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Actualités - REPORTAGE

La cour a achevé l'audition des témoins du parquet "Les FL sont derrière l'attentat contre Murr, affirme Elie Jabbour , ancien membre de cette formation

C’est sur une déposition détaillée et littéraire, avec une bonne dose de cette langue de bois propre à ceux qui font ou commentent la politique au Liban, que la Cour de justice a achevé l’audition des témoins du Parquet dans le cadre du procès du double attentat d’Antélias les 21 et 29 mars 1991. M. Georges Abdel-Massih, responsable du département de l’information aux FL, a ainsi longuement exposé la politique de la formation chrétienne en 1991, tout en reconnaissant qu’à cette époque, un climat de terreur régnait au sein des FL en raison d’une vague d’arrestations qui avait frappé leurs éléments. M. Abdel-Massih a affirmé aussi que les FL avaient exigé des garanties au sujet de la dissolution des milices mais que l’Etat n’avait pas respecté ses engagements. Le second témoin entendu hier par la cour, M. Elie Jabbour, ancien membre du service de renseignements militaires des FL, a, à son tour, accablé les FL, affirmant que son supérieur, Raji Abdo (inculpé en fuite), lui a déclaré que cette organisation était derrière les attentats d’Antélias dirigés contre Michel Murr, alors ministre de la Défense.
Ainsi, après plus de cinq audiences consacrées aux témoins du Parquet, l’orientation du procès semble se préciser. Mais avec les témoins de la défense (parmi lequels il y aura probablement le fils du ministre Murr et les ministres Dalloul et Boueiz) — qui commenceront à être entendus vendredi 14 février —, l’affaire pourrait connaître encore des rebondissements, notamment au sujet de la relation qui existait entre M. Michel Murr et le chef des FL dissoutes. Car, pour l’instant, et en dépit des dénégations de certains témoins, il apparaît que M. Murr avait bel et bien été contraint de quitter les régions Est après l’intifada du 15 janvier 1986 à cause d’un conflit politique avec M. Samir Geagea, dû à l’appui de Murr à l’accord tripartite (signé le 28 décembre 1985). Il apparaît aussi que les FL s’étaient emparées d’une partie des biens de M. Murr, dans les régions Est, parce qu’elles considéraient qu’il n’avait pas tenu ses engagements en n’obligeant pas M. Hobeika à restituer l’argent pris à la caisse nationale de la milice, avant de quitter le Liban le 15/1/86.
Enfin, les témoins, notamment Me Pakradouni, ont reconnu que les FL n’étaient pas satisfaites de la situation politique qui prévalait à l’époque, estimant qu’elles n’étaient pas représentées comme il le fallait au sein du gouvernement. Tous ces éléments confirment les thèses de l’acte d’accusation au sujet du mobile, à la fois politique et personnel, de M. Geagea pour éliminer le ministre Murr. Certes, le chef des FL dissoutes a précisé, en interrogeant les témoins du Parquet, qu’il comptait rétablir l’équilibre politique par des moyens pacifiques, dont la participation massive aux élections (ce qui ne l’avait pas empêché de boycotter les élections de 1992), mais hier, devant la Cour, la balance ne penchait pas vraiment en sa faveur.
Toutefois, le procès est loin d’être achevé et la cour a décidé de convoquer une nouvelle fois le député Roucheid el-Khazen — qui, dans sa déposition devant le juge instructeur, a révélé l’échec d’une tentative de médiation qu’il avait effectuée pour rapprocher Murr et Geagea — avec les témoins de la défense. S’il ne comparaît pas devant la cour, celle-ci tiendra compte de sa déposition après l’avoir lue devant l’assistance.

A demi-mots

Une fois n’est pas coutume, le froid du dehors n’a pas pénétré dans la salle du tribunal. Désormais, l’atmosphère y est chaleureuse, sinon amicale, et les audiences devant la cour, dans les affaires impliquant le chef des FL dissoutes, ressemblent de plus en plus à une réunion familiale, où chacun connaît les réactions de l’autre, où l’on se comprend à demi-mots et où les sourires tiennent lieu de longs discours. Engoncé dans sa parka bleue, tenant à la main son précieux dossier, Geagea s’installe à sa place comme s’il avait toujours été là, saluant au passage les connaissances et se préparant à poser les questions aux témoins. Presque en face de lui, le représentant du procureur général, le juge Amine Bou Nassar, n’a jamais devant lui plus de quelques papiers. Visiblement, il se fait le plus discret possible, posant de rares questions qui ne visent généralement qu’à confirmer les dépositions faites devant le juge d’instruction. Sûr de son dossier, il intervient peu dans les audiences, se contentant d’observer les présents, un vague sourire aux lèvres. Egal a lui-même, le président Khaïrallah est toujours d’une grande courtoisie et soucieux de ne priver personne de ses droits. Avec une patience infinie, il donne la parole à tous ceux qui le désirent, ne négligeant aucune piste qui pourrait mener à la vérité et se permettant de temps en temps une réflexion pleine d’humour...
Les autres membres de la cour ainsi que les avocats, les soldats et l’assistance ont désormais chacun sa place, son rôle, suivant un rituel immuable et presque rassurant. Et si l’avocat de la partie civile, Me Youssef Germanos, appelle Samir Geagea «l’inculpé affublé du titre de hakim», cela ne choque plus personne, provoquant au contraire les sourires de l’intéressé lui-même. Seul le témoin qui comparaît généralement pour la première fois devant la cour semble un peu dépassé, voire impressionné par ce décor qui peut lui paraître figé.
Et les questions commencent à pleuvoir suivant un ordre bien précis.

