
Un des bureaux de vote à Haret Saïda, le samedi 24 mai 2025. Photo Marguerita Sejaan / L'Orient Today
C'est dans un calme relatif, tant le long de la Ligne bleue que dans les bureaux de vote, que se déroulaient ce samedi les élections dans les mohafazats du Liban-Sud et de Nabatiyé. Jusqu'en début de soirée, aucune frappe ni tir provenant du Nord israélien ou des positions toujours occupées dans le sud du pays n'ont été signalés. Les électeurs semblaient se rendre aux urnes dans un calme relatif, uniquement marqué par des incidents ponctuels, notamment l'agression d'un candidat de la liste « Tyr Madinati », composée d'indépendants, devant une école de la ville.
A la fermeture des bureaux de vote, à 19h, le taux de participation marquait une baisse significative dans tous les cazas par rapport au scrutin de 2016. Bint Jbeil et Marjeyoun, théâtres du récent conflit entre le Hezbollah et Israël, sont par exemple passés de 42,5 % à 26,83 % pour le premier, et de 43,20 % à 30,66 % pour le second.
C'est dans cette atmosphère que le président libanais, Joseph Aoun, a voté pour la première fois de sa vie dans son village natal de Aïchiyé, dans le caza de Jezzine, dans le cadre de l'élection des moukhtars (élus locaux), le conseil municipal de la localité ayant été élu d'office. « J'ai protégé les élections pendant quarante ans, et aujourd'hui je vote pour la première fois », a-t-il déclaré en glissant son bulletin dans l'urne, lui qui a été commandant en chef de l'armée après une longue carrière militaire, au cours de laquelle il n'avait pas le droit de vote. « Celui qui gagnera me représentera, qui que ce soit », a-t-il ajouté.

« La volonté de construire est plus forte que toutes les démolitions »
M. Aoun s'est également rendu dans la matinée au Sérail de Nabatiyé, d'où il a affirmé que « participer à l'édification de la ville et à son développement est un devoir : « Je félicite ceux qui ont gagné d'office les élections et je félicite à l'avance ceux qui gagneront dans les urnes, le poste n'est pas un privilège mais une responsabilité, et vous devez être dignes de la confiance, en servant le peuple avec sincérité et dévouement. » Depuis le sérail de Saïda, le chef de l'État a encore rendu hommage samedi matin aux « âmes des martyrs du Sud, au travail des autorités sécuritaires et judiciaires, et à tous ceux qui ont contribué et contribuent au bon déroulement du processus électoral ». Il a appelé «à voter massivement pour ceux qui représentent leurs aspirations pour le développement municipal, car les élections dans le Sud confirment que la volonté de vivre est plus forte que la mort, et que la volonté de construire est plus forte que toutes les démolitions ».
Le Liban-Sud peine à se relever de plus de 13 mois de guerre entre le Hezbollah et Israël, qui a mené à la destruction de nombreux villages frontaliers. Les frappes israéliennes n'ont épargné aucune région du Sud, et fait plus de 4.000 morts. 164 personnes ont également été tuées, majoritairement dans le Sud, dans des bombardements et tirs israéliens depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 27 novembre 2024.
La tournée de Hajjar
De son côté, le ministre de l'Intérieur, Ahmad Hajjar, a affirmé dans la matinée, du sérail de Nabatiyé également, que « les élections municipales ont commencé en toute sécurité », révélant qu'« il y a quelques lacunes logistiques » mais que son ministère « s'en occupe ». « Le Liban se relève toujours des décombres », a-t-il déclaré. Il a noté que « les plaintes reçues hier se sont révélées sans gravité », ajoutant que des arrestations ont été effectuées pour suspicion de corruption après des incidents. Le ministre n'a pas précisé d'incidents spécifiques, mais des informations ont notamment circulé vendredi soir sur un appel d'un représentant de parti poussant un électeur à voter pour une liste spécifique en échange d'argent.
Après avoir inspecté des bureaux de vote réservés aux électeurs de Kfar Kila et Adaïssé, deux villages frontaliers du caza de Marjeyoun dévastés par les frappes israéliennes, installés dans un lycée de Nabatiyé, le ministre Hajjar s'est également rendu à Marjeyoun, où il a affirmé avoir « vu la détermination des habitants de la région et leur volonté d'un processus démocratique ». De Chebaa, dans le caza de Hasbaya, le ministre de l'Intérieur a assuré, concernant la situation sécuritaire dans le Sud que « tous les contacts diplomatiques sont rassurants et nous sommes attachés à la souveraineté de l'État qui est présent aux côtés du peuple ». « La reconstruction a commencé dans l'esprit avant, avant de commencer avec les briques, et malgré les faibles capacités, la volonté du peuple domine », a ajouté M. Hajjar. « L'État ne se reposera pas jusqu'à ce que tous les habitants de Chebaa soient à l'aise, et que chaque partie de son territoire soit libérée » de l'occupation israélienne.
