
Le chef du Parti socialiste progressiste, Taymour Joumblatt, recevant une délégation de l’ordre des journalistes, le 4 juin 2025. Photo DR
Taymour Joumblatt détonne dans le paysage politique libanais. Le chef du Parti socialiste progressiste ne ressemble à aucun autre leader et il en est conscient. C’est sans doute pourquoi il n’apparaît pas beaucoup dans les médias. Il est pourtant d’une grande franchise, rejetant toute forme de populisme. Ce n’est donc pas lui qui cherchera à embellir la réalité et à donner des illusions à ceux qui l’écoutent. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il exprime ses craintes sur la situation générale du pays. Selon lui, les deux mois à venir sont délicats et les yeux doivent rester fixés sur le Sud où la tension reste grande.
Devant une délégation du conseil de l’ordre des journalistes menée par Joseph Kossayfi, Taymour Joumblatt reconnaît pourtant qu’il y a eu, ces derniers mois, beaucoup d’éléments positifs, qui ont poussé à l’optimisme, notamment l’élection d’un nouveau président après une longue période de vacance, la formation d’un gouvernement et la chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie. « Mais nous avons sans doute été trop optimistes, car le Liban et la région sont à la merci d’un Premier ministre israélien qui est prêt à brûler le monde entier pour rester à son poste, dit-il. Toutefois, nous n’avons d’autre choix que celui de continuer à appuyer le président Joseph Aoun qui cherche à appliquer les points figurant dans le discours d’investiture. Nous devons aussi appuyer le gouvernement qui déploie des efforts pour consolider la situation sécuritaire et économique. »
Le chef du bloc parlementaire de la Rencontre démocratique ne cache pas ses craintes pour la période à venir, avec la poursuite des attaques israéliennes au Sud, dans la Békaa et même ailleurs, sous prétexte de l’existence des armes du Hezbollah. Les tensions que ces agressions suscitent touchent tout le pays et pourraient donc pousser les touristes attendus cet été à renoncer à venir, selon lui.
En réponse à une question, Joumblatt affirme que ce qui est demandé du Liban n’est pas seulement le désarmement du Hezbollah, mais plutôt tout « un package », qui englobe ce dossier et celui d’une normalisation des relations avec Israël. « Notre position à ce sujet, déclare-t-il, est claire. Il faut revenir à l’accord d’armistice et le Liban sera le dernier pays arabe à normaliser ses relations avec Israël. »
Taymour Joumblatt revient sur son expérience politique, notamment depuis 2005, avec tous les espoirs suscités à l’époque par la vague de changement qui a commencé avec le retrait des troupes syriennes et l’émergence d’un large mouvement, celui du 14 Mars. Mais il reconnaît aujourd’hui que les développements qui se sont succédé par la suite n’ont pas été à la hauteur des attentes, tout comme d’ailleurs, plus récemment, l’expérience des députés dits du changement. « Mais cela ne signifie pas qu’il faut arrêter de rêver et d’agir », précise-t-il. Il confie à ce sujet que s’il avait eu le choix, il n’aurait pas choisi le chemin de la politique, mais il déclare dans un soupir : « Il y a un héritage qu’il faut préserver. » Et aujourd’hui, la question ne se pose plus.
Quand on lui demande avec quelle partie politique il s’entend le mieux, Taymour Joumblatt répond que quand on veut faire de la politique au Liban, il faut toujours miser sur le dialogue et maintenir les canaux de communication avec tout le monde, y compris avec les parties avec lesquelles il ne partage pas la même vision politique.
Taymour Joumblatt est toutefois très critique sur la gestion politique au Liban. Il reconnaît que la plupart des partis politiques n’ont pas vraiment quelque chose de nouveau à offrir aux citoyens et, selon lui, « les Libanais n’ont pas encore appris à gérer eux-mêmes leurs questions internes. L’histoire des dernières décennies l’a montré ». Dans ce contexte, il salue le rôle de l’Arabie saoudite qui, dit-il, est rassurant dans la mesure où il est annonciateur d’une relance économique. Le retour d’une influence saoudo-syrienne, qui est parfois évoquée ces derniers temps, ne lui fait pas peur, même s’il pense qu’il serait temps que les Libanais apprennent à tirer les leçons du passé et à gérer eux-mêmes leurs problèmes. « Hélas, ajoute-t-il, l’expérience montre que la situation au Liban ne se stabilise que lorsque les États amis interviennent pour nous aider... » Il fait toutefois remarquer que dans les pays où l’Iran est intervenu, il y a eu des catastrophes.
Taymour Joumblatt est conscient du fait que la situation en Syrie n’est pas encore stable ni tout à fait claire, mais il estime qu’il faut donner une chance au président Ahmad el-Chareh pour qu’il puisse conforter l’État syrien et, selon lui, sa présence au pouvoir reste préférable à une dictature. Sur un plan purement interne, son bloc avait désigné Nawaf Salam pour la présidence du gouvernement, regrette-t-il aujourd’hui cette décision ? « Non pas du tout », répond Taymour Joumblatt, qui reconnaît que la mission des responsables aujourd’hui n’est pas facile, non seulement à cause des pressions externes et des visées israéliennes, mais aussi à cause du niveau politique qui devient de plus en plus bas. Il évoque dans ce cadre les débats au sein du Parlement, qui tournent souvent rapidement aux attaques personnelles... « Malheureusement, dit-il, l’époque aujourd’hui ne ressemble pas à celle des grands hommes politiques, comme celle de mon grand-père Kamal Joumblatt. »
“Nous n’avons d’autre choix que celui de continuer à appuyer le président Joseph Aoun”. Une phrase très significative qui en dit long.
18 h 06, le 05 juin 2025