Le témoignage
de Jabbour

Elie Jabbour est un ancien membre du service de renseignements militaires des FL, dont le chef était Raji Abdo. Lui-même responsable de la section d’information au sein de ce service, il rapporte devant la cour qu’un mois avant l’attentat d’Antélias, Abdo le contacte et lui demande s’il a, parmi ses hommes, un proche du ministre Murr. Comme il insiste pour connaître la raison d’une demande aussi originale (la première du genre, révèle-t-il à la cour), Abdo lui précise qu’il y a une décision d’éliminer le ministre. En réponse aux questions des avocats, il affirme que, selon ce qu’il a compris de son interlocuteur, cette décision a été communiquée à Radji Abdo et Ghassan Touma (chef du service de sécurité des FL) par Samir Geagea lui-même, alors que les deux hommes se trouvaient dans son bureau.
Le jour du premier attentat d’Antélias, le témoin, se souvenant de cette conversation, se rend aussitôt chez son supérieur et lui demande s’il possède des informations sur le sujet. Selon lui, Abdo lui répond: «On dirait que Touma l’a fait». Comme le témoin demande à Abdo s’il a des détails sur les victimes, ce dernier lui demande d’attendre car il est en train d’appeler Touma. Jabbour raconte avoir assisté à l’entretien téléphonique et avoir déduit des réponses de Abdo que la tentative avait échoué et que le ministre Murr était encore vivant. Comme Geagea lui demande s’il est possible que deux chefs de services aussi importants que Touma et Abdo aient pu parler ouvertement d’une affaire aussi délicate au téléphone, Jabbour répond qu’au téléphone, les deux hommes étaient très discrets. Mais en raccrochant, Abdo lui dit: «Apparemment, ces idiots n’ont pas réussi. Cet âne de Nabil n’a pas dû savoir s’y prendre» (il s’agit de Nabil Fawzi, alias Ruchdi Raad).
Tout en reconnaissant que son service ne se mêlait pas de questions de sécurité, se contentant de surveiller les membres des FL, le témoin précise qu’il arrive qu’ils soient mis à contribution si une information précise leur parvient par hasard. On ne comprend pas toutefois pourquoi Abdo lui a demandé s’il avait un proche de Murr parmi ses hommes, mais les avocats n’insistent pas.

Après l’intifada

Me Rizk demande s’il faisait partie du service de sécurité des FL avant l’intifada du 15/1/86, au cours de laquelle Samir Geagea a pris le commandement de la milice. Et le témoin révèle que lui, Raji Abdo et Fadi Ghosn étaient membres du service de sécurité présidé alors par Elie Hobeika. Après l’intifada, lui et Raji Abdo sont restés au service qui a été présidé pour peu de temps par Georges Kassis avant que Touma n’en devienne le chef. Fadi Ghosn, qui fait partie des inculpés en fuite dans cette affaire, est parti pour quelque temps (en raison de ses sympathies hobeikistes) avant d’être ramené par Raji Abdo. Abdo, Jabbour et Ghosn sont tous les trois originaires de Kobeyat et, selon le témoin, Ghosn serait un ingénieur informatique, spécialiste dans les questions militaires et de sécurité.
Interrogé par le président Khaïrallah sur la raison qu’avaient les FL d’éliminer Murr, Jabbour répond que ce qu’il sait, il le tient de Abdo. Et, selon ce dernier, les FL voulaient saboter le déploiement de l’armée au Kesrouan et à Jbeil. Et comme M. Murr était ministre de la Défense, sa disparition provoquerait des troubles et entraverait ce déploiement. A une question du représentant du procureur, il répond que ses relations avec Abdo étaient bonnes et qu’à sa connaissance, ce dernier avait confiance en lui.
Grâce aux questions de Geagea, l’assistance apprend que le témoin a été emprisonné un an et demi pour son implication dans l’attentat à la caserne de Roumié (contre des soldats, lors de la guerre entre Aoun et les FL). Puis lorsque le juge a décidé que cette affaire était couverte par la loi sur l’amnistie, il a été accusé de collaboration avec Israël. Il est resté emprisonné sept nouveaux mois avant d’être libéré en mai 1994. Il a été arrêté de nouveau en août de la même année dans l’affaire Murr, avant que le juge Ghantous n’émette, en 1995, un non-lieu en sa faveur.
Geagea lui demande si Abdo l’a informé d’autres tentatives d’assassinats que comptaient réaliser les FL et le président Khaïrallah lance avec un demi-sourire: «Parce qu’elles en faisaient?». Mais nul ne lui répond.

