Des plus soudaines fut l’attaque israélienne du 13 juin contre l’Iran. Non moins fulgurante, bien qu’annoncée à demi-mot, sous forme de transparente devinette, par Donald Trump, fut aussi l’irruption américaine dans le conflit. Et c’est sur le même rythme échevelé que le président US vient de siffler la fin de la partie ; mieux encore, on voit cet arbitre, qui n’a pourtant rien d’impartial, admonester durement Israéliens et Iraniens qui avaient du mal, mardi, à se conformer de suite au cessez-le-feu.
Passé le furieux orage, le savant brouillard entourant les pertes et profits des trois protagonistes, qui pavoisent à l’unisson, n’est pas tout à fait dissipé cependant. À tout seigneur tout honneur, Trump qui rêve de glaner un prix Nobel consacrant sa vocation autoproclamée de faiseur de paix, a effectivement réussi à imposer une négociation appelée à se dérouler dans un contexte nettement plus favorable. Mais pour y venir, l’administration américaine a donné un massif coup de pouce à l’offensive israélienne en envoyant sur place ses bombardiers furtifs porteurs de monstrueuses bombes anti-montagne ; il est incontestable que l’Amérique est techniquement entrée en guerre, même si elle s’en défend ; et elle s’y est résolue sans l’assentiment du Congrès, ce qui suscite déjà une véritable tempête politique à Washington.
Le plus singulier cependant est de voir les deux autres larrons rivaliser d’ardeur pour crier victoire. Israël peut certes se targuer d’avoir réussi à entamer sérieusement les capacités nucléaires et balistiques de l’adversaire, même si dans l’intervalle, il a pu constater les failles de son propre système de protection antimissile, tenu pour infaillible. En fait, et au contraire de l’Iran qui dispose d’une considérable profondeur stratégique, l’État hébreu n’est guère configuré pour endurer des guerres longues, sauf évidemment quand il s’agit de casser du palestinien en combat outrageusement inégal. Significatif est à ce sujet le pressant appel de l’opposition israélienne et du Forum des familles d’otages au cabinet Netanyahu pour qu’il mette fin à la guerre de Gaza.
Pour sa part, la République islamique peut se louer d’avoir échappé au pire : c’est-à-dire l’effondrement de son régime et l’enterrement définitif, irrémédiable, de son programme nucléaire. Américains et Israéliens n’ont certes pas manqué de jouer avec l’idée d’un renversement des mollahs, mais en l’envisageant seulement comme un effet secondaire de la campagne : effet non recherché ni souhaité, effet indésirable même, en raison des risques de dangereux chaos qui en résulteraient. Quant au programme nucléaire, il est clair que Trump s’est trop hâté de claironner son oblitération pure et simple. Car rien n’est moins sûr, en l’absence de toute évaluation précise et indépendante des dommages infligés en particulier à l’usine souterraine de Fordow. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il semble établi de surcroît, images par satellite à l’appui, que les Iraniens ont eu tout le temps d’évacuer tranquillement ailleurs les stocks d’uranium enrichi qui y étaient entreposés.
C’est cependant la riposte iranienne aux bombardements US qui illustre le mieux ces petits arrangements entre ennemis intimes, assez courants d’ailleurs en Orient, et censés faciliter les choses en aidant l’adversaire à sauver la face. Que de tintamarre a ainsi été fait autour des tirs iraniens sur les bases américaines situées en Irak, mais aussi au Qatar : oui ce cher voisin de Qatar, qui abrite chez lui des soldats yankees, mais tout aussi bien les dirigeants du Hamas, qui fraie avec les Israéliens mais avec lequel Téhéran entretient de très étroites relations ! Absolument tenus de livrer ne fût-ce qu’un tonitruant baroud d’honneur, les Iraniens ont pris soin d’alerter à l’avance les Qataris qui ont dûment relayé le message. Ne restait plus alors aux émirs de Doha qu’à monter sur leurs grands chevaux pour dénoncer le viol de leur espace et de leur territoire…
Quels autres artifices et obscurs calculs recouvre encore la poussière qui retombe sur le champ de bataille ? D’avoir énergiquement élimé les crocs et les griffes à l’Iran, peut-il vraiment le porter à renoncer à exporter sa révolution en échange de quelque lot de consolation ? La République islamique ne va-t-elle pas plutôt se rabattre sur un processus d’enrichissement clandestin d’uranium, comme s’en inquiète plus d’un État européen ? Rumine-t-elle déjà une revanche suicidaire menaçant d’aller jusqu’à l’embrasement d’une région du Golfe littéralement imbibée de gaz et de pétrole ? Au nom de quelle justice enfin la pax americana exempterait-elle de son programme de redressement un gouvernement israélien qui, même en pleine guerre avec l’Iran, n’a jamais cessé de tuer les enfants palestiniens affamés que l’on voit se disputer une louche d’infâme bouillie devant les centres humanitaires de Gaza ?
Le fracas de cette guerre d’Iran n’est pas seulement celui des explosions. Plus assourdissantes encore peuvent s’avérer les incertitudes qu’elle laisse derrière elle.