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La filière Barrack


Le Liban officiel ronge son frein en attendant une nouvelle visite de la dame Ortagus, adjointe de l’envoyé spécial de Donald Trump au Moyen-Orient, Steve Witkoff : laquelle adjointe ne cherche pas à dissimuler une impatience encore vive face à la lenteur, jugée excessive, du processus de désarmement du Hezbollah. Plutôt que d’une énième reprise de ce dialogue de sourds, est-ce donc du côté de Damas que pourrait nous parvenir – ne serait-ce que par osmose, ou alors par ricochet – quelque signal positif ?

Nommé de fraîche date ambassadeur des États-Unis à Ankara, promu il y a quelques jours envoyé spécial de Trump en Syrie, Thomas Barrack vient tout juste d’entamer sa mission dans la capitale syrienne. Ce prospère promoteur immobilier (le profil même du président !) passe pour s’être gagné l’amitié de ce dernier en acceptant de racheter au prix fort les dettes du gendre favori, Jared Kushner, qui avait imprudemment spéculé sur la Fifth Avenue. Lui-même a eu maille à partir avec la justice pour avoir illégalement servi les intérêts politiques et financiers des Émirats arabes unis. Toujours est-il qu’en dépit de ses origines libanaises, Barrack n’est évidemment pas à Damas pour la mère patrie, mais pour œuvrer à la réhabilitation de la Syrie. Il est vite allé en besogne pour concrétiser la levée des sanctions américaines récemment décrétée par Trump. Il a hissé de ses propres mains la bannière étoilée sur la résidence de l’ambassadeur US, vierge de tout occupant depuis une décennie et demie. Il a rencontré à Istanbul puis à Damas le président intérimaire Ahmad el-Chareh, et a parrainé avec lui la signature d’un faramineux accord énergétique conclu avec un consortium groupant des firmes américaines, qataries et turques. Notoire protectrice du conglomérat islamiste qui a renversé le régime des Assad, la Turquie est étroitement associée d’ailleurs aux efforts de remise à flot de la Syrie : précision qui ne manquera sans doute pas de doucher les aspirations autonomistes des Kurdes de ce pays. C‘est cependant à la lumière de la pax americana, telle qu’esquissée dans ses déclarations publiques par Barrack, que nous nous trouvons indéniablement concernés.

Americana serait trop dire, puisque l’envoyé présidentiel appelle en fait à la fin de tout interventionnisme occidental au Proche et au Moyen-Orient. Il fustige à ce propos l’accord Sykes-Picot de 1916 par lequel l’Angleterre et la France se partageaient, à des fins coloniales, les lambeaux d’un Empire ottoman agonisant et imposaient des frontières de leur cru aux peuples de la région. Washington et Ankara s’étant déjà prononcés pour une Syrie unitaire, le diplomate américain a pu faire allusion ainsi aux États alaouite, druze et sunnites d’Alep et de Damas passagèrement créés par la puissance mandataire française. On veut croire néanmoins que ce Libanais d’origine, qui tire d’ailleurs grande fierté de ses racines, n’a pu inclure un seul moment dans son réquisitoire la proclamation de l’État du Grand Liban, devenu plus tard République libanaise : initiative due à cette même France, soit-elle bénie pour cela !

Une fois de plus Tom Barrack n’est pas en charge du Liban, pas plus d’ailleurs qu’il n’est l’architecte suprême de la Syrie nouvelle. Mais même s’il doit s’en tenir à ses préoccupations et responsabilités syriennes, son action peut rejaillir favorablement sur notre pays. L’Américain semble se concentrer en ce moment sur la conclusion d’un pacte de non-agression entre la Syrie et Israël ; or c’est bel et bien une cessation définitive des hostilités que réclame à cor et à cri l’État libanais, même si par égard à certaines susceptibilités internes il préfère un retour aux accords d’armistice de 1949. Barrack est en mesure de hâter la délimitation de la frontière syro-libanaise, ce qui est du plus haut intérêt économique et sécuritaire pour les deux bords. Voué par définition à la normalisation en Syrie, il peut parfaitement activer le rapatriement en toute sécurité de centaines de milliers de migrants et de déplacés qui pourraient continuer de bénéficier, mais cette fois chez eux, des aides internationales.

Tout magnat de la promotion immobilière vous le dira, il est des placements où il y a pas mal à gagner et bien peu à perdre. Notre pays n’aura jamais trop d’amis, et la filière Barrack vaut bien un détour. Pour ne pas dire un brin de cour.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

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