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Idées - Levée du secret bancaire au Liban

Levée du secret bancaire : la fin du commencement ?

« S’il est vrai que le secret bancaire dans sa forme originelle a disparu, le secret professionnel reste lui présent et sort même renforcé », analyse l'avocat et enseignant Karim Daher.

Levée du secret bancaire : la fin du commencement ?

Illustration : Bigstock.

Le 10 novembre 1942, à la suite de la victoire d’el-Alamein, Winston Churchill déclarait à ceux qui s’empressaient de crier victoire avant l’heure que : « Ce n’était pas la fin. Ce n'était même pas le commencement de la fin. Mais, c'était peut-être la fin du commencement.» Sa vigilance et son réalisme s’avéraient par la suite fondés au vu des circonstances dramatiques et énormes sacrifices qui suivront avant la reddition sans conditions de « l’axe du mal » trois ans plus tard.

Le 24 avril 2025 dans un contexte nettement différent et certainement moins dramatique, le Parlement libanais s’est vu contraint, sous la pression de la communauté internationale, de lever les dernières fortifications qui protégeaient encore l’omerta autour de trois décennies de corruption endémique et de passe-droits abusifs. Le secret bancaire tombe enfin par knock-out, après deux premiers rounds préparatoires au cours de la décennie précédente, qui ont vu cette « forteresse » longtemps imprenable déjà vaciller.

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Premiers coups de boutoir

En 2016 déjà, c’est la loi n° 55 – ayant acté l’adhésion du Liban aux nouvelles normes internationales d’échanges sur demande (MAC) et d’échange automatique d’informations financières (CRS) introduites par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements – qui avait levé en premier et partiellement le secret bancaire pour les non-résidents. Elle avait exigé des banques et autres établissements financiers libanais d’identifier leurs clients ayant une résidence fiscale à l’étranger, de compiler l’ensemble des informations relatives à leurs comptes et de les envoyer sur base annuelle aux autorités fiscales libanaises qui se chargent de les remettre aux autorités étrangères concernées. L’argument du Liban comme point de ralliement « sécurisant » des capitaux étrangers ou de « Suisse du Moyen-Orient » tombait alors sans vergogne.

Après l’effondrement financier de 2019 et sous la pression du FMI et de la communauté internationale mais aussi de la rue libanaise en ébullition contre la classe politique, le Parlement libanais adopte la loi n° 306 du 28 octobre 2022 qui marque deux avancées majeures. En premier lieu, elle lève définitivement et de manière rétroactive (jusqu’en septembre 1988) la protection du secret bancaire pour plusieurs catégories de personnes. Il s’agit des agents publics, des élus et responsables politiques, des concessionnaires de travaux ou services publics, des présidents et membres des conseils d›administration des banques ainsi que leurs directeurs exécutifs et auditeurs, des présidents et membres des conseils d'administration des médias et des présidents et directeurs des partis et des associations politiques. La levée s’étend aussi dans de nombreux cas aux conjoints et enfants mineurs ainsi qu’aux ayants-droit, prête-noms et autres structures fictives ou réelles de camouflage.

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D’autre part et pour l’ensemble des autres déposants elle permettait à un certain nombre d’autorités et d’organismes publics d’avoir accès aux données bancaires sans opposition et de les traiter ; à savoir : la Commission d’enquête spéciale (CSI), les organes judiciaires dans le cadre de l’instruction de procès en cours, la Commission nationale de lutte contre la corruption, les autorités fiscales et enfin les autorités de régulation et de contrôle bancaire dont la banque centrale (BDL), la commission de contrôle des banques et l’Institut national de garantie des dépôts. Néanmoins et pour ces quatre dernières autorités, ladite loi conditionnait l’accès aux informations à la promulgation préalable d’un décret en Conseil des ministres fixant les modalités d’application. Décret qui bien entendu n’a jamais vu le jour depuis plus de deux ans, bloquant par là même toute possibilité pour ces autorités, dans le cadre des activités de contrôle habituelles ou même au titre de missions de restructurations bancaires envisagées, de s’assurer de l’entière conformité aux lois et règlements en vigueur notamment pour ce qui est de la légitimité des dépôts ou de l’absence d’infractions.

Réparation et opportunité

Le texte voté jeudi est venu donc réparer un impair… Un « lapin » introduit en douce par les artisans du non-changement, pour bloquer l’application de la loi 306 et empêcher la transparence et la redevabilité mais aussi pour bloquer parallèlement tout accord avec le FMI et les pays donateurs afin de restructurer tout à la fois la dette publique et le secteur bancaire et de relancer l’économie.

Par ailleurs, s’il est vrai que le secret bancaire dans sa forme originelle a disparu, le secret professionnel reste lui présent et sort même renforcé avec une pléiade de dispositions limitant tout abus ou indiscrétion de la part des agents ayant accès aux informations ; notamment au niveau des sanctions pécuniaires et des peines pénales édictées. Et s’il reste à trouver une bonne justice pour le faire, c’est précisément le chantier qui nous attend désormais.