Exposé politique

Le second témoin est Georges Abdel-Massih, responsable de la section d’information au sein des FL dissoutes depuis 1989. Avec un débit rapide, l’homme fait pratiquement un exposé politique de la situation à l’époque et de l’orientation des FL. Le président Khaïrallah l’interroge naturellement sur une déclaration d’une source responsable des FL, publiée dans le quotidien «Al-Diyar» quelques jours avant l’attentat d’Antélias et dont le ton était très menaçant. Mais M. Abdel-Massih répond que les FL n’utilisaient pas un tel style et il affirme que dans cette même édition du quotidien précité, la manchette cite des propos de M. Geagea précisant que les problèmes sont en train d’être réglés.
M. Abdel-Massih affirme que le chef des FL commandait tous les services et départements rattachés à cette formation. Mais à la fin de sa déposition, il apportera quelques nuances à cette affirmation, racontant quelques incidents au cours desquels certains éléments des FL avaient agi sur leur propre initiative, sans tenir compte des ordres du chef. Mais les incidents qu’il rapporte ne portent pas sur des tentatives d’assassinat.
Tout en insistant sur le fait que les FL avaient accepté la décision de dissoudre les milices et voulaient, sur les instructions de leur chef, faciliter le déploiement de l’armée au Metn et au Kesrouan, M. Abdel-Massih précise qu’elles avaient toutefois demandé à l’Etat de résoudre le problème économique et social posé par la mise au chômage de 20.000 éléments des FL. Le témoin cite aussi un autre point de conflit entre l’Etat et les FL portant sur l’exigence de la formation chrétienne que toutes les milices libanaises et autres soient dissoutes.
M. Abdel-Massih rapporte ensuite une rencontre qui aurait eu lieu, après l’attentat d’Antélias, entre lui et M. Murr, au domicile d’un ami commun, au cours de laquelle il a senti que le ministre était très réservé voire sec à son égard. Lorsqu’il a interrogé son hôte à ce sujet, ce dernier lui aurait répondu: «C’est parce qu’on dit que les FL sont derrière l’attentat d’Antélias».

Les relations
Murr-FL

Le témoin en vient ainsi à définir les relations entre M. Murr et les FL et il précise qu’elles étaient «plus que normales. Il y a certes eu un malentendu après l’intifada du 15 janvier 1986, mais les contacts n’ont pas été rompus et des messagers faisaient souvent la navette entre les deux hommes». Mais le témoin ajoute que c’est avec le fils de M. Michel Murr, Elias, que Geagea avait des relations «affectives». Il faudra sans doute attendre la confirmation de l’intéressé lui-même.
M. Abdel-Massih répète que Geagea n’était pas satisfait de la composition du gouvernement Karamé, mais lorsque les responsables lui ont promis que sa voix ou celle de son représentant seraient écoutées, il a décidé de désigner Roger Dib comme ministre à sa place. Le témoin ajoute que, naturellement, la promesse n’a pas été tenue. Tout en précisant que l’élimination du ministre Murr n’aurait pas renforcé la position des FL, «au contraire», il affirme qu’à l’époque, de nombreux responsables des FL étaient poursuivis par les autorités et agressés. Ce que la défense — et plus particulièrement M. Geagea — avait nié, affirmant que ces poursuites avaient eu lieu lorsque M. Albert Mansour était ministre de la Défense et non à l’époque du ministre Murr. Le témoin précise qu’il serait trop long de citer les noms de tous les éléments des FL arrêtés à l’époque, mais sur l’insistance de M. Geagea, il finit par donner quelques noms, ajoutant qu’un véritable climat de terreur régnait à l’époque au sein des FL.
Comme le député Roucheid el-Khazen n’est pas venu, l’audience est levée vers 18 heures. Le prochain rendez-vous est fixé au vendredi 14 février. Pour la Cour, la Saint-Valentin n’est pas une fête chômée. Ici, il ne s’agit pas d’amour mais de justice.

Scarlett HADDAD
C’est sur une déposition détaillée et littéraire, avec une bonne dose de cette langue de bois propre à ceux qui font ou commentent la politique au Liban, que la Cour de justice a achevé l’audition des témoins du Parquet dans le cadre du procès du double attentat d’Antélias les 21 et 29 mars 1991. M. Georges Abdel-Massih, responsable du département de l’information aux...