
Le président américain Donald Trump s'adresse à la nation, aux côtés du vice-président américain J.D. Vance (à gauche), du secrétaire d'État américain Marco Rubio (2e à droite) et du secrétaire à la Défense américain Pete Hegseth (à droite), depuis la Maison Blanche à Washington, le 21 juin 2025, après l'annonce du bombardement américain de sites nucléaires en Iran. Photo Carlos Barria / POOL / AFP
Depuis le 7-Octobre, nous nous sommes réveillés tant de fois en pleine nuit à la suite d’un événement qui donnait le sentiment de plonger la région dans l’abîme. À chaque fois, l’on se disait que cela pouvait difficilement être pire. À chaque fois, l’on se trompait. Le Moyen-Orient est entré cette nuit dans une phase encore plus dangereuse, plus explosive et plus imprévisible que tout ce qu’il a connu depuis vingt mois.
Le délai était un leurre. Une façon pour les États-Unis de préparer leur attaque contre l’Iran et de préserver un minimum d’effet de surprise. Donald Trump n’aura pas mis quinze jours à prendre ce qui est pour l’instant la décision la plus difficile de sa présidence : entrer officiellement en guerre contre l’Iran.
Le président américain, qui n’a cessé de pourfendre les interventions américaines au Moyen-Orient, n’a pas l’intention de s’engager dans un conflit de longue durée. Il veut désormais un deal au plus vite. En frappant les sites de Natanz, Fordo et Ispahan, il a voulu détruire le programme nucléaire iranien afin de pousser Téhéran à la capitulation. Un grand coup de marteau pour mettre l’adversaire à genoux sans toutefois l’achever.
Une stratégie qui repose essentiellement sur deux facteurs par rapport auxquels nous n’avons pas encore une grande visibilité. D’une part, les frappes américaines vont-elles suffire, en l’état, à détruire ou au moins infliger des dégâts de très grande importance au programme nucléaire iranien ? Le site de Fordo est-il complètement détruit et auquel cas l’Iran, qui dispose de sites clandestins, n’a-t-il plus les moyens d’enrichir suffisamment d’uranium pour fabriquer la bombe ?
D’autre part, quelle sera la réaction iranienne ? Téhéran, qui n’a pas les moyens de faire face à une double offensive américaine et israélienne, va-t-il tenter de négocier un accord au plus vite afin d’assurer la survie du régime ou au contraire entrer dans un jeu de surenchère pour pousser Donald Trump à s’engager davantage dans la guerre et fragiliser ainsi sa position ?
Concernant le premier point, la guerre de propagande risque de battre son plein, Washington assurant que les sites ont été détruits tandis que Téhéran évoque des dégâts limités pour le moment. Concernant le second point, la République islamique a envoyé plusieurs signaux lors de cette première semaine de conflit. Elle n’avait pas intérêt à ce que celui-ci s’étende pour ne pas encourager les États-Unis à intervenir directement mais a menacé d’utiliser plusieurs de ses cartes : activation de ses alliés régionaux, fermeture du détroit d’Ormuz, ciblage des intérêts américains dans la région.
Téhéran peut aussi être tenté de frapper directement les alliés des États-Unis, principalement les pétromonarchies du Golfe, mais cela l’isolerait encore plus sur le plan diplomatique alors que les pays arabes sont, officiellement, de son côté pour le moment.
Quel choix pour les Iraniens ?
L'Iran est dos au mur. Certes le régime est résilient et son appareil sécuritaire est toujours en place. Il peut ainsi faire le choix de la guerre longue et de la surenchère pour améliorer sa position dans les négociations et contraindre Washington - qui veut éviter tout enlisement - à faire d’importantes concessions. Mais ce serait un jeu très dangereux pour lui. Plus l’Iran répond fort, plus les États-Unis seront impliqués dans cette guerre et plus le seul enjeu de cellle-ci deviendra la survie du régime et celle de ses alliés, Hezbollah compris, qui rejoindraient ce conflit.
La République islamique semble devoir faire un choix entre la mort lente et le suicide. Entre un accord qui risque de sérieusement l’affaiblir en interne et sur la scène régionale, lui ôtant une grande partie de ce qui lui restait de légitimité, et une escalade qui aboutirait à des frappes américaines et israéliennes sur ses centres de pouvoir.
Il est possible que Téhéran fasse ce qu’il fait très souvent : une sorte de non choix qui vise surtout à préserver les apparences. Aussi il pourrait répondre à l’attaque américaine sans toutefois dépasser certaines lignes rouges et accepter ensuite de négocier si l’accord n’est pas présenté comme une capitulation. En partant du principe que le programme nucléaire iranien a été effectivement détruit, cette hypothèse n’est pas impossible même si ni Donald Trump ni Benjamin Netanyahu ne sont connus pour leur habilité à ne pas humilier l’adversaire.
Si le régime iranien fait le choix du suicide, les États-Unis devront gérer une situation particulièrement délicate non seulement sur le plan interne où l’intervention était très critiquée mais surtout vis-à-vis de leurs principaux alliés dans la région. Quel serait alors leur porte de sortie si le régime ne plie pas ? Ils peuvent éliminer le guide suprême iranien, Ali Khamenei, viser tous les centres de pouvoir et espérer que cela fragilise le régime à un point où il s’effondre sur lui-même ou bien où l’un de ses représentants finisse par signer la capitulation.
Même en cas de victoire militaire incontestable, à quoi ressemblera l’après ? Si le régime capitule pour assurer sa survie, qu’est-ce que cela voudrait dire pour la population iranienne ? Les risques d’une forte répression en interne et d’un chaos généralisé, qui aura des conséquences dans la région, sont importants. Et si le régime ne capitule pas, quelle serait la suite ?
L’intervention américaine pour détruire les sites nucléaires iraniens aura aussi des conséquences sur l’ordre international, bien au-delà de la région. Tous les régimes autoritaires vont en conclure que leur seule garantie d’assurer leur survie, indépendamment de leur alliance ou non avec Washington, est de se doter de la bombe. Partout dans le monde, les prédateurs vont en tirer la leçon que le règne de la force est le seul qui vaille. Et seul le temps nous permettra de prendre la mesure des conséquences d’une guerre qui aura été menée et soutenue au nom de la « sécurité » de l’acteur le plus puissant de la région.
Le taureau déchaîné Trump a dit que ce n’était pas une guerre contre l’Iran mais une intervention pour mettre fin au programme nucléaire iranien. C’est cousu de fil blanc, mais ça laisse ainsi une porte de secours aux mullahs pour signer vite un accord, avant de tout perdre. Ils pourront plus tard présenter celà à la population comme une victoire, surtout si les sanctions sont levées. Faire la guerre à l’Amérique ne résoudra pas les problèmes du régime, bien au contraire. Avec son pragmatisme, l’Iran doit bien le savoir.
06 h 14, le 23 juin 2025