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L’Américain de tous

Pour répondre aux sarcasmes de Staline, ce personnage à l’immense autorité morale ne possède, de fait, pas une seule division blindée. Dès lors, toute élection d’un nouveau pape reste immuablement un évènement d’exception, et pas seulement pour le milliard et demi de catholiques existant de par le monde. Qu’en serait-il alors quand pour la première fois de son histoire – et qui plus est, en pleine ère Trump –, c’est un prélat américain qui accède au siège de saint Pierre ?

Mais holà, gare aux conclusions hâtives. Natif de Chicago, Robert Francis Prevost est certes un Américain du Nord. Mais Mgr Roberto, comme on continue de l’appeler affectueusement au Pérou, où il a longtemps œuvré pour les pauvres, est également citoyen de ce pays. Mieux encore, de par sa vocation, cet homme de toutes les saisons, de toutes les disciplines (un mathématicien doublé d’un historien) est aussi celui de toutes les latitudes, puisqu’il a eu à gérer les sacerdoces des quelque 4 500 évêques disséminés dans le monde. De manière bien plus convaincante que Donald Trump jouant puérilement à poster son image en tenue papale générée par l’intelligence artificielle, il incarne l’homo universali. Parfaitement branché sur les réseaux sociaux, il a fustigé, à coups de posts indignés, la politique anti-immigration de l’administration US, allant jusqu’à montrer ses torts au vice-président JD Vance qui prônait un fort sélectif amour du prochain.

S’il faut quand même insister sur tous ces traits, copieusement évoqués pourtant par les télés du monde entier, c’est précisément pour saluer cette innovation qu’est le couronnement spirituel d’un Américain campant aux antipodes de la peu engageante Amérique que bricole, selon son humeur du moment, Trump. C’est aussi pour se féliciter de l’assurance d’une continuité dans le changement dans les plus hautes sphères du Vatican. Réunis en conclave, les cardinaux ont vite fait de renvoyer dos à dos progressistes trop pressés d’aller en besogne et ultraconservateurs avérés, finissant par accorder leurs suffrages au papabile le plus apte à assurer l’évolution en douceur d’une Église catholique confrontée à de nombreux défis. En se désignant comme le lointain successeur du fondateur de la doctrine sociale du Vatican, le pape Léon XIV demeure clairement fidèle bien sûr à sa vieille et agissante compassion pour l’humanité souffrante. Mais il lui faudra user de toutes ses ressources pour s’attaquer aux scandales sexuels, aux difficultés budgétaires et aussi aux réticences internes que suscitait souvent le style entier, sinon autoritaire, du pape défunt François.


Force est de constater toutefois que dans un monde en proie aux affrontements armés, et où le conflit indo-pakistanais vient s’ajouter à ceux d’Ukraine, de Gaza ou du Soudan, c’est surtout la diplomatie vaticane, traditionnellement prompte à dénoncer les criantes injustices, qui va retenir l’intérêt des chancelleries, mais aussi du commun des mortels. La paix soit avec vous tous, tels ont été les premiers mots prononcés devant les fidèles par Robert Francis Prevost une fois devenu pape : des mots qui, à eux seuls, constituent tout un programme.

Reste hélas à savoir le cas qu’en feront les boutefeux, pyromanes et autres fauteurs de guerres que l’on voit se bousculer pour présenter leurs vœux à l’Américain de Rome.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Pour répondre aux sarcasmes de Staline, ce personnage à l’immense autorité morale ne possède, de fait, pas une seule division blindée. Dès lors, toute élection d’un nouveau pape reste immuablement un évènement d’exception, et pas seulement pour le milliard et demi de catholiques existant de par le monde. Qu’en serait-il alors quand pour la première fois de son histoire – et qui plus est, en pleine ère Trump –, c’est un prélat américain qui accède au siège de saint Pierre ? Mais holà, gare aux conclusions hâtives. Natif de Chicago, Robert Francis Prevost est certes un Américain du Nord. Mais Mgr Roberto, comme on continue de l’appeler affectueusement au Pérou, où il a longtemps œuvré pour les pauvres, est également citoyen de ce pays. Mieux encore, de par sa vocation, cet homme de toutes les saisons,...