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Actualités - INTERVIEWS

Mgr Cyrille Bustros : les chrétiens sont responsables , au moins en partie, du désenchantement "L'annulation de la visite du pape ne résoudrait pas, en tout cas, notre problème", souligne l'évêque grec-catholique de Baalbeck (photo)

Q: La visite du pape au Liban est au cœur d’une polémique. Pensez-vous que les critiques émises à ce sujet sont justifiées?
R: Il faut préciser d’abord que la visite du pape a un caractère apostolique et elle a pour but de proclamer l’exhortation apostolique, qui est le document final du synode pour le Liban. Il est normal, qu’à la fin d’un synode, le Saint-père se rende sur place pour proclamer ses résultats. Une telle démarche est indispensable et nous ne pouvons pas attendre l’aboutissement du processus de paix au Moyen-Orient pour demander au pape de venir au Liban et proclamer les résultats du synode.
Quant à ceux qui pensent que le Saint-père devrait reporter sa visite, ils souhaitent surtout faire parvenir un message au Liban et à la communauté internationale sur la situation du pays qui n’a pas encore recouvré toute son indépendance et son intégrité territoriale. Ce message, nous le partageons tous. Mais alors que certains l’expriment en s’opposant à la visite du pape, nous pensons que l’on peut inverser la situation et dire que le Saint-père peut justement venir demander au pays qui occupe le Liban de libérer les lieux.
Q: Croyez-vous réellement que cela soit possible?
R: Le pape veut se rendre dans un pays occupé pour l’aider à recouvrer son indépendance. Nous acceptons donc le message, mais nous ne sommes pas d’accord sur la façon dont il a été exprimé. Une fois que le Saint-père a décidé de venir au Liban, nous ne pouvons plus dire: il s’est trompé... Au contraire, il faut l’accueillir avec ferveur et écouter ce qu’il a à dire.
Q: En évoquant ces thèmes, n’êtes-vous pas en train de politiser cette visite en principe «à caractère pastoral»?
R: Que signifie politiser? Le synode pour le Liban est-il politique? Et si le Liban n’était pas passé par la guerre, le pape aurait-il décidé de lui consacrer un synode? Certainement pas. D’autant qu’en général un synode est organisé pour une région ou un continent. Si donc le Saint-père a organisé un synode pour le Liban, c’est parce que ce pays a subi une guerre destinée à l’éliminer et, cela, c’est un concept politique. De même, lorsque le pape lui consacre un synode destiné à le maintenir en vie, c’est aussi un concept politique. Il faut distinguer entre la politique au sens large qui touche les destins des pays et celle au sens étroit qui consiste à vouloir la domination de telle partie sur telle autre... Le pape ne va certainement pas intervenir dans la petite politique.

La visite du pape: Un message au monde entier

Q: Justement, certaines parties chrétiennes souffrant de «désenchantement» comptent sur cette visite pour guérir de ce mal. Cela ne pourrait-il pas provoquer un nouvel équilibre des forces et, par conséquent, amener le pape à intervenir dans la politique interne?
R: Je suis contre l’utilisation du terme de désenchantement. A mon avis, la guerre a provoqué un tel sentiment chez tous les Libanais. Et cette guerre est due à des facteurs aussi bien externes qu’internes. Lorsque les chrétiens disent: nous souffrons d’un sentiment de désenchantement, nous leur répondons: c’est vous qui en êtes responsables. Il ne faut pas oublier que les chrétiens se sont entretués et le nombre de victimes des guerres chrétiennes est plus élevée que celui des guerres contre les musulmans. Les chrétiens n’étaient pas des anges et s’ils s’étaient entendus sur une même vision de leur pays, il n’y aurait jamais eu de guerre entre eux. Certes, des facteurs étrangers ont poussé à la division des chrétiens mais, finalement, ce désenchantement, nous en sommes, en partie au moins, responsables. De toute façon, l’annulation de la visite du pape ne résoudrait pas le problème. Au contraire, sa venue pourrait constituer un message au monde entier: si le Saint-père peut venir au Liban, les citoyens de tous les autres pays peuvent le faire. De plus, si le pape est accueilli par tous les Libanais, chrétiens et musulmans, cela montrera au monde que le Liban est un pays uni et viable et que la guerre qui l’a dévasté n’était pas, à l’origine, une guerre confessionnelle.
Q: Dans des diocèses comme le vôtre (Baalbeck), il y a pourtant eu des guerres confessionnelles...
R: Jamais. Il y a eu des petits incidents.
Q: Pourquoi, dans ce cas, les chrétiens ont-ils quitté la région?
R: Il y a eu une attaque contre le village de Kaa, mais elle avait des raisons politiques et non pas confessionnelles. Il y a eu des affrontements entre les partis de gauche et les phalangistes. Et les chrétiens membres des partis de gauche sont restés sur place.
Q: Ne pensez-vous pas que le nombre réduit de chrétiens restés dans la région de Baalbeck est aussi dû à des raisons confessionnelles?
R: Il y a certes eu certains incidents à caractère religieux et des massacres sur une base religieuse, mais ce n’était pas le motif principal de la guerre. Et maintenant que la paix a été rétablie, les chrétiens commencent à revenir dans leurs villages. Peut-être pas dans la ville de Baalbeck, mais dans de nombreux villages avoisinants . 500 maisons sont en train d’être construites à Kaa, Ras Baalbeck et Jdeidé.
Q: Pensez-vous que le pape évoquera le problème du retour des chrétiens dans les régions qu’ils ont quittées?
R: Il me semble qu’il va parler de tous les problèmes évoqués au cours du synode.
Q: Selon vous, le retour des chrétiens dans ces régions est-il encore possible?
R: Certainement. Les chrétiens doivent revenir dans tous ces villages et dans toutes ces régions. Sinon, en tant qu’évêque de Baalbeck, de qui sera formé mon diocèse, des colonnes de Baalbeck?