En attendant, avec cette réparation, une grande opportunité s’ouvre à nous aujourd’hui. Elle consiste à habiliter les organes compétents à auditer et scruter les comptes et mouvements bancaires afin de détecter les irrégularités et les anomalies pour, d’une part, les signaler aux autorités judiciaires compétentes ; et, d’autre part, différencier les comptes légitimes de ceux entachés d’irrégularité et/ou d’illégalité dans le cadre de la restructuration bancaire envisagée. La protection des dépôts ne devant s’appliquer qu’aux premiers, en diminuant à due concurrence le volume du « trou financier », tout en œuvrant concomitamment à la récupération des fonds indûment perçus ou transférés au détriment de l’argent public et des dépôts. Elle devrait aussi faciliter la mise en conformité du Liban avec ses engagements internationaux en matière de lutte contre tous types de crimes financiers et notamment le blanchiment d’argent et la lutte contre le terrorisme… Gage de sortie de la liste grise du GAFI ou tout au moins d’éviter la bascule dans la liste des pays non coopératifs. Enfin, elle permettra surtout et en priorité d’instaurer une nouvelle ère de transparence, de bonne gouvernance et de redevabilité afin d’éradiquer la corruption et l’incivisme et de mettre un terme à l’impunité. C’est alors que la confiance reviendra et que le pays pourra renaître une énième fois de ses cendres,sans prendre le risque de se brûler à nouveau…

Faut-il pour autant s’enflammer ? L’expérience nous a appris que les kleptocrates au pouvoir savaient manier les législations et l’élément temporel en laissant passer l’orage pour rebondir au premier rayon de la lumière des injustes et bloquer toute velléité de réforme ou de changement. C’est pourquoi la vigilance s’impose. Il nous incombe donc de continuer à œuvrer pour soutenir le nouveau pouvoir exécutif en place en lui balisant au besoin le terrain pour qu’il aille encore plus loin, là où d’autres avant lui n’ont pas osé s’aventurer ou bien se sont perdus en chemin avant même d’y entrer.

Avocat, enseignant à l’USJ et membre du Facti Panel de l’ONU. Dernière publication : « La lutte contre la corruption au Liban » (IEDJA/LGDJ).

Le 10 novembre 1942, à la suite de la victoire d’el-Alamein, Winston Churchill déclarait à ceux qui s’empressaient de crier victoire avant l’heure que : « Ce n’était pas la fin. Ce n'était même pas le commencement de la fin. Mais, c'était peut-être la fin du commencement.» Sa vigilance et son réalisme s’avéraient par la suite fondés au vu des circonstances dramatiques et énormes sacrifices qui suivront avant la reddition sans conditions de « l’axe du mal » trois ans plus tard. Le 24 avril 2025 dans un contexte nettement différent et certainement moins dramatique, le Parlement libanais s’est vu contraint, sous la pression de la communauté internationale, de lever les dernières fortifications qui protégeaient encore l’omerta autour de trois décennies de corruption endémique et de...
commentaires (4)

Tant que les ministères de finances et de l’économie sont aux mains de ceux qui ont pillé le pays, il ne faut rien espérer de bon. Sans parler de celui qui est à la tête de la chambre qui fait voter les lois et qui a toujours réussi à bloquer toutes les issues en imposant son veto, lois qui le mettraient à nue avec ses alliés qui ont eu tout le loisir monter un système opaque afin d’échapper à toute sanction. Bon courage pour les biens intentionnés, le chemin sera long et semé d’embûches.

Sissi zayyat

11 h 15, le 02 mai 2025

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Commentaires (4)

  • Tant que les ministères de finances et de l’économie sont aux mains de ceux qui ont pillé le pays, il ne faut rien espérer de bon. Sans parler de celui qui est à la tête de la chambre qui fait voter les lois et qui a toujours réussi à bloquer toutes les issues en imposant son veto, lois qui le mettraient à nue avec ses alliés qui ont eu tout le loisir monter un système opaque afin d’échapper à toute sanction. Bon courage pour les biens intentionnés, le chemin sera long et semé d’embûches.

    Sissi zayyat

    11 h 15, le 02 mai 2025

  • Les gens honnêtes n’ont rien à cacher. Le secret bancaire n’est là que pour protéger les mafieux et la corruption. Les gens honnêtes sont les premiers à appeler à la disparition de cette réglementation, et comprennent bien évidemment que cela s’applique aussi à eux.

    K1000

    11 h 01, le 29 avril 2025

  • 100% pour tout ce qui est comptes de politiciens. Mais pour le secteur privé? Une main trop lourde sur le secteur privé engendrerait une fuite des capitalistes honnetes. Il faudrait focuser l'effort sur ceux qui ont manipulé les deniers publica.

    ..... No comment

    11 h 45, le 27 avril 2025

  • conclusion a tirer, j'espere sans trop de freinage: nous esperons en la droiture & le vouloir des parties concernees pour decider d'enclencher ces enquetes... nous esperons a commencer par les tetes les + elevees de ces mafieux ci-haut nommes. LE POUVONS NOUS VRAIMENT?

    L’acidulé

    09 h 27, le 27 avril 2025

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