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Actualités - OPINION

Carnet de route Les guerres, effets secondaires

C’est au 13e cessez-le-feu que je me suis carapatée. J’ai fui à toute allure les bulletins de radio et j’ai zappé pour la première fois (le zappage étant contraire à mon éthique) pendant les journaux télévisés. De la presse écrite, je n’ai plus lu que les manchettes traitant du sujet, parce que les très gros caractères vous interdisent la dérobade, évitant soigneusement en revanche les informations et les commentaires sur l’embrasement des provinces yougoslaves. Les très rares amis à qui je l’avouai se servirent tous du mot «blocage», pourtant déjà passé de mode, et m’expliquèrent que c’était à cause de la guerre du Liban: élémentaire, ma chère petite. Je ne sais pas s’il convient vraiment de «laver son linge sale en famille», comme le veut la sagesse des nations, et, a priori, la famille n’est pas ce que je préfère au monde, mais ce que j’écris ici équivaut pourtant à faire sa lessive en territoire ami. Loin du terrorisme intellectuel que l’intelligentsia parisienne m’aurait infligé si j’avais manifesté mon indifférence (coupable, il faut le reconnaître) par un «Sarajevo, la barbe!». On peut au moins comprendre ici qu’une Libanaise ait pu faire l’impasse sur les cessez-le-feu des autres. Seize ans après le début des trêves de Beyrouth, voilà qu’un retour du refoulé montait en moi sous forme de nausée et de saturation. Heureux Proust et sa madeleine: le passé qui s’imposait à moi n’avait rien de moelleux.
Voilà, c’était l’histoire d’un traumatisme de longue durée qui ne tolérait plus le traumatisme des autres (1). Une histoire sans morale.

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Que feraient les Arabes de bonne et mauvaise foi si le mot «sionisme» n’existait pas, surtout avec ses connotations de l’après-1967. Comme cette appellation s’est révélée pratique, comme elle s’est tout de suite diabolisée. J’y pense cette semaine parce que le (très charmant par ailleurs) président du syndicat de la presse, Mohammed Baalbacki, s’est élevé contre l’attentat sanglant qui a frappé les Coptes en Egypte, en l’imputant d’emblée aux «sionistes». Lui s’en est tiré ainsi, ce qui est habile dans son cas, mais ne trompe personne. Un public plus populaire scandait lui, de bonne foi, il y a très longtemps, après la mort d’un ouvrier dans une usine de biscuits, «Moshé Dayan oua Ghandour». Comme toujours, c’était une manifestation manipulée, mais bref. Le «sionisme» est, pour la crédibilité du monde arabe, l’un des mots les plus glissants de son discours. «Complot» vient ensuite. Il est tout à fait possible pourtant d’être antisioniste en gardant raison.

Amal NACCACHE

(1) Les vrais intellectuels libanais de Paris, eux, pour ne prendre que les exemples brillants de Georges Corm ou Ghassan Salamé, se sont plongés, la tête froide, dans le conflit serbo-bosniaque, trouvant, dans ce qui me répugnait, et malgré l’antériorité de la guerre libanaise, matière à réflexion et commentaires... Il faut dire qu’ils ne peuvent, étant donné leurs spécialités respectives, se permettre d’être en retard d’un affrontement, surtout multicommunautaire. Je devine sans peine leur reproche: «Sensiblerie, mon amie, sensiblerie». C’est sûrement vrai...
C’est au 13e cessez-le-feu que je me suis carapatée. J’ai fui à toute allure les bulletins de radio et j’ai zappé pour la première fois (le zappage étant contraire à mon éthique) pendant les journaux télévisés. De la presse écrite, je n’ai plus lu que les manchettes traitant du sujet, parce que les très gros caractères vous interdisent la dérobade, évitant...