En 1978 déjà, le Premier ministre israélien de l’époque, Menahem Begin, se faisait fort de rameuter le monde civilisé pour empêcher toute extermination des chrétiens du Liban. Aujourd’hui, c’est son lointain successeur Benjamin Netanyahu qui se pose bruyamment en protecteur des druzes de Syrie ; oui le même Netanyahu aux mains encore toutes dégoulinantes de sang palestinien ; Netanyahu qui n’a sans doute pas encore digéré l’arrêt de la Cour internationale de justice le sommant de se garder de toute action de type génocidaire dans la bande de Gaza.
Si la supercherie continue tout de même de faire illusion çà et là, c’est en raison bien sûr de la survivance de ce mythe d’alliance des minorités qui, ces dernières décennies, a pu séduire plus d’une communauté de notre région menacée par les périodiques éruptions de violence d’inspiration religieuse. Mais il serait erroné de ne voir dans ces chants de sirène israéliens qu’un charitable projet de regroupement de populations légitimement inquiètes pour leur sort. Expansionniste par vocation est en effet l’entreprise sioniste ; et si les prophètes d’Israël ont tracé la voie, ce sont ses généraux qui passent aux choses concrètes, qui accumulent les faits accomplis sur le terrain. Qui font main basse sur les terres, qui bombardent les abords du palais présidentiel à Damas, dans le même temps qu’ils jouent aux protecteurs d’humanités en détresse. Qui après avoir sadiquement affamé les survivants de l’enfer de Gaza font distribuer à grande publicité riz, huile et farine aux habitants des villages du Sud syrien fraîchement conquis. En fait, c’est bel et bien une consistante rallonge au Golan, annexé de longue date, que vient de s’octroyer impunément le boulimique État hébreu. Et ce n’est peut-être pas tout.
Car bien plus militairement précieuses que les quelques hameaux raflés sont les crêtes du mont Hermon dont a pris possession Israël. Ce majestueux balcon naturel offre une perspective idéale sur Damas, mais aussi une vue plongeante sur une bonne partie du Liban oriental et méridional où les Israéliens se proposent d’occuper durablement cinq hauteurs qualifiées de stratégiques. Tous ces acquis territoriaux sont-ils le prélude à des annexions rampantes ? Annoncent-ils plutôt un programme de morcellement susceptible de déborder du Golan sur le Liban, maintenant qu’Israël est en voie de s’aménager, comme à Gaza, une sorte de corridor de Philadelphie bis ?
De telles appréhensions ne sont guère exagérées hélas. Il est bien connu qu’Israël cultive soigneusement la loyauté de ses citoyens druzes, seuls au sein de la minorité arabe à servir dans l’armée et la police. Il faut reconnaître cependant que les odieux massacres d’alaouites dans le littoral nord n’ont pu qu’aviver la crainte d’horreurs similaires visant la banlieue de Damas et le Djebel, si bien que l’influent chef spirituel syrien Hajri a, lui aussi, dénoncé une campagne génocidaire, appelant même à une intervention internationale. En revanche, les instances druzes de Syrie demeurent attachées à l’unité du pays ; pour sa part, et non content de mobiliser sa communauté contre les manœuvres israéliennes, Walid Joumblatt est allé à Damas pour exprimer sa préoccupation au président syrien Chareh.
Pour avoir pris part à la guerre civile libanaise, le leader druze libanais est bien placé pour connaître cet étourdissant phénomène, et on peut présumer qu’il n’a pas manqué d’en parler à Ahmad al-Chareh : les excès des radicaux arabes restent le meilleur moyen de pousser d’autres Arabes dans la nasse de l’ennemi.