L’Iran se fait bombarder. Israël, une fois de plus, bombarde.
Les deux pays détruisent. Les deux saignent. Et nous, au milieu, on regarde – sans surprise, sans gloire, sans mots. Quarante, cinquante ans et plus que ça dure. Depuis 1969, 1979, 1982, au choix. Depuis qu’on nous impose d’être le champ de bataille d’un autre conflit. Et voilà que maintenant, peut-être, cette guerre-là touche à sa fin.
Mais comme toujours ici, la fin ressemble à un effondrement. Pas une sortie. Pas une solution. Une fin par épuisement.
L’Iran, cet empire de slogans, cette machine à promesses apocalyptiques, vacille. Son orgueil nucléaire s’est dissous dans le silence de ses radars. Ses alliés tombent. Et personne ne se lève pour le relever.
Israël, de son côté, continue de faire ce qu’il sait faire : frapper vite, frapper fort, puis expliquer que c’est une réponse. Expert dans l’art de tuer par prévention défensive. Victime assassine.
Et nous, Libanais ?
On compte. Les morts, les départs, les cycles. On a tout essayé. L’indignation. Le repli. L’alignement. La résistance. L’espoir. On a même essayé de faire semblant. Et on paie toujours. Pas seulement en sang – en années perdues, en générations vidées.
Et aujourd’hui, dans cette fin de cycle, les voix se radicalisent à nouveau.
Il y a ceux qui veulent juger. À la Nuremberg. Il faut que le Hezbollah rende des comptes. Pour ses armes. Pour ses morts. Pour ses années volées. Ils veulent un tribunal, des aveux, une punition.
Et puis il y a ceux qui veulent remercier. Ils parlent de résistance. On leur doit notre honneur, notre survie, notre fierté. Ils leur bâtiraient des statues dans chaque village. Ils refusent la moindre critique, comme si la loyauté devait se faire à genoux.
C’est vrai, avant de tourner la page, il faut une conclusion.
Et quand bien même il serait satisfaisant de voir cette grenouille, qui voulait se faire aussi grosse qu’un bœuf, payer pour tous les crimes commis au cours des dernières décennies ; et quand bien même il serait apaisant de reconnaître tous les sacrifices, qu’on les ait demandés ou pas ; aucune de ces conclusions ne serait adéquate. Car elles laisseraient inévitablement une partie de la population sur sa faim.
Il faut aller de l’avant. Il faut donc pardonner.
Accepter que, en fait, ce n’est plus si important. Et se concentrer sur la reconstruction. Sur l’avenir.
Pas un pardon de courtoisie. Pas une réconciliation de façade. Un pardon souverain. Pas pour les autres. Pour nous. Parce que nous n’avons plus le luxe d’attendre leur contrition, leur lucidité, leur mea culpa. Il est trop tard pour les mises en scène. Il faut sortir du cycle.
Pardonner, sans oublier. Ne plus dépendre. Ne plus attendre que le coupable reconnaisse sa faute pour exister. Reconstruire une dignité qui ne dépend ni d’un missile, ni d’un mandat, ni d’un drapeau étranger. Sans armes, mais avec une justice limpide.
Refuser d’enfermer le pays dans un récit unique. Refuser que notre avenir soit conditionné à la chute de l’un ou à la survie de l’autre. Car le Hezbollah et l’Iran n’ont pas su protéger le Liban. Et Israël ne le détruira pas plus qu’il ne s’autodétruit déjà.
Les premiers nous ont piégés dans une guerre qu’ils n’ont jamais su gagner. Le second, dans une paix qu’il n’a jamais voulu partager. Et nous, entre les deux.
Il faut briser ce cycle. Il faut faire autrement. Choisir une autre voie. Loin de la vengeance, loin de la vénération. Oublier la milice, oublier la forteresse. Une voie libanaise. Une voie vivante.
Un pays. Un vrai. Avec des lois, une économie, une mémoire, une justice. Des écoles qui fonctionnent. Des enfants qui ne savent même pas qui était Hassan Nasrallah – parce qu’ils n’ont plus à le savoir.
Quelque part entre mercantilisme et révolution, mais loin de la corruption ou de la peur qu’ils engendrent.
Il faut inventer. Dans un ordre mondial qui s’effondre, tracer un chemin à nous. Libanais. Arabes, mais pas dépendants. Méditerranéens, mais pas naïfs.
Et à tous ceux qui continueront à vouloir mourir pour une cause : on ne meurt qu’une fois. Et souvent pour rien.
Il n’y a rien de glorieux à tomber pour un discours. Le pays ne s’en relève pas plus fort. Il s’endort, un peu plus. Il oublie, un peu plus. Il se vide.
Il est temps de choisir la vie. Pas une vie soumise. Une vie construite. Préparée. Délibérée. Une vie pensée pour nos enfants, pas pour nos drapeaux. Une vie qu’on ne sanctifie pas par le sacrifice, mais qu’on élève par l’effort, la paix, la dignité retrouvée.
Car si la guerre est un mirage, l’enfance, elle, est bien réelle. Et c’est elle qu’il faut défendre. Plus qu’une terre. Plus qu’une idéologie. Plus que n’importe quelle ligne rouge.
Nos vies ont un prix. Et on les a trop bradées dernièrement. C’est fini maintenant. Et c’est ça, dès aujourd’hui, qui fera de nous les vrais résistants.
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