Après la fermeture des bureaux de vote, M. Hajjar a affirmé qu’il avait reçu un certain nombre de plaintes qu’il a suivies avec les services de sécurité, précisant qu’aucune irrégularité ni ingérence en faveur d’un quelconque camp n’a été constatée. Il a souligné que les taux de participation étaient faibles par rapport à ceux de 2016, mais qu’après neuf ans d’absence, le peuple libanais avait exercé son droit démocratique, ce qui est selon lui « l’essentiel ». Il a aussi ajouté que « la victoire par acclamation est un processus démocratique sain et ne présente aucune irrégularité d’un point de vue légal ». Cent-neuf municipalités ont remporté les élections par acclamation au Liban-Sud.
S'exprimant également du ministère de l'Intérieur, le Premier ministre, Nawaf Salam, a lui remercié « tous ceux qui ont contribué à la réussite du processus électoral. » Il a ajouté : « Nous nous préparons désormais aux élections législatives, et nous allons élaborer un projet de loi électorale qui corrigera les lacunes existantes. » Il a également affirmé : « Je suis satisfait de cette échéance électorale, et nous avons tiré des leçons des failles rencontrées. »
Les violations israéliennes « ne dissuaderont pas l'armée »
Des messages que le commandant en chef de l'armée libanaise, le général Rodolphe Haykal, a également transmis, lors d'une visite dans plusieurs casernes du Sud, notamment à Saïda et Biyada (Tyr), où il a affirmé à l'occasion que «le succès des élections est la preuve que les habitants du Sud sont attachés à leur terre». « La présence de l'armée est l'un des plus importants facteurs de réconfort et de détermination » pour ces habitants du Sud, a-t-il insisté, alors que l'armée s'est redéployée au sud du Litani, dans le cadre de l'accord de cessez-le-feu, et est chargée d'y démanteler les infrastructures du Hezbollah. « Notre message est que l'armée se tient fermement aux côtés des Libanais et que l'ennemi israélien, qui continue de violer la souveraineté du Liban et d'occuper une partie de son territoire, ne dissuadera pas l'institution militaire de s'acquitter au mieux de ses missions », a-t-il lancé.
L'armée est fortement déployée, avec des patrouilles et barrages, aux côtés des autres institutions sécuritaires, dans les localités du Sud. Ce qui n'a pas empêché certaines tensions, bagarres et suspicions de fraude.
Tensions et bagarres
Selon l'Agence nationale d'information (ANI, officielle), une dispute s'est produite dans le bureau numéro 8 de Nabatiyé et le vote y a été interrompu temporairement le temps de la résoudre. Pendant ce temps, à Chama (caza de Tyr), une bagarre a éclaté entre des électeurs au centre culturel Bassel el-Assad, sans toutefois impacter le déroulement du scrutin. D'autres bagarres, certaines impliquant des dizaines de personnes, ont eu lieu à Saïda, selon notre correspondant. Et à Tyr, un candidat de la liste « Tyr Madinati », opposée aux partis traditionnels, a été agressé devant un bureau de vote, alors qu'il parlait à la presse, selon des informations de l'Association libanaise pour des élections démocratiques (LADE). Des policiers qui ont assisté à la scène ont confirmé qu'une « bagarre » s'est produite, à notre journaliste Lyana Alameddine, minimalisant toutefois son impact.
À Jezzine, des agents de la sécurité de l'État ont indiqué à L'Orient-Le Jour qu'ils s'étaient déployés dans la zone après avoir reçu le signalement de deux représentants qui « tentaient de manipuler les votes dans les urnes ». L'un d'entre eux a été expulsé et l'autre n'a pas été localisé, selon eux. À l’école secondaire Mourjan, à Saïda, la situation s'est, elle, tendue notamment en raison de l'affluence et du fait que lorsqu'Ahmad Hariri, le secrétaire général du Courant du Futur, est arrivé, l'armée a dû évacuer le bureau de vote, ce qui a créé des remous, vite apaisés.
Le ministère de l'Intérieur a annoncé que le nombre de plaintes reçues par les autorités sur le déroulement du scrutin s'élevait jusqu'à présent à 137, concernant majoritairement des « problèmes administratifs ».