Orient, qu’il peut redevenir le centre d’analyse politique de la région. Il faudrait qu’on crée une communauté internationale de la presse à Beyrouth. Bien sûr, il faut du temps, et cela dépend aussi du pays, de la reconstruction, de la situation politique».
Est-il déçu par le Beyrouth qu’il découvre? «Un peu», avoue-t-il, «mais c’est normal, c’est toujours comme cela. Comme lorsqu’on revoit une femme vingt ans plus tard. D’ailleurs peut-être que ce que je cherche ici c’est ma jeunesse». Ce que Carlo Rossella regrette surtout est «l’âme de Beyrouth, l’esprit typique de la ville cosmopolite méditerranéenne. Aujourd’hui», à son avis, «la ville s’est refermée sur elle-même. On reconstruit, et cela va vite, côté architecture. Cependant, il faudra beaucoup plus de temps pour la reconstruction culturelle, sociale, et pour celle de l’âme internationale du pays».
A propos de la reconstruction, le journaliste italien se montre inquiet. «Je pense qu’il faut à tout prix préserver l’ancienne architecture beyrouthine, encourager la restauration des vieux bâtiments, sauver ce qui peut l’être. Il ne faut pas que la capitale devienne un Abou-Dhabi, que le moderne remplace l’ancien. La ville perdrait alors son âme». Et de citer Naples et Palerme qui «à cause de l’architecture d’après-guerre sont devenues très laides».
«J’ai vraiment été dégoûté par la «cimentisation» de la montagne et de la côte», ajoute Rossella. «Quant à la mer, il est révolu le temps où nous nous baignions à Ras Beyrouth, près de la Grotte aux pigeons. Aujourd’hui, l’eau est polluée. Cela est peut-être une conséquence de la guerre. Cependant, je pense que c’est un problème majeur dont il faut tenir compte. La reconstruction de la pierre ne suffit pas, il faut sauver le patrimoine naturel et historique».
Passant à un tout autre chapitre, Rossella souligne que «pour nous, Italiens, la visite du pape Jean-Paul II à Beyrouth est un véritable événement, et nous en somme très curieux. Personnellement, dit-il, j’enverrai deux reporters de «La Stampa», et je pense, conclut-il dans un grand sourire, que les hôtels de Beyrouth seront à nouveau pleins».

propos recueillis par
Natacha SIKIAS
Directeur du grand quotidien de Turin «La Stampa», Carlo Rossella est de passage à Beyrouth. Ce journaliste italien a vécu et «couvert» la guerre du Liban, de 1973 à 1983. Il découvre aujourd’hui, dit-il, un pays différent, très changé.Décontracté, l’allure sportive mais élégante dans une saharienne havane, cheveux sel et poivre, Carlo Rossella parle avec...