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Jeux de scène

Énormes, pour un peu tout le monde, sont les enjeux de la négociation irano-américaine qui s’ouvre ce samedi à Oman au terme d’un long échange de défis et de menaces entre Washington et Téhéran. Énormes pour la République islamique d’abord, qui ploie depuis des années sous l’effet des sanctions économiques occidentales et dont l’influence au Proche et au Moyen-Orient a subi récemment une série de graves revers. Énormes aussi pour Donald Trump, qui avait déchiré un premier accord sur le nucléaire iranien, le jugeant par trop conciliant, et qui s’est juré de faire bien mieux que son lointain prédécesseur Obama. Et si l’Europe, désormais mise hors jeu, est réduite à attendre le jour où s’ouvrirait enfin à ses entreprises l’immense marché persan, c’est au niveau hautement stratégique face au camp occidental que Russes et Chinois se font du souci pour leur partenaire iranien.


Ce qui ne manque pas de frapper aussi dans les pourparlers de Mascate, c’est l’incertitude qui a entouré jusqu’au bout le fait de savoir si les interlocuteurs allaient discuter entre quat’z’yeux comme l’assurait Washington, ou par le truchement de l’hôte omanais comme se le promettait Téhéran. La question n’est pas affaire d’amour-propre national ou de quelque autre coquetterie ; elle figure d’ailleurs en bonne place dans le manuel diplomatique international, chacune de ces deux méthodes ayant ses avantages et inconvénients.


Tout dialogue direct consacre la légitimité des interlocuteurs ; il peut donc donner lieu à des surenchères politiciennes à l’intérieur des entités concernées ; tel est particulièrement le cas pour l’Iran qui depuis bientôt un demi-siècle est en rupture diplomatique avec le Grand Satan américain. Un dialogue direct est néanmoins gage de netteté dans l’exposé des vues, et aussi de célérité accrue dans le progrès des négociations ; de même sont éliminés les risques de malentendus (phénomène de téléphone cassé) que pourrait susciter un médiateur trop pressé de conclure sa navette par un succès. Il n’en reste pas moins que les pourparlers indirects gardent leur utilité, et même parfois leur nécessité, comme abondent les exemples. L’extraordinaire sultanat d’Oman, allié des États-Unis mais qui entretient d’excellentes relations avec l’Iran, s’est d’ailleurs illustré en la matière en accueillant discrètement, plus d’une fois dans le passé, Iraniens et Américains, Saoudiens et houthis yéménites, sans oublier Arabes et Israéliens.


Mais pourquoi donc s’attarder sur les vices et vertus de tous ces jeux de scène ou d’arrière-scène ? Pour la simple et évidente raison que le temps est sans doute venu pour le Liban de faire effort d’imagination, d’innovation (de décomplexion?) en matière de tractations. Car ce n’est pas une négociation décisive qui attend notre pays, mais deux : la première avec un redoutable ennemi israélien, la seconde avec un turbulent protagoniste local qui a attiré sur le Liban calamité sur calamité. Or chacun de ces dossiers est susceptible de faire avancer l’autre ou au contraire de le torpiller. Les pourparlers avec Israël se présentent par cercles concentriques, en pelures et couches d’oignon. La route est longue en effet de l’évacuation du territoire occupé à la délimitation définitive des frontières terrestres et l’instauration d’une non-belligérance durable en passant par les diverses autres implications des résolutions onusiennes. Qu’Israël traîne la patte et il n’aura fait qu’apporter de l’eau au moulin des ultras du Hezbollah ; pour hâter au contraire le processus, le Liban pourrait dès lors se voir amené à briser de vieux tabous, à engager des discussions tant politiques que techniques sans naturellement aller jusqu’à envisager un quelconque traité de paix formel. Après tout, ce ne sont pas des martiens qui campent sur notre terre ; et si d’aventure il faut absolument parler avec l’occupant pour l’aider à déguerpir …


Côté Hezbollah, l’innovation est déjà là, et on ne peut que s’en réjouir. À la veille du cinquantième anniversaire de la guerre dite civile, tout recours à la force pour désarmer la milice pro-iranienne est, certes, plus que jamais impensable. S’il a retenu pour seule option le dialogue, le président de la République en a révolutionné le concept, les formes, les modalités. C’est en personne que ce militaire de carrière, jouissant d’une large confiance nationale, parlementera avec le Hezbollah, tout comme il aura des concertations avec les diverses forces du pays. Le pouvoir libanais conduit le bal désormais. Enterrons donc sans regrets ces fumisteries de tables du dialogue autour desquelles les caïds de la politique échangeaient interminablement fausses promesses et engagements mensongers.


Les tables rondes, c’est tout juste bon désormais pour les amateurs de spiritisme.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Énormes, pour un peu tout le monde, sont les enjeux de la négociation irano-américaine qui s’ouvre ce samedi à Oman au terme d’un long échange de défis et de menaces entre Washington et Téhéran. Énormes pour la République islamique d’abord, qui ploie depuis des années sous l’effet des sanctions économiques occidentales et dont l’influence au Proche et au Moyen-Orient a subi récemment une série de graves revers. Énormes aussi pour Donald Trump, qui avait déchiré un premier accord sur le nucléaire iranien, le jugeant par trop conciliant, et qui s’est juré de faire bien mieux que son lointain prédécesseur Obama. Et si l’Europe, désormais mise hors jeu, est réduite à attendre le jour où s’ouvrirait enfin à ses entreprises l’immense marché persan, c’est au niveau hautement stratégique face au...