Il est des signes qui ne trompent pas. Le Liban, à chaque nomination diplomatique ou ministérielle, nous donne à voir une même tragédie rejouée : celle de l’effacement du mérite devant la loyauté, de l’efficience devant l’appartenance, de la compétence devant la connivence. Ce qui devrait relever de l’examen rigoureux du parcours, de l’intégrité et du service de la chose publique devient l’illustration désabusée d’un État devenu champ de distribution clientéliste.
Or, dans un monde traversé par des crises complexes, la compétence n’est pas un luxe. Elle est une exigence politique, au sens noble du terme. Gouverner, représenter, administrer : ce ne sont pas là des rôles symboliques, mais des fonctions qui engagent la destinée d’une nation. L’oubli de cette exigence trahit un désenchantement profond à l’égard de l’idée même d’État.
Ce désenchantement n’est pas anodin : il érode les fondements de la démocratie. Car celle-ci ne saurait se réduire à l’élection. Elle suppose une dialectique exigeante entre légitimité populaire et légitimité rationnelle – entre la volonté du peuple et la compétence des gouvernants. Lorsque cette tension s’effondre, lorsque la politique devient simple prolongement des rapports de force claniques, c’est la cité elle-même qui vacille.
Nous ne manquons pourtant pas de figures capables d’incarner cette exigence. Des hommes et des femmes que l’on célèbre à l’étranger pour leur intelligence, leur intégrité, leur capacité d’agir avec discernement. Et pourtant, ce sont précisément ceux-là qui sont écartés. Parce qu’ils n’appartiennent pas au bon réseau, parce qu’ils n’obéissent à personne, sinon à leur conscience.
Ce n’est pas seulement une injustice – c’est une faute politique. Une faute qui condamne les nouvelles générations à l’exil ou au cynisme. Comment espérer qu’un jeune croie encore à l’engagement civique quand il voit que l’effort, le savoir, la droiture sont des critères obsolètes dans la sélection de ses représentants ? Comment défendre une diplomatie forte, une administration juste, une justice crédible, quand la médiocrité devient la norme ?
Il est temps, non pas de moraliser la politique de manière naïve, mais de réhabiliter ce que les Anciens appelaient l’aristocratie de l’esprit – non au sens d’un élitisme fermé, mais d’un appel à l’excellence comme service du bien commun. Cela suppose une rupture avec les logiques d’héritage, de redevabilité sectaire ou de compromis honteux.
L’éthique du mérite n’est pas une lubie technocratique. C’est la condition d’une république vivante. Elle seule peut restaurer la confiance, ranimer le sens de la vocation publique, et permettre que la politique retrouve sa dignité – celle d’un espace où l’on œuvre non pour soi, mais pour la cité.
Il ne s’agit donc pas d’exclure, mais d’élever. D’élever la parole publique, le niveau des exigences, et les esprits eux-mêmes. Car là où le mérite est nié, c’est la justice qui recule. Et sans justice, il ne peut y avoir ni paix durable ni avenir commun.
Auteure/ écrivaine et professeure universitaire
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""la compétence n’est pas un luxe"" ICI la competence est assimilee trop souvent a des illusions ! alors qu'education et pedegree meme professionnel alors qu'elle devrait tenir compte de "psychisme" /de l'égocentrisme du candidat ! DEMESURE CHEZ LES LIBANAIS !
10 h 10, le 18 juin 2025