
Le nouveau gouverneur de la BDL, Karim Souhaid (c.) et l’ancien gouverneur par intérim, Wassim Manssouri (à sa droite), entourés des trois autres vice-gouverneurs de la BDL, lors de la cérémonie de passation des pouvoirs organisée à la Banque centrale, le 4 avril 2025. Photo Fouad Gemayel
La récente controverse autour de la nomination du nouveau gouverneur de la Banque du Liban a mis en lumière les fragilités stratégiques d’une mouvance réformiste pourtant indispensable pour appuyer les réformes et le combat pour une meilleure gouvernance dans le pays. Elle a aussi révélé un risque majeur : celui de tomber dans les pièges tendus par les forces mêmes qu’elle combat depuis des années –
celles qui contrôlent encore l’État profond, influencent une partie des médias, et s’opposent farouchement à toute réforme réelle ou à la moindre reddition de comptes.
Il faut reconnaître que cette séquence a été, en termes d’image, délicate. Une partie de l’opinion publique a perçu certaines critiques formulées contre la nomination de Karim Souhaid comme une attaque indirecte contre le président de la République, alors même que son discours inaugural avait été largement salué pour sa clarté et sa fermeté sur plusieurs sujets sensibles : restauration de l’autorité de l’État, désarmement du Hezbollah, réforme du système financier et levée du secret bancaire.
Était-il nécessaire de laisser entendre – même à mots couverts – que le président agissait sous l’influence d’un lobby bancaire ou d’un acteur en particulier ? Certes, le processus de sélection manquait de transparence, et n’a respecté que formellement les procédures constitutionnelles, qui stipulent que la proposition doit venir du ministre des Finances et être approuvée par le Conseil des ministres. Mais dans notre système politique, il est communément admis que les nominations à certains postes régaliens, comme celui de gouverneur ou de commandant en chef de l’armée, relèvent en pratique du président de la République. Son insistance à défendre son choix semble relever davantage d’un tempérament affirmé que d’un calcul d’intérêts personnels ou d’une quelconque soumission à des pressions extérieures.
Spéculations et amalgames
Du côté du Premier ministre, le rejet de cette candidature pouvait répondre à des préférences légitimes pour un autre profil. Mais faute d’alternative claire et assumée, cette opposition a nourri des spéculations – infondées à mon sens dans le cas de Nawaf Salam – sur de possibles motivations personnelles ou politiques. Des accusations similaires ont visé Kulluna Irada, sans fondement là non plus : selon mes informations, l’organisation n’avait pas de position arrêtée sur un nom particulier.
Quant à Karim Souhaid, les critiques à propos de sa participation au projet « Growth Lab » sont compréhensibles. Ce plan de restructuration, bien que présenté comme une tentative de préserver l’intérêt public, contenait des mécanismes qui transféraient dans les faits les pertes aux déposants, tout en protégeant les capitaux bancaires – une logique discutable, qui méritait d’être débattue. Mais fallait-il pour autant faire de Souhaid un symbole de la connivence entre pouvoir et système bancaire ?
D’autant qu’il a, depuis, exprimé ses réserves sur ce plan. Le minimum aurait été de lui accorder le bénéfice du doute.
Le vrai danger, c’est le recours aux raccourcis : s’il est soutenu par un banquier ou un média, alors il est nécessairement à leur solde. Si un membre de son conseil d’administration est controversé, alors il est forcément influencé. Ces amalgames affaiblissent le débat. Ceux qui connaissent Karim Souhaid décrivent un homme intègre, indépendant, et capable de résister aux pressions.
Il aurait été plus juste d’exprimer des réserves argumentées, sans accusations implicites, et sans céder aux réflexes de suspicion nourris par des médias souvent hostiles à toute voix réformiste. La crédibilité du camp réformiste repose aussi sur sa capacité à juger les individus sur leurs actes et non sur leurs soutiens supposés. À ce titre, il ne faut pas tomber dans les pièges rhétoriques tendus par des adversaires puissants, bien organisés et disposant de moyens considérables.
Ne pas jeter le bébé...
Je n’ai pas toujours été en accord avec les positions de Daraj ou de Legal Agenda, mais je leur reconnais un rôle essentiel dans la défense des libertés publiques et la dénonciation des abus. Je suis plus réservé sur la ligne et le ton de Megaphone, mais ce n’est pas là le fond du débat. Entre une mafia politico-financière protégée par des relais médiatiques complaisants, et ceux qui, malgré les erreurs, essaient de faire émerger une culture politique nouvelle, mon choix est fait.
Je ne me laisserai pas distraire par les accusations de gauchisme, de « sorosisme » ou – ironie suprême – de complaisance envers le Hezbollah. Car il suffit de regarder qui fréquente certains journalistes, qui est invité sur leurs plateaux, et qui bénéficie encore de protections politiques, pour comprendre où se trouvent les véritables alliés objectifs du Hezbollah – souvent là où on ne les attend pas mais j’ai depuis longtemps la conviction que le système politico-mafieux bénéficiait de l’absence de l’État de droit que le contrôle du Hezbollah exerçait sur le pays impliquait et que son intérêt était dans sa perpétuation
Oui, cette séquence an mis en évidence un manque de discernement au sein du camp réformiste. Mais cela ne remet pas en question la justesse de son combat. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Entre les profiteurs cyniques d’un système corrompu et dysfonctionnel et les partisans sincères de sa réforme – avec leurs erreurs et leurs imperfections – les Libanais se doivent de soutenir ces derniers.
Par Jean RIACHI
PDG de I&C Bank.
MALHEUREUSEMENT POUR LE LIBAN, il ne suffit pas que les 2 presidents, les ministres et autres responsables annoncent avec toute solennité leurs bonnes intentions... PUISQU'ELLES MEMES SONT SUJETTES A INTERPRETATIONS & POINTS DE VUE DIVERGENTS.
10 h 00, le 22 avril 2025