Donald Trump serait-il soudain en panne de querelles aux quatre coins de ce vaste monde ? Se retrouverait-il à court d’adversaires, au point de jeter son dévolu sur l’Amérique elle-même ? Tel le scorpion qui en vient parfois à se piquer lui-même, ira-t-il jusqu’à saccager ce que les États-Unis ont de plus spécifique, de plus distinctif (de plus américain !) : à savoir leur suprématie technoscientifique et ce cocktail identitaire dont ils tirent une légitime fierté ?
L’insulte faite aux neurones d’abord, étant entendu que ces derniers n’ont, dans le cas présent, rien d’artificiel. En diabolisant et persécutant les universités de Harvard et Columbia, c’est aux plus hauts sommets de l’excellence académique US que s’attaque Trump. À l’en croire, ces deux temples du savoir ne se seraient pas trop dépensés pour protéger leurs étudiants juifs lors des manifestations pro-palestiniennes survenues aux premiers jours de la guerre de Gaza. D’une ampleur sans précédent sont cependant les représailles : massives coupes budgétaires, interdiction de visa pour les aspirants étrangers et même, pour ce qui est de Columbia, menaces d’un retrait pur et simple de la licence d’enseigner.
La Maison-Blanche croit ainsi dératiser avec la plus grande énergie des institutions qu’elle accuse d’abriter des populations entières d’activistes d’extrême gauche. Elle ne fait pourtant en réalité que tirer une balle dans le pied de l’Oncle Sam. Fleurons de cette prestigieuse Ivy League groupant, sous le signe du lierre, huit des universités les plus anciennes du pays, Harvard et Columbia ne se bornent pas en effet à former des générations de futurs décideurs. Ces établissements jouent un rôle de premier plan dans le domaine de la recherche scientifique, biomédicale notamment ; comme pour les erratiques tarifs douaniers décrétés par Trump, le public américain sera donc le tout premier à pâtir de la suppression des subventions dont bénéficiaient les laboratoires.
Mieux encore, l’Amérique a toujours tiré grand profit de tous ces jeunes cerveaux étrangers assoiffés de connaissance ou n’aspirant qu’à donner libre cours à leurs idées, à leur génie parfois, loin de la tyrannie installée dans leurs patries. Quelle bombe atomique eût-elle ainsi pu voir le jour sans l’apport décisif d’un Einstein ou d’un Oppenheimer ? Quel débarquement sur la Lune eût-il été possible sans la fusée Saturne V développée par Wernher von Braun, l’homme qui avait offert à Hitler le premier missile balistique de l’histoire, le V2 de sinistre mémoire ?
Innombrables (et infiniment plus pacifiques, grâce au Ciel) sont les success-stories, d’aussi concluantes adhésions d’étrangers au mirifique rêve américain. Elles ont souvent fait la fortune ou la renommée mondiale de leurs auteurs ; en retour, elles ont grandement contribué à la grandeur de l’Amérique : celle-là même que s’est juré de rétablir Donald Trump dans le même temps qu’il s’acharne, au contraire, à la défigurer, comme en témoignent les graves événements de Los Angeles. C’est là d’ailleurs qu’apparaît dans toute son outrance l’affront fait cette fois à l’ADN américain : au célébrissime mythe du melting-pot, ce creuset où se sont idéalement fondues les marées d’immigrants aux origines les plus diverses pour former la nation américaine. Pour justifiées que puissent être les mesures prises à l’encontre des migrants clandestins, c’est la méthode beaucoup trop musclée, pour ne pas dire expéditive, de Trump qui a mis le feu aux poudres dans cette énorme cité à forte population d’origine hispanique. La garde nationale et puis les marines sollicités pour mater les manifestations, tout cela en désaccord total avec le gouverneur de la Californie, la maire de L.A., le procureur et la police locale : c’est plutôt à l’assaut d’un fief majeur du Parti démocrate que semble s’être lancé le soldat Donald Trump.
De manière aussi prophétique qu’ironique, le président se voyait rappeler tout dernièrement, documents officiels à l’appui, ses propres origines allemandes : évocation qui méritait bien, elle aussi, d’être sérieusement creusée.
Issa GORAIEB
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