Il n’est pas question
de supprimer le
diocèse de Baalbeck

Q: Peut-être que le diocèse sera supprimé
R: Il n’en est pas question. Il y a deux semaines, j’ai inauguré une nouvelle église à Jdeidet el-Fakiha, en présence d’un millier de fidèles. Je leur ai d’ailleurs dit que nous sommes présents dans cette région depuis le premier siècle et nous avons un évêque à Baalbeck depuis l’an 98. Nous avons eu une première martyre en l’an 115, Ste Eudoxie. Nous avons aussi une cathédrale, à Ras Baalbeck, la cathédrale de Ste Barbe, qui date du 4e siècle. De même, St Cyrille de Baalbeck est un diacre mort ici au 4e siècle. Enfin, sous le règne de Constantin, les temples païens de Baalbeck ont été transformés en églises. Même si, dans cette région, nous sommes minoritaires, nous avons quand même deux députés et nous représentons 20% de la population. Pourquoi voulez-vous que nous partions et surtout, pourquoi voulez-vous que les chrétiens se rassemblent dans une petite portion de territoire, comme le Kesrouan?
Q: N’y a-t-il pas une différence de langage entre les évêques des régions à dominante musulmane et ceux où les chrétiens sont majoritaires?
R: Il est certain que l’évêque est influencé dans son discours par les membres de son diocèse. D’ailleurs, lorsque nous rencontrons les évêques des régions à majorité chrétienne, nous tentons de leur expliquer notre point de vue et surtout de leur dire que l’isolation signifie la mort des chrétiens. Le Liban doit être un pays ouvert et le christianisme en Orient doit être ouvert. Nous avons une mission à remplir auprès des musulmans eux-mêmes. Le pape a d’ailleurs organisé le synode pour dire aux chrétiens: Restez où vous êtes. Vous avez un apostolat. Nous sommes là pour montrer aux musulmans que nous pouvons et nous devons vivre avec eux. Il y a une influence réciproque et nous devons construire ensemble un pays. C’est d’ailleurs pourquoi le pape a déclaré que le Liban est plus qu’une patrie, c’est un message de convivialité islamo-chrétienne. C’est ce que nous devons prêcher. Et quand je dis prêcher aux musulmans, il ne s’agit pas de les convertir au christianisme, mais de les convertir à une nouvelle mentalité de convivialité dans la démocratie, la liberté et l’égalité.
Q: Les évêques catholiques sont-ils tous d’accord avec cette conception?
R: Bien sûr. Et s’ils ne l’étaient pas avant le synode, ils ont été convaincus depuis. Le synode a tenu un langage d’ouverture.

Le pluralisme culturel

Q: Selon vous, l’exhortation apostolique restera-t-elle conforme au texte de l’appel final et si c’est le cas, cela ne pourrait-elle pas provoquer des problèmes?
R: Les critiques émises à la suite de la publication de l’appel final étaient surtout dues à une incompréhension des idées exprimées par le synode. Lorsque nous avons expliqué nos intentions véritables, le malentendu s’est dissipé. En parlant de pluralisme culturel, le synode ne voulait certes pas pousser à une cantonisation du Liban. De même, en demandant le retrait des troupes syriennes, il ne s’agissait pas d’une revendication immédiate, mais de l’expression d’un principe sur lequel tout le monde est d’accord.
Q: Les critiques émises par certains ulémas ne sont-elles pas une sorte d’avertissement au pape?
R: Les musulmans veulent une égalité entre tous les citoyens libanais. Ils sentaient que les chrétiens les dominaient. L’accord de Taëf a instauré un partage politique égalitaire entre les deux grandes communautés. Mais les musulmans craignent que les chrétiens s’appuient sur le Vatican ou sur les nations dites chrétiennes pour rétablir leur «domination».
Q: Cette peur est-elle justifiée?
R: Elle existe, c’est un fait. Il faut donc tranquilliser les musulmans en leur disant que, désormais, les circonstances sont différentes et que nous ne voulons que l’égalité de tous et le partage équitable des fonctions. C’est d’ailleurs pourquoi le synode a appelé tout le monde à participer à la fonction publique.

Propos recueillis par Scarlett HADDAD
Q: La visite du pape au Liban est au cœur d’une polémique. Pensez-vous que les critiques émises à ce sujet sont justifiées?R: Il faut préciser d’abord que la visite du pape a un caractère apostolique et elle a pour but de proclamer l’exhortation apostolique, qui est le document final du synode pour le Liban. Il est normal, qu’à la fin d’un synode, le Saint-père se...