Critiques littéraires Jeunesse

Une fable de la faim en famille

Une fable de la faim en famille

De délicieux enfants de Flore Vesco, L’École des loisirs, 2024, 224 p.

De cape et de mots, L’Estrange malaventure de Mirella, D’or et d’oreillers : lorsque sort un nouveau roman de Flore Vesco, nous savons que nous aurons entre les mains un texte exigeant qui mêle les tons entre humour, drame et émotion. Chez Flore Vesco, pas d’écriture neutre ou automatique : elle a le goût de la forme, de la formulation, du jeu de langage.

D’or et d’oreillers revisitait le récit de la Princesse au petit pois. Son dernier roman, De délicieux enfants, s’inscrit dans cette lignée des réinterprétations de contes, en l’occurrence celui du Petit Poucet.

Mais « réinterprétation » est un mot peut-être faible. C’est plutôt comme si Flore Vesco avait creusé sous terre pour retrouver la graine originelle du Petit Poucet, l’avait regardée droit dans les yeux et lui avait dit : « C’est fini de te cacher derrière la jolie fleur que tu montres à la surface : je vais inviter les lecteurs sous terre pour voir ce que tu es vraiment. » Disons-le d’emblée (comme un avertissement autant qu’un encouragement) : cette plongée sous terre nous remue et ne nous caresse pas dans le sens du poil.

Au cœur de cette entreprise de refonte du Petit Poucet, un constat : celui du parallélisme entre la fratrie (et plus largement la famille) du Petit Poucet et celle des ogres. Sept garçons d’un côté, sept filles de l’autre. En comptant les parents : dix-huit misères et dix-huit ventres creux. D’un côté des filles, forgées par cet isolement, d’un autre des garçons arrivant avec des humeurs variables et qui cherchent des brèches chez leurs hôtes pour poser leur influence.

Tout le long, une même tension, celle qu’induit la faim. Sur plus de 220 pages, les personnages ont terriblement faim, à en perdre leur lucidité. Tenir cette tension tout en faisant récit est en soi un pari périlleux et réussi.

Le phrasé n’est pas lisse et il emprunte avec un naturel étonnant aux vocables des siècles passés. Le texte creuse sans esquive dans toutes sortes de sujets : la faim donc, les pulsions du corps, les dynamiques de manipulation. Flore Vesco réussit le tour de passe-passe de fouler tous ces territoires bien plus loin que ce qu’on attend. Mais elle le fait, dans un exercice d’équilibriste sans filet, en dosant les mots, en maîtresse des images.

Tout cela est d’autant plus poignant que chaque situation de ce quasi-huit clos est vue à travers l’expérience de chacun des personnages : le Petit Poucet n’est donc pas le seul avec qui on est appelé à compatir. Ils s’alternent en effet à la narration, dans un récit choral aux multiples « première personne ». Les ellipses entre les différentes prises de parole de chacun d’eux font qu’on découvre ses changements d’états d’esprit par à-coups, souvent comme un choc. Percutant.

Chaque livre que dépose Flore Vesco au sol, comme le Petit Poucet dépose des cailloux, fait sens. Lui les ramasse pour revenir chez lui. Quelle maison découvrirons-nous si on relit ses livres à elle, par ordre antéchronologique ?


De délicieux enfants de Flore Vesco, L’École des loisirs, 2024, 224 p.De cape et de mots, L’Estrange malaventure de Mirella, D’or et d’oreillers : lorsque sort un nouveau roman de Flore Vesco, nous savons que nous aurons entre les mains un texte exigeant qui mêle les tons entre humour, drame et émotion. Chez Flore Vesco, pas d’écriture neutre ou automatique : elle a le goût de la forme, de la formulation, du jeu de langage.D’or et d’oreillers revisitait le récit de la Princesse au petit pois. Son dernier roman, De délicieux enfants, s’inscrit dans cette lignée des réinterprétations de contes, en l’occurrence celui du Petit Poucet.Mais « réinterprétation » est un mot peut-être faible. C’est plutôt comme si Flore Vesco avait creusé sous terre pour retrouver la graine originelle du Petit Poucet,...
commentaires (0) Commenter

Commentaires (0)

Retour en haut