
The Mirror Project, une galerie beyrouthine exclusivement dédiée aux miroirs. Photo DR
Niché dans la paisible rue Zanoubia, au cœur du quartier « bobo » de Mar Mikhaël, The Mirror Project, une enseigne discrète à la vitrine épurée, simplement ponctuée de touches design, attire l’attention des passants. À l’intérieur, des miroirs aux lignes graphiques et contemporaines, aux formes et aux matériaux aussi divers qu’inventifs, déploient sur les murs une farandole de notes Artsy et colorées.

À l’instar de cette audacieuse déclinaison de miroirs ronds tantôt ceints de macarons en céramique orangés, tantôt de bulles en verre soufflé ou encore d’anneaux de bois bicolores… De cette série de miroirs à cadres sculptés, architecturés, en marbre, en travertin, en plexiglas ou en caoutchouc strié, visiblement inspirés de l’école du Bauhaus et des toiles de Piet Mondrian… Mais aussi de ces pièces uniques aux configurations et traitements totalement libres, évoquant aussi bien les silhouettes aléatoires des nuages que le travail précieux de la marqueterie, dans une glace à la surface réfléchissante entièrement incisée-biseautée.

Autant de pièces qui captent immanquablement le regard. Lequel plutôt que de plonger dans son propre reflet va s’attarder sur leur esthétique singulière d’objet aux confins du mobilier design et de l’œuvre d’art.
« Il ne s’agit pas de créations envisagées juste sous un aspect utilitaire, mais comme des pièces de collection », explique d’ailleurs Abdallah Barake à la tête de ce showroom beyrouthin exclusivement dédié aux miroirs.
Entre Poulpe et Macarons, un projet à l’image de Beyrouth
Fruit de la frustration de cet architecte trentenaire de ne pas trouver de miroirs véritablement différents pour ses projets de décoration d’intérieur, The Mirror Project est né de sa détermination « à avoir des pièces qui racontent une histoire et s’imposent comme un point d’ancrage dans les espaces où ils sont installés », dit-il. « Dans mon travail, j’étais en permanence en quête de quelque chose qui sorte de l’ordinaire ; et surtout des conventionnels cadres en métal, en chrome, en bois ou à dorure, ainsi que du trop répandu miroir découpé au laser Cut et éclairé par l’arrière, poursuit-il. Et puis je trouvais que les miroirs étaient dispersés dans des galeries et des boutiques de manière très disparate et comme des éléments de seconde zone. D’où l’idée de les regrouper dans un espace qui leur soit propre, qui célèbre leur potentiel artistique et les mette en lumière. »
C’est durant la période ralentie du confinement et de l’après-explosion au port de Beyrouth que le jeune homme entame les premières esquisses et maquettes de son projet. « Je voulais m’occuper pour garder mon équilibre mental, ne pas me laisser envahir par le désespoir. J’ai commencé par dessiner quelques pièces moi-même, puis à en faire des maquettes avant de les faire réaliser par des artisans locaux », indique celui qui avoue, avec amusement, que l’une de ses premières pièces, celle que beaucoup prennent pour un Miroir Macarons était plutôt inspirée des ventouses des poulpes…

Lorsqu’il ouvre sa salle d’exposition, juste une semaine avant les frappes israéliennes sur le Liban l’été dernier, Abdallah Barake a déjà, outre ses propres conceptions, une belle sélection de miroirs singuliers créés par des designers libanais mais aussi internationaux qu’il sollicite régulièrement des quatre coins du monde : aussi bien du Portugal, des Pays-Bas, d’Afrique du Sud que de Thaïlande, d’Inde ou d’Iran.
Car à travers ces pièces qui dépassent leur simple fonction pour devenir des œuvres à part entière, Abdallah Barake veut offrir aussi « une expérience de connexion à des histoires, des styles de vie, des émotions multiples et nouvelles », dit-il.
Évidemment chacun de ces miroirs est réalisé en pièce unique sinon en édition limitée par des artisans locaux ou étrangers. Et si cette sélection reste largement dominée par une double inspiration Bauhaus et Memphis (des mouvements architecturaux et artistiques emblématiques), elle est pensée comme « une invitation à explorer, à ressentir et à trouver des pièces qui résonnent non seulement avec les espaces que nous habitons, mais aussi avec les styles de vie que nous menons », assure l’initiateur de ce Mirror Projet. Un espace qui, en lui-même, reflète l’image de Beyrouth : une ville où la beauté et les épreuves s’entrelacent mais qui malgré tous les aléas reste créative, sophistiquée et vibrante.